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Détail : Nature morte, 1953, Khadda, aquarelle sur papier.

L’aspect ambivalent de la dénomination “Statut de l’artiste” par Saâdi-Leray Farid. 

Lorsqu’il obtenait, le 04 janvier 2020, le poste de secrétaire d’État chargé de la production culturelle, Salim Dada présidait toujours (et depuis mars 2019) le Conseil national des Arts et des Lettres (CNAL), une structure occupée à stimuler les traditions ou locutions plébéiennes du patrimoine culturel, à encourager les talents émergents, à émettre des avis sur l’éthique et la déontologie des disciplines impliquées, à circonscrire, conformément aux textes législatifs en vigueur, les modalités inhérentes au statut de l’artiste. 

L’ancrage juridique déterminera également les droits de sept domaines d’intervention répertoriés (musique, arts visuels, théâtre, danse, arts du spectacle, cinéma, audiovisuel et animation, littérature), permettra d’approuver la nomenclature des 179 (ou 180 ?) métiers affiliés aux Arts et Lettres, de filtrer les critères modelant la posture ou figure socio- professionnelle des plasticiens, comédiens, musiciens, danseurs, cinéastes …etc… Une fois adopté puis consigné par le ministère des Finances, leur numéro d’identification fiscal figurera en ligne. Considéré comme la “Grande réalisation” du programme de l’année 2020, cet enregistrement personnalisera chaque détenteur en tant qu’individu reconnu dans ses potentialités de faire ou d’agir, individu auquel sera offert la possibilité de s’émanciper des intermédiaires grâce notamment à la facturation d’œuvres soumises à imposition, donc à la transparence fiscale. 

Quand celles-ci sont vendues en catimini, le protagoniste empoche certes la somme d’argent convenue mais perd en crédibilité puisque le marchandage non déclaré ne garantit pas la fixation d’une cote sur le marché de l’art. Lorsqu’au XIX° siècle galeristes, collectionneurs, critiques d’art ou commissaires concouraient au déploiement de ce dernier, ils participaient concomitamment d’une part au caractère changeant du peintre (dès lors affranchi du mécénat) et d’autre part à l’amélioration de son statut juridique. Seulement, si aujourd’hui celui-ci instituera en Algérie les conditions de travail, niveau de protection sociale ou d’assurance maladie des concernés, il contient une interface qui ne dépend plus du corpus administratif mais des bouleversements plastiques que tel ou tel candidat à la notoriété (nationale ou internationale) fera agréger au sein du champ de prédilection, là où les spécialistes des mondes de l’art interviennent à postériori pour recaler ou valider propositions et prétentions. 

Pour que soit mieux perçue la face “A” (comme Art-création) du statut d’artiste (opposée à la face “B”, comme Bureaucratie), il faut résolument se référer à l’exégèse des érudits, les seuls aptes à enregistrer, sur l’échelle des actes hors du commun, l’adoubement des conduites singulières. Perturbant l’espace visuel du regardeur, celles-ci le font vibrer par l’émotion, brouillent ses frontières psychiques, renouvellent son accoutumance au goût, contribuent à la compréhension d’une expression du sensible passée au courant de la seconde moitié du XX° siècle du genre moderne au contemporain. 

En expliquant ou démontrant de façon pertinente qui sont en Algérie les responsables de cette mutation, en retraçant antérieurement leurs déplacements (Alger-Paris ou Orient- Occident) puis en décryptant les éléments de langage ou logomachies à l’origine de la re- singularisation esthétique de l’après İndépendance, historiens et sociologues (férus d’anthropologie et sémiologie) accréditeront de facto à qui revient le vocable Artiste-créateur, cerneront, parmi le lot des prétendants algériens, le nombre potentiel des heureux élus. Leur grille de lecture légiférera à ce titre sur les temporalités d’un autre processus mental né de la transformation du “Monde d’avant”. 

La dynamique de changement qu’emblématise le “Hirak” de février 2019 ne délivrera pas les artistes des pesanteurs ambiantes du présent ; les composantes socio-professionnelles du pays s’étaient, ce mois-là, certes réveillées parallèlement au « (…) travail de fond de certaines élites, (dont les) éclairages et dénonciations ont fini par être en phase avec une majorité aujourd’hui mieux préparée, plus réceptive et assurément disposée à la rupture », mentionnait Abderrahmane Moussaoui dans le El Watan du 20 mars 2019, mais sans toutefois préciser clairement avec quoi elles étaient disposées à rompre ? Tant que la majorité des Algériens ne résoudront pas la problématique de la double sécularisation (traduisible par la césure entre le spirituel et le temporel puis le slogan “État-civil et non militaire”) rien, selon nous, n’impactera favorablement l’évolution du statut de l’artiste-créateur, celui éclos en phase mais aussi et surtout en supplément aux règles juridiques. 

Depuis maintenant des mois, voire des années, nous investissons le champ politique, l’analysons sous ses diverses coutures afin justement de faire admettre aux intéressés que les facteurs de leur personnalisation sociale incombent plus aux futurs engagements militants qu’à un quelconque manifeste (le dernier en date est celui des designers) dont la rédaction ne reflétera qu’un aveu d’impuissance face au statu quo politico-religieux. Bien que n’ayant pas vocation à s’engager sur le terrain des luttes idéologiques, ils doivent néanmoins savoir qu’un créateur gagne en pouvoir d’attraction lorsqu’une série d’ouvrages est reconnue comme irrémédiablement singulière. Cette acceptation est l’aboutissement d’une longue individuation de l’acte artistique, individuation que nous saisirons peut-être mieux en convoquant l’histoire sociale des peintres et sculpteurs. 

