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Ghaouti Faraoun, Algérie (1936-2013)

Qui ne connaît Ghaouti que par sa vie de comédien n’en saisit qu’un souffle d’air de jeux intermédiaires et de mises en scènes d’un univers multiple éclaté et pluriel ! C’est pour moi, une gageure de le présenter en tentant de faire son portrait de poète… Lui, l’ami, qui reste pour beaucoup et pour moi-même un mystère ! Comment retracer ses “multiples errances” ? Comment suivre son “nomadisme sans nom” pour arriver à lui faire DIRE son Exil et sa passion pour “l’écriture poétique” ?

Il est certes plus connu en tant que comédien, mais il est musicien amateur, photographe, et plus récemment sculpteur. Où le situer ? Lui-même ne s’enferme dans aucun art. On le sait et on le dit : c’est par le théâtre et le verbe, dans la parole, qu’il excelle le plus. Et c’est dans ce champ du geste et de la parole que je demeure sensible à Ghaouti et m’autorise à le faire découvrir aux lecteurs. J’annonce qu’il est et reste avant toute chose un poète dans l’art du dire issu de la tradition. Comment cerner, et aborder le poète ?

En le questionnant d’abord sur son exil ! Première question sur son départ et aussitôt il clame sans détours : “Sachez-le : j’ai quitté Alger pour l’amour d’une femme !” Et l’exil, dans tout ça ? “Dans tout ça, il n’y a que l’amour ! C’est une image si populaire ! Edith Piaf chantait “sans amour on est rien !”. Et déjà la question du lien et du lieu s’interpose ! Cet amour est-il la trame d’une histoire, d’une vie ou englobe-t-il toute sa création bien au-delà de l’existence ? “La rue où je suis né porte le nom de mon père, Faraoun”.

Ghaouti se souvient et me raconte comment il vécut, secrètement, en silence, sa première passion en désirant offrir son certificat d’études à Claude, fille d’un haut fonctionnaire inaccessible, “yeux bleus, jupe bleue et moi, enfant d’indigène vêtu de seroual”, son père, le félicitant, lui dit : “Va le lui offrir !”

Appel au rappel du souvenir : “Souviens-toi de te souvenir”… Au temps des colons, Ghaouti se remémore les dernières paroles échangées avec son père, adjoint au maire : “Fils, je suis dans un dilemme, me dit-il, ou je collabore avec l’armée française, ou avec le FLN… Je ne sais plus quoi faire !” Choisis ton clan, clame le fils ! Le père embrasse l’enfant. “Il a choisi son camp : celui de son peuple… Fusillé sur le champ… balle en pleine poitrine ! Sans jugement, sans raison ! J’avais 20 ans ! C’est pourquoi la rue où je suis né porte son nom”.

Et toi, qu’as-tu choisi ? “L’amour toujours ! Avec Armelle, dont j’ai eu deux enfants. Et d’accepter d’épouser un Algérien au plus fort de la guerre d’Algérie, ça prouve qu’elle avait du caractère, … et de l’Amour !”. Instituteur dans un bled, marié de 1957 à 1962, agent de liaison par moment, vendeur de journaux nationalistes, un frère mort au maquis. A l’indépendance, il rencontre Maryse, mineure. Une autre passion. Désir ? “Je ne sais pas ce qu’est mon désir, mais je sais ce que je ne désire pas : la routine, le pantouflard, de m’installer quelque part, d’avoir une image définitive de soi et vis-à-vis des autres” . Voilà qui commence à tout compliquer ! De nouveau comment le cerner ?

Dans son cheminement poétique, il eut l’immense bonheur de rencontrer Jean Senac à la cantine de la Radio d’Alger où il demeura un des principaux animateurs de l’émission “Le poète de la cité” de 1963 à 65. Il vécut, durant toutes ces années une “époque merveilleuse, riche en expériences et de découvertes. Les poètes surtout. Alger était la capitale du monde… C’était fabuleux. On refaisait le monde. Il y avait une telle liesse, une telle foule de différentes nationalités…”. Ghaouti crut à un pays d’amour, à une capitale “mosaïque”… “Je pensais que ça allait être cela !” Déçu ? “Malheureux comme les pierres…”. Etouffement. Exil.

Pour l’amour d’une femme, Ghaouti s’exile et vit des années durant une forme d’errance en quête d’un “Haut-Pays” qu’il cherche en vain à construire dans une “œuvre en fragments”. En 1969, en terre d’exil, dans le feu de la passion amoureuse, le poète écrit en trois nuits “Pour une Danaïde” (1). Il s’agit d’un “chant à tue-tête pour la danaïde de mes nuits”, qu’il dédia “à mes sœurs, terres mutilées”.

