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Algérie – Politique culturelle : La fin de l’illusion par Mansour Abrous

Le 30 janvier dernier, le ministre de la Culture a dressé un bilan de l’année culturelle et artistique écoulée. Il a fait des propositions concernant le financement du projet culturel et a acté l’idée du financement des activités culturelles par le secteur privé.

Le ministre de la Culture sait que le modèle culturel algérien est épuisé. L’État déconcentré, les collectivités locales sont désengagées du domaine culturel. Les institutions culturelles peinent à faire vivre les projets de création, leur diffusion. Le projet culturel «officiel» et ses promoteurs ont tout abîmé : institutions, ressources, projets, artistes et il a multiplié les leurres de projets sans lendemain, d’institutions, où l’incompétence se monétise et le peu de productivité se salarie.

Le ministre de la Culture évoque la question du financement du projet culturel et des activités culturelles, la rationalisation des dépenses de fonctionnement et le contrôle des subventions et programmes financiers confiés aux établissements. Rien dans la gestion de son ministère ne lui témoigne un tel intérêt.

Se rappelle-t-il que l’État concentre, et c’est encore sa volonté, l’ensemble des moyens financiers, ressources humaines et patrimoine institutionnel, pour «contrôler» le projet culturel «officiel». Des années durant, l’entreprise «culture» a tourné à vide et fait un bilan en s’appuyant sur l’existence de plus d’une centaine de festivals. Cette période a consacré la domination de la logique rentière, fondée sur le recours à une forte dépense publique et les institutions ont dépensé, mal dépensé, sans compter.

La réduction drastique du budget du secteur de la culture accroît les difficultés de la prise en charge des politiques culturelles. Le ministre de la Culture croit donc venu le temps de faire de la culture une «ressource économique active», «une source de revenus et non plus seulement un secteur qui se contente de consommer» et «d’ouvrir tous les segments d’activité du monde culturel à l’investissement privé, national et étranger». L’État invite ses institutions à diversifier leurs sources de financement et somme les acteurs culturels et artistiques de financer ou de trouver un financement à leurs activités.

Le 12 janvier 2017, le ministre de la Culture a estimé, suite à la baisse des crédits alloués à son ministère, qu’il faut «atteindre la performance escomptée dans le secteur de la culture». Quelle(s) performance(s) ? Quel sera le périmètre d’intervention de l’État, réduit déjà pour l’essentiel à assurer le paiement de la masse salariale ? Quel sera la part «projets» dans le budget, le financement du tissu associatif national, du secteur culturel indépendant ? Quel sera le rapport du ministère aux acteurs culturels indépendants, aux initiatives privées et quels en seront les mécanismes partenariaux ?

 Le ministre de la Culture revendique l’aide aux associations culturelles. En 2016, il a été accordé 83 millions de dinars aux associations culturelles, soit 0,43% du budget.Cette part a diminué, car elle fut de 0,79% au budget 2014. Ce faible niveau de financement indique le peu d’intérêt stratégique accordé au secteur associatif et à l’émergence d’un projet culturel citoyen.

Le ministre de la Culture a raison de s’essayer à la transparence. Le 31 mai 2013 est créé le Fonds du développement des arts et des lettres, une aide «à la promotion et au développement des arts et des lettres». Les mécanismes de financement des projets, leur réception, leur étude et la réponse apportée, ne sont pas transparents.

Le ministère de la Culture insiste pour rémunérer l’échec. La manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015», dont le coût est estimé à 185 millions de dollars, est la manifestation culturelle la plus coûteuse depuis l’indépendance.Pour chaque manifestation culturelle organisée, le déroulé est intangible, immuable. Une période d’euphorie avec un énoncé d’intentions assourdissant, puis la désorganisation, et enfin le délitement de l’événement. Tout cela est suivi de l’absence de bilan et de non mise en responsabilité des organisateurs. Au mois d’avril 2016, le ministre de la Culture a dressé le bilan de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015» et affirmé que le pari de l’organisation de cette manifestation est gagné : «Toutes les activités programmées ont eu lieu, de même que la manifestation a bénéficié d’une grande médiatisation, ce qui lui a conféré une réussite sur le plan national et arabe.» L’échec est pourtant retentissant : désorganisation de l’événement, incompétence de certains responsables, commissaires d’exposition et équipes de production, projets à l’arrêt, pauvreté de la programmation, mauvaise gestion des équipements, gabegie financière et désintérêt du public. Un bilan global des dépenses de fonctionnement devait être produit pour le 31 décembre 2016. Ce n’est qu’un vœu, un principe, car la ministre de la Culture, le 8 décembre 2014, a fait état d’une attente «des rapports finaux concernant les activités des entreprises ayant bénéficié de budgets pour la célébration du 50e anniversaire de l’Indépendance».Elle a ajouté : «Le fonds dédié au Festival panafricain a été fermé en 2013 et celui consacré à la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique » sera, quant à lui, fermé en 2015, alors que le fonds d’ « Alger, capitale de la culture arabe » le sera après règlement des dettes.» Elle a constaté, le 18 novembre 2014, «un retard de 75% dans la réalisation des infrastructures de base et des grands projets, malgré la disponibilité d’un budget». «L’année de l’Algérie en France» fut aussi un non-événement. Il a permis de célébrer le vide institutionnel et de légitimer la caste des prédateurs du champ culturel. Il ne reste rien de cette manifestation, elle n’a pas profité au pays, ni à la culture, ni aux citoyens.