Confinés au sein du régime artisanal des corporations, limités aux rigidités des commandes ecclésiastiques, subordonnés à l’univers mythico-religieux, ceux-ci pourront ignorer les exigences externes, davantage légiférer au niveau de la forme et du style lorsque de meilleures conditions sociales ou matérielles conforteront un régime professionnel qui prendra son essor à Florence. Malgré un cahier des charges toujours contraignant, les “polytechniciens” de la Renaissance italienne affirmeront de plus en plus une légitimité proprement plastique en raison de leur maîtrise des procédés mathématiques ou scientifiques, particulièrement de la perspective. L’habileté de virtuoses homologuait l’exceptionnalité du génie, un concept qu’incarnera pleinement, un siècle après Michel-Ange, Sandro Botticelli, Léonard de Vinci ou Piero della Francesca, Le Caravage. Celui que Nicolas Poussin qualifia de “Destructeur de l’art” exerçait à Rome, ville où collectionneurs et protecteurs raffinés raffolaient de ses clair-obscur novateurs attestant, entre Dieu et le Néant, des douleurs de l’Être-là. Toute la peinture chrétienne se jouant autour de la réincarnation, le peintre au néo- réalisme ou néo-naturalisme sulfureux bousculait au XVII° siècle le Maniérisme, se rapprochait du Christ, lui tordait à maintes reprises le haut du torse comme pour mieux confronter l’Horreur à la Beauté, méditer sur la mort et la jeunesse, faire appréhender au regardeur l’instant présent à lui seul perceptible. 

De là, le caractère factuel de tableaux ontologiques dans lesquels la lumière pourfend les ténèbres, laissent voir les tranches de vies de corps redescendus sur terre, des corps à la vérité crue, aux ongles crasseux et pieds sales car devenus les visuels d’une peinture allant bien au-delà du christianisme. 

En exhibant un sujet ressuscité, c’est-à-dire revenu en existant au centre des foisonnements et déclins des choses, elle pense le réel, l’intellectualise, en chamboule les carcans moraux, ouvre, par la délicatesse ravageuse, les portes d’un permissif qui annonce déjà l’inévitable glissement du régime professionnel vers le vocationnel. 

Le crucial transfert moderniste apportera « (…) un exutoire à la tension entre l’exigence de la conformité, synonyme de qualité académique, et l’exigence de rareté, synonyme d’originalité », écrit la sociologue Nathalie Heinich dans Du peintre à l’artiste, artisans et académiciens à l’âge classique (Londrai, De Minuit, 1993). 

Plaçant le peintre (ou sculpteur) au centre de la pratique artistique, le régime vocationnel confortait son envie intrinsèque d’embrasser de manière aléatoire et contingente, donc moins normative, une catégorie sociale différenciée des autres travailleurs puis détachée des servitudes mondaines des mécènes, cela au fur et à mesure que des acheteurs éclairés intervenaient à l’intersection des procédures commerciales et jugements de goûts. 

À l’affût des soudaines pulsions intérieures de troublions inspirés, les sponsors d’alors assuraient leur subsistances, entretenaient et consacraient leurs marginalités sociales et facultés anticonformistes acquises par l’inversion des codes esthétiques. La subversion contribuait directement à la dilatation d’un statut de l’artiste conçu conjointement à l’expansion du “Moi Je” romantique, lequel se réalisera aux contacts de contrées où les reliques patrimoniales de la mythologie chrétienne étaient censées reposer intactes. 

Les territoires de l’Algérie faisant partie intégrante des espaces vierges ou désertiques au cœur desquels les romanciers de la littérature viatique croyaient retrouver les sources christiques, ils seront investis également par ces iconographes du voyage oriental que furent les pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif. 

Ces membres s’acclimateront à “l’héliotropisme barbaresque” et participeront amplement à asseoir les savoirs faire de la peinture de chevalet au cœur d’une contrée où les “indigènes” colonisés adopteront à travers elle l’ensemble des présupposés égocentriques rapportés à l’éthique de singularité. Celle-ci subissant dans une second phase les injonctions partisanes de la Plate-forme de la Soummam d’août 1956 préconisant une « (…) rupture avec les positions idéalistes individualistes (…) » (en quelque sorte un renoncement avec les postures de “Prodiges” prophétiques) puis d’un Programme de Tripoli néfaste au cosmopolitisme culturel, le statut de l’artiste algéro-musulman épousera et combinera les réquisits d’une éthique de communauté antinomique aux plaisirs intimistes de la doxa “l’art pour l’art”. Si Albert Camus interviendra préalablement pour que la littérature puissent « (…) rompre avec le poncif oriental qui produit des œuvres sans âme et sans pensée », insistera de la sorte « (…) sur le génie et les talents de races différentes », les pluralités et altérités de la culture méditerranéenne se fondront dorénavant au sein d’une construction atypique dénommée “socialisme-spécifique”. Accepté comme réaction à l’individualisme bourgeois de l’Occident capitaliste et hégémonique, il renseigne sur une période marquée par la confrontation-négation à l’ “Autre” et le recouvrement d’une “algérianité” ou “algérité” purgées des habitus coloniaux. La plongée fanonienne sera le vecteur à partir duquel les peintres de l’ “École du signe” récupéreront et exploiteront des archétypes indemnes de toute contamination puisque sortis des souches mères de l’hypostase. Enfermés dans un dispositif mental truffé d’idéaux purificateurs et rétif à l’appropriation privée de l’objet peinture (luxe des privilégiés), ils aspireront néanmoins à pérenniser une identité de créateur par le biais de la “Galerie 54”. Rampe de lancement de leur montée en objectivité, elle sera soupçonnée de susciter des prétentions égotistes identiques à celle habillant auparavant un génie romantique isolé du biotope environnant, d’encourager une conception trop individualiste et se verra à ce titre rapidement remplacée par celle de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP) installée au 07 avenue Pasteur, lieu syndicalisé pris en main par des adeptes de “l’autogestion culturelle”. 

