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A Ahmed Asselah ce porteur de lumière par Mansour Abrous

« Hydrater la mémoire, nourrir le futur » :

Asselah Ahmed faisait partie de « la famille qui marche ». Nous sommes de la même famille. Nous avions les mêmes convictions mais nous n’y ajustions pas les mêmes stratégies. Nous avions la même image d’une Algérie moderne et républicaine, mais nous cultivions différemment nos pensées. Nous avions le même amour du Pays.

Dès octobre 1988, il est présent dans le grand mouvement d’opinion qui se développe en Algérie, qui trouve son origine dans la protestation contre la répression. Les démocrates algériens essaient de faire aboutir les plus élémentaires et les plus immédiates exigences de la conscience nationale : l’abolition de la torture et le droit aux libertés fondamentales et démocratiques.

Entre octobre et novembre 1988, il est présent dans tous les grands moments de la vie sociale et politique : Rassemblement des Artistes des Intellectuels et des Scientifiques (RAIS), Marche de protestation des médecins contre la torture, Rassemblement du Comité Interuniversitaire contre la Torture et la Répression, Mouvement des journalistes, Association de Femmes.

L’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger s’ouvre dès lors à la société civile, s’engage dans le processus de démocratisation de la vie politique et investit ce mouvement d’opinion grâce au travail d’une poignée d’enseignants, de travailleurs et d’étudiants, et grâce à l’engagement discret et ferme de son directeur.

Il n’empêche aucune initiative politique dans l’enceinte de l’établissement et prête volontiers les locaux à toute manifestation [réunions syndicales et politiques dans le cadre du renouveau démocratique] d’intérêt national. Nous pouvons citer de mémoire diverses actions qui illustrent sa disponibilité pour les causes justes :
– Assemblée générale des enseignants, le 30 octobre 1988, contre la torture et la répression
– Il soutient, présente et défend le cahier de doléances des enseignants et des étudiants, lors de la séance de travail, en décembre 1988, avec le ministre de la culture
– Il apporte sa caution et son soutien personnel lors des négociations engagées entre le Collectif Enseignant et le ministère de la culture
– Il favorise l’organisation du « Forum des créateurs, les 11 et 12 décembre 1988
– Il encourage les enseignants de l’école à participer aux débats sur le Conseil Supérieur de la Culture, pour réagir contre la dissolution du ministère de la culture
– Il soutient l’inauguration du local du Collectif Enseignant, le 18 mai 1989, au nom de « Keddar Benrekaa », militant de l’Union Nationale des Etudiants Algériens (UNEA), mort victime de la répression
– Il soutient la grève des enseignants, décidée le 5 mars 1989, et la démission collective décrétée le 11 mars
– Il permet l’organisation du colloque « Démocratie et Culture », les 18 et 19 décembre 1989
– Il invite Monsieur Hocine Aït Ahmed à venir découvrir l’école, le 13 mars 1990, afin dit-il qu’il puisse se familiariser avec les capacités créatrices de notre Pays
– Il encourage l’hommage public rendu par l’école à la mort de Kateb Yacine
– Il est favorable à l’organisation de deux expositions pour sensibiliser à l’Intifada palestinienne

Il a discrètement encouragé l’action syndicale. Il insistait scrupuleusement à ce que les regroupements ou les activités syndicales ne gênent pas le bon déroulement de la pédagogie. Homme de concertation et de dialogue, il œuvrait à la réhabilitation des écoles d’art. Il participait à la prise en charge de mesures significatives et concrètes. Il était disponible et répondait, favorablement à toute convocation des instances syndicales des travailleurs, des étudiants ou des enseignants.

