L’artiste Hassan Hajjaj va transformer, du 5 décembre 2017 au 13 janvier 2018, la galerie d’art L’Atelier 21. Dans cette exposition, l’artiste met à l’honneur le bouillonnement de la scène culturelle marocaine. Considéré comme l’un des artistes marocains qui se sont le mieux imposés sur la scène internationale, Hassan Hajjaj a réussi à créer un monde très attaché à l’imagerie marocaine qui emprunte ses éléments au quotidien, au banal, au populaire et même au kitsch. Il mélange les genres traditionnels, la photographie, le paysage urbain, le design et le ready-made pour des rendus colorés, faussement exotiques, parce que toujours empruntés au réel.
Dans cette exposition, le public pourra découvrir une série d’œuvre d’une rare capacité d’attraction, où l’artiste met à l’honneur le bouillonnement de la scène culturelle marocaine. Hassan Hajjaj y construit sa galerie d’artistes et d’agitateurs culturels de prédilection. Un monde où se mêlent plasticiens, musiciens, chanteurs, designers, cinéastes… Le résultat est un bouillonnement d’arts et de cultures, donné à voir selon le prisme très coloré de Hassan Hajjaj. En somme, l’artiste nous invite à connaître et à admirer ses stars marocaines.
L’œuvre de Hassan Hajjaj cristallise « le passé et l’ère contemporaine, les blessures de l’Orient et l’hégémonie de l’Occident, les écarts du pop art et la prose du fashion street, l’imagerie populaire et le luxe scintillant », explique l’universitaire et critique d’art Youssef Wahboun. A travers cette fusion culturelle que l’artiste défend, se dégage son désir de nier les effets néfastes de la mondialisation et l’uniformisation culturelle qu’elle opère. Dans My Maroc Stars, Hajjaj revendique aux artistes marocains le droit de renverser les rapports Nord/Sud, d’aspirer au succès international, et à travers eux, « dégage le portrait d’un Maroc tendu vers une vie nouvelle, impatient de s’arracher à ses relents d’incertitude, enragé à casser la chrysalide de je ne sais quelle attente ».
Né en 1961, Hassan Hajjaj fait partie des artistes marocains les plus connus sur la scène internationale. Ses œuvres ont intégré des collections de renom dont le Victoria & Albert Museum (Londres, Royaume-Uni), le Los Angeles County Museum of Art (Californie, Etats-Unis), la Fondation Kamel Lazaar (Tunisie) et le Brooklyn Museum (New York, Etats-Unis ) parmi d’autres.
Exposition de l’artiste Hassan Hajjaj
My Maroc Stars
Du 5 décembre 2017 au 13 janvier 2018 à la galerie d’art L’Atelier 21
Vernissage : Mardi 5 décembre 2017 à partir de 19h
Un absolu d’altérité par Wahboun Youcef
L’art de Hassan Hajjaj incarne une constante ambivalence entre complexité et évidence. Il renseigne sur cette capacité de l’œuvre d’art à faire poindre de profondes interrogations sous les apparences les plus sereines et les plus jubilatoires. D’une série à l’autre, les mises en scène soigneusement réfléchies qui marquent ses portraits donnent l’illusion d’en saisir vite le procédé, de définitivement prendre connaissance de la démarche qu’elles mettent en action. Mais chaque pièce trouble le confort immédiat du regard en confrontant des références qui brouillent la communicabilité des signes et somment celui qui s’attarde à les décrypter de hiérarchier son questionnement pour en appréhender l’impact et les raisons d’être. Nombre de textes consacrés à l’artiste multimédia mettent l’accent sur sa fascination pour le métissage des codes, sa tendance à jongler avec les antagonismes et, en vertu d’un obsessionnel syncrétisme culturel, à impulser une dialectique protéiforme mettant en présence le passé et l’ère contemporaine, les blessures de l’Orient et l’hégémonie de l’Occident, les écarts du pop art et la prose du street fashion, l’imagerie populaire et le luxe scintillant. En raison de cette imposante grammaire de chocs qu’il réactualise à chaque exposition, Hajjaj est considéré comme l’inventeur d’un univers bariolé et délibérément discordant, destiné, comme diraient ces concitoyens Gilbert and George, à «frapper le spectateur avant qu’il n’ait le temps de réfléchir». Mais on se condamnerait à un commentaire hâtif à ne voir dans ses séries qu’un faisceau d’exubérances. Son expérience artistique puise son élan dans un lexique formel patiemment élaboré, sur lequel il est possible de prendre appui pour déceler la vigoureuse cohérence d’une œuvre qui, tenant à la fois du chaos subtil et de l’équilibre continûment rompu, s’épanouit sur une insidieuse densité émotionnelle et intellectuelle.