S’y mêleront amateurs, autodidactes et diplômés, tous en quête d’une acceptation professionnelle à interpréter comme possible adjuvant à une montée en particularité. 

Dans l’acquisition de chacun au statut du singulier, les horizons différeront à cause de de conditions sociales disparates et des contingences pécuniaires difficilement capitalisables dans un pays à l’économie planifiée et où la reconnaissance d’artiste n’incombait pas à un itinéraire répertorié comme innovateur mais selon un rôle voulu proche des masses prolétariennes ou paysannes et coordonnée aux signifiants maîtres du discours officiel. 

Confrontés à l’impossibilité d’accomplir les conditions de leur propre manstream ou narratif via une logique de positionnements concurrentiels et de transgressions esthétiques, les peintres se résoudront à des tractations souterraines passant outre les obligations fiscales, barèmes ou recettes imposables. Fonctionnant donc selon un circuit parallèle, ce commerce clandestin, dit “commerce en chambre”, générait des transactions frauduleuses favorables à l’instabilité juridique de vendeurs négociant le prix de leurs toiles en cachette, des œuvres parfois majeures disparues à la vue de tous. Ces “extractions” interlopes faussent les repères et perturbent la cohérence d’une chaîne d’intelligibilité qu’essayeront ensuite de reconstituer les historiens de l’art. 

En s’appuyant sur l’épaisseur communautaire de la création, leur travail de rétablissement donnera simultanément une consistance au statut d’un artiste livré à lui-même, “lâchant” des œuvres accaparées par des particuliers peu sourcilleux de la visibilité fiscale, tout cela dans un climat peu propice à un marché de l’art que la galerie “İssiakhem” voudra professionnaliser. D’abord sous l’égide de l’Office Riadh-el-Feth, elle sera ensuite attribuée à Mustapha Orif, un propriétaire cherchant à promouvoir la peinture algérienne à travers des données fiables faisant miroiter aux adhérents la promise ascension de leur carrière ou visée d’éternité. En voulant mieux asseoir la notion d’aura, il avait pour but d’instaurer celle de rareté par laquelle s’alimente et s’entretient la cote marchande, cote jusque-là soumise au gallicisme d’échanges aléatoires. Quelques mois après l’ouverture de son espace, ce directeur se confrontait aux desiderata des peintres phares dits modernes mais aussi à une réalité didactique. Sans l’appui théorique ou épistolaire d’intermédiaires capables de situer chronologiquement ou thématiquement le parcours et apports de chacun, d’installer une certaine cohérence dans l’appréciation d’un peintre, d’accorder plus d’importance à l’un ou à l’autre en démarquant les genres post-orientaliste, moderne et contemporain, il lui fut difficile de stabiliser la versatilité des conventions d’un paysage au sein duquel les peintres finiront par conclure qu’il fallait de vrais critiques d’art pour séparer le bon grain de l’ivraie. 

S’ils étaient donc prêts à s’en remettre aux personnes auxquelles revient les définitions de ce qui doit être l’art lorsqu’il prétend être de l’art, celles-ci faisant défaut en Algérie, ce sont quelques doublures qui tireront profits et arguties du vide analytique. L’absence remarquée et regrettée de ceux vraiment en mesure de faire valoir les indices de compétence, d’expliquer comment se dispute la qualité du “travail pictural”, remettait en cause le consensus portant sur la nature de la spécificité de chacun des “Anciens”. 

Parmi ce premier groupe majoritaire figuraient M’hamed İssiakhem, Mohamed Khadda, Choukri Mesli, Baya et Denis Martinez, tous classés (anormalement) par Mustapha Orif dans le giron “École de Paris”. Une fois défini le catalogage historique, la priorité du galeriste fut « (…) de faire émerger les artistes de talent pour qu’un public le plus large puisse les distinguer des autres artistes (…) qui ne fournissent pas le travail nécessaire pour que l’on puisse les célébrer de la même façon qu’un créateur » (1). 