Dans un courrier adressé au Collectif Enseignant, daté du 13 novembre 1988, il écrit : « En tout état de cause, mon souhait en ma qualité de directeur, est que toutes les énergies dont nous disposons, doivent être mises à contribution pour faire de notre école, une grande école supérieure des Beaux-Arts ». Il jouait la transparence comme lors des trois rapports circonstanciés sur la situation à l’école des Beaux-Arts, remis par le Collectif Enseignant. Il a réagi, en les portant à la connaissance de tous, pouvant être consultés par tous. N’interférant jamais dans les décisions d’action, il croyait sincèrement qu’elles ne pouvaient servir que des intérêts collectifs. La naissance du Collectif Enseignant, le 30 octobre 1988, a reçu de sa part, un accueil favorable, car il souhaitait par-dessus tout le rayonnement de l’institution.

Il a encouragé toutes les initiatives allant dans le sens d’une revalorisation de l’enseignement artistique et a favorisé toutes les actions susceptibles d’enrichir le Monde des Arts et de la Culture. Dans un courrier adressé au Collectif Enseignant, le 9 novembre 1988, il situait l’action syndicale sans ce qui peut être mis en œuvre « pour la réalisation de nos objectifs de développement des enseignements artistiques, en vue de participer à cet essor culturel auquel nous aspirons ».

A la suite de la suppression du ministère de la culture, il a soutenu et participé à la tenue d’un Forum, le 6 décembre 1989, sur le thème « Quelle structure pour la Culture ? », qui a regroupé des représentants de toutes les écoles d’art du Pays, des artistes indépendants et des délégués des comités d’étudiants d’Alger et Oran. Il a défendu, opposé au corps enseignant, l’idée d’un recrutement d’une nouvelle promotion du pré gradué 1989-1990, car il estimait qu’il fallait donner une chance supplémentaire aux jeunes.

Il s’est engagé d’une manière lucide, volontaire et responsable, sur les dossiers suivants :
– La revalorisation des enseignements artistiques
– L’autonomie financière, pédagogique et administrative des écoles d’art
– L’ouverture de nouvelles filières de la formation graduée
– La revalorisation des diplômes de l’école des Beaux-Arts
– L’ouverture de l’école sur le monde extérieur

Il avait un engagement direct, comme lors du conflit de la guerre du Golfe. Il déclarait ses ressentiments, le 27 janvier 1991, au journal El Moudjahid. Il n’hésitait pas à rendre transparente son opinion dès lors qu’elle ne nuisait pas à l’institution qu’il dirigeait.

Comment ne pas se souvenir de sa grande fierté, le 1er Novembre 1988, où le village d’Ighil Imoula commémorait le déclenchement de la Révolution et inaugurait une stèle à la gloire des Martyrs !

Son engagement d’humaniste à l’égard des causes nobles est déjà ancien. A divers titres, journaliste à la radio algérienne puis à la télévision, chargé de mission auprès du ministère de la formation professionnelle, secrétaire général de l’institut de musique, administrateur de la troupe théâtrale de Kateb Yacine, il fut de tous les combats. Combat difficile contre la répression idéologique d’abord, et la répression physique ensuite.

Il paie de sa vie un engagement indéfectible aux causes démocratiques, engagement fait d’une douceur de parole, d’une fermeté de conviction et d’une solidarité agissante. Il paie de sa vie son amour de la culture et des arts.

Dans une interview accordée au quotidien El Watan, le 10 novembre 1992, il répondait à la question « Quels sont vos rêves par rapport à l’école ? » : « Notre rêve pour que ces écoles d’art puissent réellement assumer leur mission qui est de former des professionnels de l’art, c’est que déjà à l’école fondamentale, on sensibilise les élèves à la conscience artistique ». C’est ce rêve que l’on a assassiné.

Ahmed Asselah refusait de prendre congé de l’Algérie. Les forces abjectes du terrorisme tentent de faire abdiquer les patriotes sincères, par cet acte, l’assassinat d’un porteur de lumière, elles prouvent qu’elles ont déjà perdu la bataille idéologique et qu’elles perdront dans un avenir proche celle de leur propre avenir.

Mansour ABROUS
(Texte écrit pour le Rassemblement citoyen au Panthéon
Paris, le 16 mars 1994)

 

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