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Grève à l'école supérieure des beaux-arts d'Alger

Zoubir Hellal ( ancien Enseignant à l’ESBA ) : “L’ART N’EST PAS ADMINISTRABLE PAR LA FONCTION PUBLIQUE”

Interview du plasticen Zoubir Hella au quotidien le temps (letempsdz.com) sur la situation à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts d’Alger.

Karim Benamar : Des étudiants de l’école supérieure des beaux- arts ont entamé une grève de la faim depuis le cinq février dernier. Comment avez-vous réagi à cela ?

Zoubir Hellal : Beaucoup de tristesse. Honnêtement, je trouve malheureux et navrant de voir ces jeunes algériens pétris de compétence et d’ambition poussés à ce stade de dénonciation ultime. Ce n’est ni plus ni moins qu’un sacrifice de plus. Je pense que la gestion administrative de ce fleuron artistique – il l’était du moins– soit à l’origine des problèmes récurrents que ne cessent de dénoncer les étudiants depuis un certain nombre d’années. Cela n’augure rien de bon. J’ai été enseignant pendant 33 ans dans cette école. Nous faisions, certes, face à des problèmes, mais pas de cette nature. Les choses ont beaucoup changé. Ils ont évolué négativement. Toute la logistique, transport, hébergement, restauration est aujourd’hui défaillante. C’est ces problèmes de base qui ont poussé, à mon avis, les étudiants à brandir cette arme qui est la grève de la faim. Devant cette situation, la tutelle, le ministère de la culture, semble clairement incapable d’apporter des solutions.

Karim Benamar : Selon vous, pourquoi la tutelle n’arrive pas à trouver des solutions ?

Zoubir Hellal : Il y a un manque flagrant de stratégie. Tant que l’absence de vision globale perdurera, l’école ne sortira pas de sitôt de son marasme. Je pense qu’il va falloir, urgemment, penser à un plan précis et performant pour rendre à cette «institution» ses lettres de noblesse. Le ministère de la culture n’a pas un rôle formateur pour s’occuper de la gestion de cet établissement. C’est une tutelle administrative et, donc, incapable d’assurer une formation pédagogique. Elle gère les sites culturels, mais je doute fort qu’elle puisse avoir un rôle pédagogique.

Karim Benamar : Comment faire dans ce cas ?

Zoubir Hellal : Il faut à mon avis ouvrir un large débat en urgence sur l’enseignement artistique en Algérie. Que souhaitons-nous comme formation artistique pour nos étudiants ? Et dans quels objectifs sociaux et économiques? On a tendance à l’oublier, mais l’art a un rôle moteur dans le secteur économique. Nous devons absolument intégrer cette donnée si nous voulons rendre à l’art sa place dans la société et dans la vie du pays. Ce n’est qu’à partir de ces réflexions que nous pouvons établir une réelle stratégie pour l’école supérieure des beaux-arts. Les étudiants viennent de lancer un SOS. Leur grève mérite une réponse. Elle devrait en même temps constituer une occasion pour se pencher sérieusement sur la formation artistique en Algérie. On ne peut plus continuer sur cette logique de gestion «folklorique». L’art n’est pas administrable par la fonction publique. La société civile, les artistes de tous les horizons doivent s’impliquer dans ce débat. Nous appartenons au bassin méditerranéen. Beaucoup d’institutions d’art nous entourent. Au Maroc, en Tunisie, en France, en Espagne et en égypte. Il existe un formidable réseau régional que nous devons absolument intégrer. L’Algérie est le seul pays qui ne profite pas des expériences artistiques de notre voisinage. C’est une véritable aberration. Avant, l’école supérieure des beaux-arts d’Alger entretenait des relations étroites avec les établissements étrangers. Ce n’est plus le cas maintenant. C’est vous dire que nous avons perdu beaucoup de notre réputation.

Karim Benamar : Les étudiants se plaignent de la non-reconnaissance de leurs diplômes…

Zoubir Hellal : On ne peut pas dire que les diplômes délivrés par cet établissement ne sont pas reconnus. Ils ont été créés par décret, en 1990. Ils sont par conséquent, de ce fait, reconnus. Beaucoup de professionnels, issus de cette école, travaillent dans différentes institutions du pays, notamment dans le secteur de l’éducation nationale. Maintenant, si vous me dites que les diplômes sont sous-évalués, là je suis totalement d’accord. Et c’est pour cela que j’appelle à un débat national.

Le tempsdz.com
le 9 fevrier 2017