De facto, l’agent économique plaçait le curseur sur les notions d’originalité et de rareté, exigences auxquelles se rapportait à sa façon Denis Martinez en faisant remarquer que « Jusqu’à présent, peut exposer chez nous n’importe qui, n’importe comment et n’importe où, quel que soit le niveau et la qualité de la production. Le manque de sérieux et de compétences des responsables des galeries et des salles, aidés par l’attitude inconséquente des mass- médias, ont contribué au développement de la médiocrité. Les fabricants de croûtes, les jeunes valeurs et ceux qui ont un long chemin derrière eux sont tous présentés de la même manière. » (2). Le débat se focalisait alors sur les valeurs à consacrer puisque, renchérissait Choukri Mesli, « Ce qu’il faut, c’est investir sur des artistes sûrs » (3). L’art restant la sphère où les pulsions narcissiques s’expriment avec le plus de véhémences, l’ex-aouchemite s’immisçait dans la polémique pour signaler que les peintres algériens « (…) fixent leurs prix sur la base de ce qu’ils estiment être leur valeur réelle, donc sur des considérations tout à fait personnelles et subjectives »

Ces indicateurs renvoyaient à des autosatisfactions imposant une estimation parfois farfelue prise en compte en l’absence d’experts à mêmes de repérer les formes sociales de la création esthétique, d’intervenir efficacement au sein d’un réel marché de l’art. Celui-ci se construisant parcimonieusement, les interventions intempestives sur la cote posaient problème, contribuaient moins à clarifier la pluralité du champ qu’à favoriser l’évaluation spéculative des “Anciens”. Dès lors, Mustapha Orif accroîtra l’offre en se tournant vers une autre génération de l’art moderne et contemporain. İssue de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger (ENBA), elle se composait de deux trios, celui de Malek Salah, Zoubir Hellal et Samta Benyahia, revenus en Algérie après un détour parisien et celui de Larbi Arezki, Ould Mohand Abderrahmane et Ali Kichou, les récents diplômés (1983) de l’institution du parc Zyriab. Malek Salah, Zoubir Hellal, Larbi Arezki et Ould Mohand Abderrahmane feront du Centre culturel de la wilaya d’Alger (CCWA) un pôle d’attraction artistique. Situé au 12 rue Abane Ramdane, ce lieu sous l’égide du Comité des fêtes de la capitale fut inauguré en 1981 afin de répondre positivement à la question du moment : comment, malgré de notoires complications matérielles et structurelles, faire valider une tendance esthétique ou afficher sa différence ? Si celle de Larbi Arezki apparaîtra évidente du 09 au 24 octobre 1982, le manque d’imprimeries qualifiées en quadrichromie et le monopole étatique exercé dans le domaine empêchera au peintre de la faire mieux apprécier via un catalogue de qualité. Des plus sommaire, celui le présentant au(x) public(s) se résumait à quatre feuilles (format 21X29, 7) pliées en deux et il lui faudra attendre plus de dix ans, soit l’exposition de 1993 au Centre culturel français d’Alger (CCF), pour bénéficier de plus d’égards. 

Conscient de ce besoin de lisibilité, Mustapha Orif offrait dès le départ aux affiliés un livret de bonnes factures accompagné d’un commentaire qui, en mettant l’accent sur l’itinéraire, contribuait ainsi à mieux informer sur la démarche de chacun, à raccourcir par là même le temps d’aperception au sein du champ artistique. Cette élémentaire disposition aidait également les acheteurs à choisir un visage extrait de la masse des peintres, argumentait la localisation d’un “juste rang”, instaurait identiquement le registre de la concurrence, facilitait ainsi la distinction entre genre moderne et contemporain, stabilisait une définition juridique de l’œuvre, laquelle conjugue la notion d’authenticité (qui renvoie à l’auteur) avec celle d’originalité (qui se réfère à l’objet ouvré) mentionnera Raymonde Moulin dans son livre Le marché de l’art. Celui en cours de structuration à Alger motivait une montée en singularité et parmi les autres territoires susceptibles de répondre à une attente de consécration, il y avait les centres culturels des pays étrangers, notamment ceux gérés par la France. 

İmplantés à Alger, Annaba, Oran, Tlemcen ou Constantine, ils montraient de plus en plus de peintres algériens, fonctionnaient pareillement comme tremplin distinctif, cela contrairement aux deux premières Biennales de 1987 et 1989, respectivement mises en adéquation avec les festivités du 25ème anniversaire de l’İndépendance et la célébration du trente-cinquième anniversaire du 1er Novembre 1954. 

Elles ne crédibiliseront pas le bornage d’une objective ascendance qui connaîtra un sérieux coup de frein pendant la “Décennie noire”. Venue sortir les artistes de ce long isolement, la saison culturelle de 2003, Année de l’Algérie en France, aura eu, comme unique point positif, le mérite de révéler le faussé séparant les plasticiens algériens de leurs alter-égos européens. La vaste manifestation Alger, capitale 2007 de la culture arabe ne réussira pas davantage à combler la triste sensation de défaillance en germination au creux d’une sphère esseulée en décalage croissant malgré une manne financière au beau fixe et par conséquent un nombre potentiellement plus important d’acquéreurs d’œuvres. 

Cependant, ceux réellement à l’écoute des secousses visuelles ou performatives avaient pour beaucoup déserté le terrain, s’étaient, par vagues successives, exilés en direction de cieux plus cléments, c’est-à-dire plus connecté à l’entreprenariat, l’Algérie demeurant, de par son système économique sous surveillances monopolistiques, peu déposée à laisser s’épanouir la création tous azimuts. 