Je t’aimerai
(toi le somptueux présent)
de tous mes souvenirs
de nomade envieux
du puits jaloux de la source

Ghaouti se met à chanter la terre et s’expose en danger par rapport à l’environnement dans une profonde fragilité de l’être qui se questionne : “Qui suis-je ? Où vais-je ? Pourquoi j’existe ? D’où je viens ? Et le mot clé de toutes ces interrogations revient toujours : l’amour. “Mais il n’y a pas de logique ! L’amour est une alchimie qui correspond à chaque individu. Chacun a sa recette tout en croyant l’avoir, mais ne la possède pas…” En révolte comme “des pierres en larmes”, Ghaouti choisit l’amour et non la guerre. Sa poésie s’inscrit dans le style de la tradition arabo-andalouse pour devenir un “citoyen de beauté” fidèle à Jean Sénac qui écrivit en 1963 : “Et maintenant nous chanterons l’amour car il n’y a pas de Révolution sans amour”.

Pureté primitive, Ghaouti, poète de l’instinct, bâtit une poésie éphémère au gré de ses impulsions et de ses “inspirations intuitives”. Il clame une incessante ivresse afin de “vivre pour ne pas mourir”. C’est une longue construction d’une liberté douloureusement arrachée. Ainsi, en 1978, il édifie “Fortification pour vivre” qu’il dédia “à Jean Sénac, mon compatriote, mon frère Saint-Jean des désordres”. Ouvrir les portes pour vivre ! “Ouvrir les portes”, c’est prendre le courage d’exprimer ses souffrances, ses blessures, de se détourner de “la morale qui l’étouffe” et de se révolter contre “les aboyeurs de la liberté sans condition”. Ainsi, le poète revendique son statut de dire librement son amour et de le montrer aussi vivant, aussi passionnément qu’il l’est dans la vie, tout en dénonçant : “la meute rageuse des analphabètes du cœur et de la momification des sentiments dans les musées de l’ordre”.

Ces “fortifications pour vivre” dans la trame de l’amour sont pour lui des : “inéluctables portes à mots découverts” Le poète prône la joie de vivre dans une survie dénudée : “Et nous verrons sur le visage des pierres se dessiner en volutes le sourire de l’homme vrai le sourire de l’homme nu”.

Ghaouti n’achève pas la vie. Il ne l’achète ni la vend… Il ne fait que la chanter… A haute voix, en fou d’amour. Comme “Madjnoun- Leïla”, Ghaouti s’extasie et danse en clamant pour “lever la poussière”. Sur cette lancée, il écrira “chants croisés”, “buisson de givre”, “le monologue de l’arbre” etc… De la poésie gestuelle à l’écriture poétique, Ghaouti est possédé par une voix qui le porte. Et il la revendique tout haut : “Ma poésie se veut de “haute voix” et donc essentiellement vocale, voire gestuelle, à clamer et non à déclamer. Cela est aussi notre tradition”.

Textes à DIRE. Sa poésie est un cri, une parole qui clame et qui cherche parfois à provoquer, à titiller, tel le vent hurlant aux vivants de tous les temps… Le poète parle aux plantes, aux pierres et à l’humain pour dire simplement : “Je vous aime”. Poète sans royaume. Il ouvre toutes les portes afin d’échapper aux pièges de l’enfermement. “L’errance était en lui la flamme”. (André Velter). “Frère de Soleil”, fidèle à lui-même, Ghaouti continue à cheminer vers les “Hautes terres”, sans fil de barbelés, sans frontières, sans balises, car pour lui : “la terre est vaste, c’est comme un village et on nous interdit d’y aller”. Terre mutilée. révolte. Contre toute forme d’exclusion, Ghaouti se veut une voix nomade.

Solidaire des jeunes de banlieue, des exclus, des marginaux, il écrira “15 graffitis pour conjurer le sort”, en 1983, sous le titre “Minguette’s blues” : “Enfants nomades, nous hantons de hautes tours où le malheur a fait son lit… (…) Les pères, abordant ces rivages, marchaient à reculons, le regard soudé à d’autres rives, les tripes nouées à d’autres horizons. Pour les fils, ni retours, ni recours !” (…)

Désenchantement. Pris dans les tourments, le poète souffre dans un “cœur déchiré en mille morceaux”. Poète algérien, fidèle à son histoire et à son peuple : “né Algérien et mourir Algérien”, Ghaouti souffre en silence devant le drame.

Iles de mémoire excisée
Le seul silence vous interroge
Iles d’ocre et de chairs vivantes
bâties
Aujourd’hui seul le silence vous
interpelle
Quel recours,
O dites,
Quels retours ?

Ghaouti ne regrette rien de son errance, mais est désespéré par ce qui se passe en Algérie… Le retour est un moyen de guérir affirme-ton ? Mais pour Ghaouti, seule l’errance maintient en vie, en cherchant à se dessaisir de l’obsession de l’origine… pour habiter les “Hautes Terres”, car dit-il “je ne suis qu’un grain de sable, qu’une crotte de mouche…”.

Saïd RAMDANE
Ecarts d’identité N°86 – Septembre 1998
source : revues plurielles

 

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