Les photographies de l’artiste transpirent une alacrité qui fait de chaque mise en scène une ardente vibration de l’amitié et de l’amour. Ces œuvres de l’enchantement procèdent toutes d’un absolu d’altérité et de don de soi. Convoquant le plus souvent des artistes connus, les portraits sont moins des «biographies dramatisées» comme l’aurait voulu Baudelaire que les chapitres d’une autobiographie sans je. L’artiste se raconte à travers ses rencontres mais ne se met jamais devant son objectif. Il s’isole pour n’occuper que le paratexte, pour ne se faire entendre que dans les titres. Après l’exposition My Rock Stars, la galerie d’art L’Atelier 21 montre My Maroc Stars. C’est ainsi que Hajjaj désigne les femmes et les hommes qui constituent ce qu’il appelle «my family». A chaque fois le possessif dit autant l’humilité d’un repli qu’une appropriation fraternelle légitimée d’abord par une adéquation de destins. Presque tous les modèles de l’artiste sont des images spéculaires de son propre entre-deux existentiel et identitaire, évoluant sous des cieux lointains où fuse perpétuellement la trace des origines. Artistes de la diaspora ou autochtones, ils sont tous également praticiens d’un art fondé, comme celui du photographe et designer, sur une dualité culturelle, sur une mixité de styles issus d’aires géographiques différentes, sur un désir d’universalité qu’innerve la sève des racines.
«La photographie de Hajjaj, affirme Marques Toliver, l’un des amis et modèles de l’artiste, est l’équivalent visuel de ma musique. Le dénominateur commun est le mélange du traditionnel et du non-conventionnel». C’est justement cette oscillation entre plusieurs mondes et plusieurs tendances artistiques que Hajjaj cherche à saisir dans ses mises en scène. Mettant à profit des accoutrements fantasques et des accessoires de provenances diverses, les portraits mènent, sous les apparences d’une plaisanterie qui prend son temps, une tentative de porter les modèles vers leur plus haute expression d’êtres noss noss, de citoyens du monde façonnés par une confluence de mentalités.
Avec cette particularité rassurante que l’entre-deux est un pont et non une fêlure. Les artistes que photographie Hassan Hajjaj sont donnés à voir comme une triomphale combinaison des dissemblances, une manifestation exemplaire de la fusion d’une culture dans une autre. D’où cette volonté d’héroïsation que trahit la sophistication des postures et du décor. «Les Rock Stars, remarque le curateur Martin Barnes, planent comme des divinités sur des tapis à motifs hallucinogènes». Mais, entrainés tous dans une même rhétorique de décalage, les modèles sont loin de subir une quelconque uniformisation totalitaire. Tous situés sur des fonds polychromes et habillés des bigarrures les plus outrées, ils s’adaptent à un souci d’individuation, à un respect des différences.
«Ce qui compte pour moi, confie l’artiste, c’est de capter l’énergie qui transperce leur regard». Le portrait s’applique autant à inventer une attitude qu’à dire la fragilité et la force intérieure. Hajjaj, confirme Hindi Zahra, «pousse vraiment les gens à exprimer leur personnalité». Dans la série My Maroc Stars, le photographe propose deux portraits de la chanteuse. Dans le premier, Hindi Zahra pose en odalisque drapée de rouge et noir, fixant le spectateur d’un regard pensif où transparait une audace contenue qui contredit l’œil tantôt racoleur tantôt résigné des odalisques léguées par la peinture et la photographie orientalistes. Dans le second, la chanteuse de Stand up se met debout pour trôner sur un toit de circonstances tendant vers le spectateur une passerelle aux trames impeccables. La prise met à distance le modèle pour l’entourer d’une pluie de fleurs sur fond de paysage urbain, substituant à la tunique ce symbole de fierté collective qu’est le maillot de l’équipe nationale de football. Faut-il rappeler que ce maillot numéro 20 est celui que portait le joueur Youssef Hajji, un artiste du ballon rond, dont le métier, comme celui du photographe et de la chanteuse, consistait à galvaniser le public en brandissant les icônes conciliées d’une double appartenance ? On sait que le talent de Hassan Hajjaj s’exerce sur plusieurs formes de création artistique, du design de mode à la photographie, en passant par la décoration et la vidéo. Mais on n’aura peut-être jamais relevé qu’en montrant des peintres, des chanteurs, des disc jockey, des chorégraphes, des comédiens et des artistes henné, l’artiste attribue à son œuvre une dimension paragonale engageant un dialogue
permanent entre la photographie et d’autres modes d’expression. Chaque portrait est une rencontre transartistique disant, à travers l’artiste photographié, la dilection de Hajjaj pour tel ou tel art, son goût personnel de certaines oeuvres. Mais, prenant place de façon franche dans le paradigme de l’art contemporain, l’expérience du photographe admet d’être regardée selon ses résonances avec l’histoire de l’art elle-même. Les pièces que donne à voir chaque exposition insufflent de nouvelles possibilités de sens et d’usage à des genres traditionnels, le portrait, la scène de genre, le paysage urbain et la nature morte. En incrustant des flacons et des boîtes de conserve dans les cadres, elles conjuguent aussi l’imaginaire de la représentation à la littéralité de la présentation propre à l’art de l’installation et du ready made. Cette jonction de pratiques classiques et de formules actuelles s’augmente d’une interférence