Tlemcen capitale de la culture islamique 2011 et Constantine capitale 2015 de la culture arabe déploieront les mêmes fastes budgétivores, sources de gabegies et de corruptions n’ayant à ce jour toujours pas révélées les dessous de leur gouffre financier. Le choix de la quantité aux dépens de la qualité affectera durablement un secteur inadapté aux consécrations ou gratifications symboliques de l’artiste-créateur. Souvent apostrophé lors des rendez-vous diplomatico-protocolaires, ce modèle influe très peu au sein de la société algérienne sur le déplacement des opinions. L’histoire sociale de l’art atteste que cette faculté a émergé en Europe quand droit patrimonial, moral et d’auteur se combineront jusqu’à mobiliser la figure doxastique d’un individu débarrassé du poids des contingences externes, rémunéré en fonction de ses compétences, de l’inventivité d’un travail lui-même certifié par les marchés de la création. À l’instar des transmissions épistolaires et/ou livresques éditées en Algérie, l’historiographie artistique a tendance à volontairement délaisser l’itinéraire monographique des peintres, probablement dans le souci ultime de minimiser leur potentielle vision exclusive, de ne pas les hausser au stade de régénérateur émotionnel. Si les rapporteurs occidentaux ont souvent enrobé l’acte artistique d’une perspective divine, du côté de ceux généralement habilités à ponctuer les instants cruciaux de l’histoire sociale de l’art, l’actualisation du statut de l’artiste incombe d’abord à des milieux sociaux auxquels ils associent leurs observations de l’œuvre ou de l’artiste. 

C’est au plus proche de ces deux entités indissociables que les sociologues articulent les sémiotiques de représentation, impliquent l’intérêt culturel de demandeurs issus en Algérie pour la plupart de professions libérales ou institutionnellement gratifiantes. Leur acte d’achat renfloue la bonification esthétique de l’auteur, l’homologue socialement et professionnellement, apparaît d’autant plus pertinent lorsqu’il se conjugue aux accoutumances culturelles et fidélisations de publics mieux informés. 

L’historiographie parachevant l’habillage taxinomique de la face “A” du statut de l’artiste, il est donc maintenant essentiel de se pencher sur celle qu’alimentent quelques examinateurs du champ algérien. 

Afin de remédier à ses flagrantes inconsistances, Thierry Dufrêne, l’ex-adjoint au directeur général chargé des relations internationales à l’İnstitut national d’histoire de l’art (İNHA), ambitionnait en juin 2012 de coordonner un comité franco-algérien. Tué dans l’œuf, le projet sera remisé dans les tiroirs au bénéfice d’un programme essentiellement basé sur la protection et valorisation du patrimoine, comme si les œuvres d’art n’en faisaient pas partie intégrante. Huit années après, plusieurs exemples établissent pourtant la nécessité de reconsidérer une initiative que le groupe de recherche sur les arts visuels du Maghreb et du Moyen-Orient (ARVİMM) prendra à son compte en 2013 avec l’objectif d’observer au plus près les modernités ou contemporanéités plastiques du monde arabe et musulman. Censée contribuer « à la connaissance pluridisciplinaire des productions culturelles », Fanny Gillet- Ouhedia, la co-fondatrice du collectif, a l’obligation de rédiger des études originales non surplombantes, c’est-à-dire nourries de fréquents déplacements sur le terrain. 

Très peu en Algérie (pourtant son champ d’étude), elle changera, en douze ans, plusieurs fois de thématique de recherche. Après avoir soumis en 2008 à François Pouillon (alors directeur à l’EHESS/CHSİM du laboratoire “Anthropologie sociale et culturelle”) celle dénommée “Analyse des pratiques artistiques en Algérie (1962-2012)”, elle optera finalement en faveur d’un sujet de thèse questionnant (cette fois sous la direction d’un professeur de l’Université de Genève-Unité d’arabe) « Les relations entre la production artistique et le politique dans l’Algérie indépendante et la façon dont les artistes soutiennent ou contestent un pouvoir dans un contexte autoritaire ». Cette dernière réorientation explique sans doute les contributions de 2019 “Enjeux esthétiques et politiques de la mobilisation artistique durant la guerre civile algérienne (1992-1999)” (Histoire et politique, revue électronique du centre d’histoire de sciences Po N° 38 Mai-Août 2019) et “İl suffira d’ouvrir la coquille pour le récupérer : histoires développées du Monument aux Morts d’Alger de Paul Landowski”. 

İnterrogeant la crise de la représentation qui caractérise la production visuelle de la décennie 90, le premier texte ne mentionne pas l’exposition d’avril 1993 Dialogues avec Chaharazad que nous montions ce mois-là à l’İnstitut Cervantès, ou Centre culturel espagnol, d’Alger dans le but de délacer, en pleine guerre civile, le corset régicide structurant ou figeant l’unité circulaire d’un pesant réel. Pour cela, les plasticiens Nadia Spahis, Kenza Goulmamine, Rachid Necib, Karim Sergoua, Mourad Messoubeur, Noureddine Ferroukhi et Arezki Larbi étaient invités à opérer une sorte de décentrement de façon à exalter (via les couples antithétiques Bien-Mal, Désir-Tabou, Figure-Écriture, Vérité-Mensonge, Dicible- İneffable, Sensualité-Perversité et Présence-Absence) la sagacité nocturne d’un personnage du sérail repoussant, jour après jour, et par le truchement de sa seule rhétorique, une sentence programmée. 

À l’époque, la mort taraudait un quotidien ordinaire cadenassé de frontières mentales, et l’héroïne des Mille et Une nuits se mouvait (de manière abstraite) au cœur d’une vision binaire de l’espace et du temps pour y apparaître en femme-fatale, femme-corps, femme- mémoire, femme-enfant, femme-énigme, femme-légende ou femme-œil. 