L’intérêt du financement privé de la culture peut s’entendre dans un partenariat public/privé, mais cela ne s’improvise pas, ne se construit pas dans le désordre. Cela est d’autant plus vrai, pour les arts visuels, dont le modèle économique est fragile. Pour masquer l’échec de la politique culturelle «officielle», le ministère de la Culture s’octroie «un droit à l’oubli» et fait un «appel du vide», à savoir susciter l’intérêt des opérateurs privés à investir dans le secteur de la culture. Les institutions culturelles, après avoir vanté «l’étatisation et le contrôle de la culture», s’érigent en défenseurs du modèle libéral, sans en mesurer les enjeux, les mécanismes et les modifications de périmètre de l’action culturelle.

Une dynamique à partager

Le ministre de la Culture souhaite la protection du patrimoine culturel. L’État est brouillon. Du côté des institutions qui ont en charge les missions de patrimonialisation des arts visuels, c’est le chaos stratégique et l’impuissance institutionnelle. Une administration centrale et ses déclinaisons locales, qui vivent un grand moment de solitude, d’incapacité structurelle, de paralysie programmatique, de marasme financier.

Le projet de patrimonialisation des arts visuels profite, par contre, de l’initiative libre et citoyenne, toujours plus large, plus importante, plus décidée, plus exigeante, plus efficace, sans aide de l’État, avec la création de galeries d’art, de plates-formes électroniques d’informations, de production de savoirs, d’associations citoyennes, d’événements originaux, de regroupements et d’associations d’artistes et de mises en réseau permanentes.C’est le mouvement que l’on voit, mais quel sera son avenir ? La protection du patrimoine culturel aurait pu commencer par une indignation du ministère à propos de l’inqualifiable situation de dégradation de 500 toiles d’artistes, entreposées dans les locaux de la galerie Racim.

Le dispositif de diffusion de la production artistique est faible, exsangue, anarchique, déséquilibré territorialement, entre grandes villes et le reste du pays. Le nombre de galeries d’art privées, professionnelles, est scandaleusement «confidentiel». Quelques galeries d’art privées font un travail de qualité (qualité de l’exposition, choix éditorial, marketing culturel, valorisation de l’artiste, circulation des œuvres). Elles ont vu le jour ces vingt dernières années, elles tentent de prospérer, les espaces étatiques d’exposition étant défaillants. Cette prospérité «d’existence» est-elle accompagnée d’une prospérité financière ? Il faudra questionner les responsables de ces galeries pour avoir un point de vue général de l’économie de ces lieux de diffusion.

Des projets originaux («Réseau50.com», «Les Ateliers sauvages», le «Sous-marin») voient le jour, ils sont à l’avantage de la communauté des artistes, pour diffuser leurs œuvres et organiser des temps de rencontres et d’échanges avec les publics. Des manifestations artistiques se développent depuis une vingtaine d’années. Elles ont des statuts divers, des réalités et vécus différents, une attractivité variable et elles ont le mérite d’exister. L’aide de l’État fait toujours défaut.

Ce constat, cette analyse, je les avais formulés, en contribution, il y a plus de deux années, à l’organisation  d’une conférence nationale sur la culture. Je reprends les éléments de conclusion : une scène artistique libérée de toute censure, entrave administrative, sanction financière ; un ministère de la Culture, avec des services compétents et mobilisés, des institutions revitalisées et bien gérées, des projets innovants, une rationalisation des dépenses publiques, une formation des intervenants culturels, la primauté de la compétence et du résultat.

La société civile, dessaisie de toute initiative culturelle, juge impératif, très tôt, d’instaurer de nouveaux mécanismes de gouvernance et une véritable capacité au contrôle et à l’évaluation des politiques publiques. Elle attend du ministère de la Culture qu’il élabore une stratégie ambitieuse, structurée et cohérente, et qu’il mette les ressources internes (humaines, logistiques, financières) à son service.

L’objectif est de construire un projet culturel fondé sur la productivité, l’innovation, l’économie du savoir. L’absence de relations avec les acteurs culturels, le secteur culturel indépendant, rend vulnérable le projet des cultures sur le territoire national. L’enthousiasme et la prospérité sont possibles, mais menacent aussi l’échec, la désillusion, la régression. Pour un projet des cultures plus respectueux des citoyens, il faut apprendre à bâtir des espérances, de la solidarité, de l’intelligence, être à l’écoute de la société civile, respecter les compétences. Ce sont nos seules exigences, nous «puissance des anonymes».

Mansour Abrous – 2017

 

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