thématique avec des siècles de représentation artistique. Devant les mises en scène de Hajjaj, Martin Barnes pense aux intérieurs montrés par les photographies de William Carrick et de Felice Beato, deux artistes du XIXe siècle. De toute évidence, les gnaouis et les chanteurs qu’aime le photographe prolongent une incalculable lignée de musiciens peuplant les œuvres d’art de l’Antiquité à nos jours. La figure de l’odalisque en femme émancipée est une déconsidération de l’iconographie du harem orientaliste. Quant au portrait de l’artiste Oum, il a autant des allures de scène de tango que la composition d’une maternité loufoque. Auteur d’un art désireux «d’interpeler tout le monde, les critiques d’art comme les laveurs», Hassan Hajjaj ne fait pas grand cas de cette propension référentielle qui traverse sa démarche. L’admirateur de Samuel Fosso, Malik Sidibé et David La Chapelle affirme son estime pour les artistes «inspirés par le passé» mais se défend de développer son travail à partir d’influences conscientes. La fréquente mise en rapport avec Andy Warhol ne l’enchante que quand elle ne vise aucune assimilation d’approches. Car, plus que dans ses liens avec les pratiques déjà explorées, c’est dans sa distinction par rapport aux savoir-faire disponibles que l’œuvre du photographe demande à être interrogée. Depuis la série Kech Angels, le propre de l’art de Hassan Hajjaj consiste dans cette incessante tentative de rehausser les corps comme les espaces vers un paroxysme du «devenir image» au moyen d’une saturation de motifs et d’un vertigineux éclatement chromatique. Lestées de tissus et d’accessoires, les corps semblent se désintégrer dans une diffraction de couleurs et de formes. Le mish mash of colours est tel que l’image parait dynamitée par une tension qui maintient le visage hors de portée des excessives gerbes de tons et de contrastes. Parfois, comme dans Chourouk legs et Yamou legs, le visage disparait, le torse aussi. Dans ces portraits de l’absence, la prolifération des couleurs donne à voir une image autonome, débarrassée de sa dépendance au sujet.
Son rapport avec la représentation ne tient qu’à ces mains nues qui semblent anthropomorphiser une composition abstraite, répandre une présence humaine dans cette avalanche de lignes et d’arabesques qui envahit le fond et les tissus. Les motifs qui délimitent le modèle acéphale paraissent moins portés par un corps qu’accumulés en un calligramme central où tremble une demi-silhouette fictive aux membres vivants. Dans ce fractionnement plastique et chromatique que subit l’image, les seules zones où la photographie se passe de sa gangue d’outrance sont celles qu’occupent les objets, guembris ou caméras, accompagnant les artistes dans cette aventure de dépaysement volontaire. Ces attributs du métier imprègnent la mise en scène d’un soupçon de narrativité que ne désavouerait pas le photographe qui commente ainsi les portraits de Karima, artiste henné de Marrakech : «Il était question de raconter une histoire». Les artistes Asmâa Hamzaoui et Khadija Warzazia se montrent le regard invisible sous les lunettes pour arrêter celui du spectateur sur la dignité fière de la pose, la main refermée autour du manche d’un guembri dressé. La prise photographique semble inviter à une amplification anecdotique en suggérant le récit d’une passion, d’une victoire du talent artistique sur le sort. L’effet narratif des objets se double d’une fonction esthétique. Les caisses Coca Cola, les seaux de peinture, les boîtes de conserve ainsi que les T-shirts et les vêtements confectionnés à partir de banderoles engendrent un nouveau statut des mots et de la lettre, en parfaite connivence avec la vocation syncrétique de cet art. Non seulement les mots ponctuent l’image de typographies, de caractères et d’alphabets divers, mais génèrent aussi de curieuses associations de pratiques et d’intérêts, alimentation et peinture, football et histoire, musique et politique.
D’un objet à l’autre, le voisinage de parcelles de texte de langues différentes cherche moins à faire sens qu’à servir d’épigraphe déjantée aux faires artistiques culturellement et esthétiquement pluriels du photographe et de ses modèles. Avec les boîtes et les flacons dont il orne les cadres, Hassan Hajjaj fait œuvre également d’activateur de mémoire. Des produits de consommation qui ne sont plus de mise dans le marché relient le passé aux mutations véloces du monde que traduit chaquephotographie, mais disent aussi une émotion individuelle. La marque d’allumettes «Le lion» dont l’artiste fait des boîtes signées de son nom est un «souvenir personnel», un biographème offert à l’appréciation des compagnons d’une époque, une remise au jour à la fois émerveillée et amusée d’un vieux marqueur d’identité collective.
Vœu d’équité et de partage entre les continents, l’œuvre de Hajjaj est aussi une dénégation de la banalisation des différences imposée par la mondialisation. La série My Maroc Stars, entièrement consacrée à des artistes marocains ou d’origine marocaine, raconte des succès internationaux mais confie également les insatiables aspirations d’un peuple. Du regard que le photographe pose sur les membres de sa famille spirituelle, il se dégage le portrait d’un Maroc tendu vers une vie nouvelle, impatient de s’arracher à ses relents d’incertitude, enragé à casser la chrysalide de je ne sais quelle attente.
Youssef Wahboun
Galerie Atelier 21
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