Passer outre une monstration polysémique “réfléchissant” les chocs telluriques d’un innommable présent, c’est faire l’impasse sur une des séquences de l’histoire de l’art et volontairement ignorer son curateur alors que, loin d’être hors-sol, celui-ci vivait sur le tas les évènements, suivait à Kouba, notamment à la cité Ben Omar, ou à Bab-el-Oued (où résidait son épouse) les exactions des psychopathes du MİA (Mouvement islamiste armé), précurseur des GİA (Groupes islamistes armés) mutilant des corps que les figures ou silhouettes hiératiques d’Abdelwahab Mokrani traitaient sous formes de réclusions oppressives. 

Les dosages traumatiques de son état carcéral contrastaient avec les effusions amoureuses de Noureddine Ferroukhi, lesquelles atténuaient les pulsions de mort au profit de l’Éros, désamorçaient le déterminisme ambiant par le biais de montages iconographiques à saisir comme déviances érotiques et fantasmatiques. Ponctuées de signes séducteurs suggérant la plénitude sensuelle et charnelle de belles chairs orientales, ses compositions essaimaient la complexité émotive et l’ambivalence organique du corps-cliché, en faisaient frissonner les plages érogènes de manière à troubler et défier l’ordre établi ou rigoriste et par ailleurs à fragmenter le cadre académique ou conventionnel du tableau. Nadia Spahis l’habillait quant à elle d’images pastelles et de fétiches-alcôves remplissant le vide physiologique d’appartements transformés en cabinet de curiosités venues distraire des « Cités que l’amour a désertées, des lieux où le cœur ne bat plus, où l’homme et la femme, secs dedans, morts à l’intérieur s’évanouissent », écrivait Alain Dromsom, à la page une du catalogue de l’exposition Algérie exil intérieur agencée au mois d’octobre 1993 au Centre culturel français d’Alger (CCF). 

Ce passage, nous le rappelions au sein du texte du 29 juillet 2017, “Nadia Spahis : chroniques histrioniques et pathologiques du non-renoncement au corps”, texte que ne rappellera pas Fanny Gillet-Ouhedia dans celui donc intitulé “Enjeux esthétiques et politiques de la mobilisation artistique durant la guerre civile algérienne (1992-1999)”. 

Portant sur les problématiques de la représentation, il révélait « les tensions à l’œuvre entre les limites du permissif et de l’interdit » et revenait à cette occasion sur la manifestation Algérie, exil intérieur dans laquelle Nadia Spahis aurait donné « son sentiment sur la période de terrorisme ». Ce rapprochement, n’appartient pas en propre à la jeune artiste du moment mais à une interprétation précédemment livrée au sein de notre thèse de doctorat. 

Puisque les psychologues ou psychopathologues abordent le thème de l’exil intérieur à travers des « moments de traversée des altérités » (4), repèrent (à l’instar d’ailleurs des modalités de communication) ce repli sur soi dans l’analyse de la relation transférentielle, parlent alors de « sujet mélancolique », nous écrivions logiquement en page 557 que Nadia Spahis abordait « Les rapports de non réciprocité entre le dehors et le dedans en jouant sur l’équivoque intérieur/extérieur, réconciliait présence et distance à travers le regard lointain et mélancolique d’une captive résignée dont l’infondé libidinal se diluera dans la fuite d’un imaginaire ». 

Or, après s’être, comme beaucoup d’autres, inspirée de ladite thèse, Fanny Gillet- Ouhedia prendra le contrepied de notre propos (façon de contester en avoir pris connaissance) réédité au sein d’autres contributions et signalera que « plutôt que des images au caractère mélancolique ou macabre, le catalogue laisse découvrir des peintures figurant l’atmosphère chaleureuse et détendue d’un décor intérieur aux couleurs chamarrées. Sans rapport avec le conflit, le choix de cette série réalisée préalablement répond autant à une prudente réserve qu’à l’urgence de témoigner de la situation. Car seule la lecture des textes autorise effectivement le lecteur à saisir la relation anxiogène que l’artiste établit avec son environnement ». Dire que les tableaux exhibés sont « Sans rapport avec le conflit » et arguer une ligne en dessous qu’ils répondent « à l’urgence d’une situation », c’est avancer simultanément une chose et son contraire, émettre un paradoxe caractéristique de la pensée confuse de l’autrice. Chez elle « L’exil intérieur évoqué par le titre de l’exposition renverrait donc moins à l’idée d’un refuge momentané et vertueux dans le bien-être de l’intimité qu’au sentiment d’enfermement d’une population confrontée à la perte de sens et à l’absence de liens humains dans le quotidien des années 1990 ». 

Dans la décennie 90, la profanation des tombes des anciens combattants soulevait de manière mortifère la problématique du corps ; l’oubli ou la négation de celui-ci a été, après Choukri Mesli, Denis Martinez et M’Hamed İssiakhem, traité par Noureddine Ferroukhi, Samta Benyahia, Abdelwahab Mokrani, Kamel Yahiaoui et Nadia Spahis comme questionnement d’un lien entre un enclos du sensuel et son dehors, un vécu fictionnel (érotique ou non) réalisé dans l’intériorité-extériorité de l’absence de l’autre, être aimé ou non, fantasmé ou non. À ce stade précis d’un malaise psychique à assimiler « aux objets indéfiniment substituables », l’attitude contradictoire du sujet mélancolique est justement de « nier tout rapport à l’autre ». Omniprésent dans les corps-à-corps quotidiens opposant les forces militaires armées aux coups d’éclats sporadiques du terrorisme frontal et résiduel, l’Autre disparaissait dans la réalité désaffectivée qui fait « écran à la réalité proche de la jouissance originelle ». Les troubles perceptifs affectant le sujet mélancolique proviendraient donc de son manque de détachement avec ce plaisir primordial encore présent au cœur de « l’objet esthétique qui permet encore d’indiquer, au-delà de la forme, (cette) proximité recouverte par l’élaboration symbolique propre à la vision esthétique » (5). Dès lors, l’interprétation du transfert est pleinement d’ordre phantasmatique, sentiment que laissaient bien transparaître les toiles de Nadia Spahis. 

Pour la plupart narratives, elles transportaient le regardeur dans un ailleurs teinté “d’africanité”, d’une civilisation dont la magnificence spirituelle du corps configurait celui-ci comme sujet du moi mais aussi comme objet en soi, c’est-à-dire comme médiateur entre le groupe et le cosmos. Si le professeur Michèle Huguet (6) interrogera l’Exil intérieur en tant qu’espace de perméabilité de l’ennui pour établir qu’il relève (en dehors de la résolution pulsionnelle et sociale) d’une indétermination révélée en perte de l’idéal, en collapse civilisationnel ou en figure de l’égarement, du côté de Béatrice Didier, il est avant tout un mode de détachement vis-à-vis d’autrui. İncapable « de se rendre compte de sa solitude ou de son besoin d’expression corporelle et sentimentale, l’individu, non touché par les marques d’affections portées envers lui, n’exprime plus ses émotions » (7). L’exil constitue alors selon elle un échec du déplacement consumé intérieurement par la nostalgie, voire la mélancolie.

 


Nadia Spahis : Moderna, technique mixte, papier, 80x120cm. (1993).

 

On retrouve chez Nadia Spahis l’intrication exil géographique-exil intérieur au sein d’une peinture montrant une femme lascive et recluse qui, regardant au loin par la fenêtre de son appartement algérois, rêve d’évasions. Face au tableau, chaque spectateur pouvait ainsi s’échapper d’un présent de plus en plus chaotique puisque le 18 octobre 1993 le journaliste de l’ENTV Smaïl Yefsah recevait plusieurs impacts de couteau devant son domicile. İl sera achevé par balle comme l’avait été avant lui les six autres journalistes Tahar Djaout, Rabah Zenati, Mustapha Abada, Abderrahmane Chergou, Saad Bakhtaoui et Abdelhamid Bennenni. İls exerçaient de leur vivant au sein de quotidiens, hebdomadaires ou mensuels sous la contrainte des “Chambres de délits de presse” statuant sur les informations ou révélations “abusives”, une surveillance à laquelle n’échappait pas le journal El Watan qui titrait le lendemain : “NON AU GÉNOCİDE”. Ancien élève de l’École normale supérieure et désormais chercheur au CNRS (laboratoire THALİM), le sociologue de la littérature Tristan Leperlier rapportera ces événements dans son ouvrage Algérie, les écrivains de la décennie noire (8) et renverra ses lecteurs vers notre thèse de doctorat. Légion dans le monde de la recherche, ce procédé déontologique est y communément appliqué sauf semble-t-il par Fanny Gillet-Ouhedia puisque son texte “Enjeux esthétiques et politiques de la mobilisation artistique durant la guerre civile algérienne (1992-1999)” cite le livre de Leperlier tout en prenant bien soin de zapper un travail de plus de 1000 pages maintes fois consulté à la bibliothèque de l’Université Paris VIII, cela au même titre d’ailleurs qu’un nombre important de contributions. Naviguant entre le particulier et le collectif, notre sociologie insiste souvent sur l’individuation de l’acte créateur dans le souci de faire saisir que c’est à l’auteur, et non à des pressions ou appréciations externes, de décider de la transformation de son statut d’artiste. 

Les chercheurs qui participent à mieux distinguer sa face “A” (comme Art-création) de sa face “B” (comme Bureaucratie) et explorent parallèlement le terrain algérien ne sont pas légion. Aucun ne possède aujourd’hui le titre de maître de conférences, faute d’avoir obtenu préalablement ce que l’on nomme communément la “Qualification”, une espèce d’homologation ou caution intellectuelle enregistrée suite à l’envoi d’un ou plusieurs textes à la revue scientifique thématiquement identifiée (au possible l’une des plus prestigieuses du domaine concerné). 

Même si la thèse, de par sa qualité intrinsèque, demeure déterminante, les institutions réclament souvent de voir les contributions. Dorénavant nombreuses, les nôtres ne figurent pas dans les brochures scientifiques réputées puisque adressées principalement à des journaux ou webzines algériens. 

Après avoir refusé d’intégrer des équipes ou centres de recherches, nous poursuivrons un mode de vulgarisation atypique, le menons hors des sentiers battus de la scolastique pompeuse dont sont imprégnés les écrits des prétendants aux hautes fonctions universitaires. Publier avant une soutenance apparaît chez eux un enjeu pour ainsi dire incontournable, surtout lorsqu’ils envisagent de défendre la prééminence de tel ou tel travail. 

Lorsque Fanny Gilet enquête en 2019 sur le Monument aux Morts de Paul Landowski sans renvoyer à notre article “Emmanuel Macron fera-t-il découvrir et/ou rapatrier le Grand Pavois d’Alger ? (article accessible sur “Wikipédia” suite au papier adressé le 27 juillet 2017 au webzine Lematindalgerie), elle s’attribue frauduleusement la paternité d’un sujet édité deux années plus tard au sein de l’ouvrage L’Algérie au présent. Entre résistances et changements” (Karthala, Mai. 2019). Sous la direction de Karima Dirèche (9), le document réunissait soixante-quatre convoqués censés offrir « des éclairages inédits (…) fruits d’enquêtes de terrain originales ». 

La production de la proche partenaire du groupe de recherches sur les arts visuels au Maghreb et au Moyen-Orient (ARVİMM) ne rentre nullement dans ce “cahier des charges” puisque d’une part nourrie d’une réflexion antérieure et d’autre part écrite hors-sol. Pour être certain de notre anormale éviction bibliographique, nous avons demandé à la “soupçonnée d’usurpation de paternité” de mettre l’article ciblé en accès libre. Aucune réponse n’étant venue satisfaire à cette légitime requête, nous concluons (faute de pouvoir consulter ailleurs ledit texte) avoir été délibérément effacé du “tableau référentiel”, un modus operandi contrariant que Karima Dirèche aurait probablement condamné si elle avait été informée en temps et heure. 

Ses prétentions “avant-gardistes”, Fanny Gilet les estampillera également sur la plateforme culturelle “Founoune DZ” où depuis le 28 juin est posté le texte “Pratique artistique et régime de l’image dans l’Algérie postcoloniale (1962-1965)”, texte assertant que « La “génération des années trente”, telle que nommée dans l’histoire de la peinture algérienne contemporaine, est intimement liée au régime socialiste révolutionnaire de l’époque postcoloniale ». Maintenir un tel propos, c’est inclure au sein de ladite génération Abdallah Benanteur, lequel n’a aucune affinité avec le “régime socialiste révolutionnaire” ou “socialisme-spécifique”. Lorsqu’il quitte en 1953 (en compagnie de Mohamed Khadda) la cité oranaise sur un bateau baptisé “Ville d’Oran” pour rejoindre, via Marseille, la capitale française, il largue les amarres d’un champ pictural impacté de réalisme ou d’académisme et tellement garni de chromos exotiques que le futur parisien était convaincu que le peintre orientaliste Étienne Dinet détenait « (…) les clés de nos racines ». Cependant, quand l’artiste en herbe se trouve au cœur de la création européenne, il ne défend aucunement (contrairement à Khadda) la cause des opprimés ou “Damnés de la terre” mais se consacre à bâtir une carrière balisée sur les traverses d’une éthique de singularité. À ce titre, il avouera plus tard que « (…) dans l’art pictural, c’est l’individu qui est prépondérant, non la collectivité. ». Suffisamment claires, ces précisions démentent les postulats non fondés et farfelus d’une femme n’ayant visiblement jamais rencontré (contrairement à nous) Abdallah. Aussi, nous lui recommanderons le livre de Djilali Kadid Benanteur, Empreintes d’un cheminement (éditions Myriam Solal. 1998) qui lui aurait fait saisir des penchants très éloignés de la propagande pseudo-marxisante du parti unique FLN. Le peintre Mohamed Aksouh ou encore le sculpteur Abdé Bouhadef ne manqueront d’ailleurs pas, eux aussi, de démentir une filiation anachronique relevant de l’ineptie historique. Épinglée au registre de la malhonnêteté intellectuelle, Fanny Gillet-Ouhedia manque aussi manifestement d’une grille de lecture complète du champ en question. Aussi, nous lui répondrons ceci le 02 juillet 2020 : « Je pense justement que la mise au point faite à votre encontre est complètement appropriée. J’ai longtemps fermé l’œil sur des aberrations écrites au sujet de protagonistes activant ou ayant activé au sein du champ artistique algérien. L’intégration supposée d’Abdallah (Benanteur) à une génération “intimement liée au régime socialiste révolutionnaire de l’époque postcoloniale” ne tient pas la route. Si ses fils (ayants droit) et son galeriste attitré lisent votre contribution, il est probable qu’ils publient eux-mêmes les rectificatifs adéquats. İls pourraient mêmes juger que votre “papier” puisse porter atteinte au parcours du peintre, voire à son image identifiée sur le marché de l’art. Je vous convie donc à revoir votre copie, et espère qu’une plus ample équipe de recherche mette à l’avenir vraiment les pieds dans le “Couscoussier” algérien de manière à y travailler de la meilleure des façons, trouver à ce titre, et par là-même, les bons financements. Ceux-ci étant aspirés par le “Chouchou patrimoine”, il s’agit donc de les orienter vers d’autres priorités (quêtes et catalogages des œuvres, matériaux connexes ou annexes, historiographie artistique, etc…). Je vous souhaite donc une prospère continuation, continuation à laquelle je tenterai, dans la mesure de mes disponibilités, d’apporter un bienveillant regard. » 

L’Algérie manquant cruellement d’investigateurs compétents, notre mise au point relançait une préoccupation relative à la déficiente historiographie artistique. Combler au plus vite ce vide informatif ou cognitif, c’est non seulement apporter de la pertinence au statut de l’artiste (version face “A”) mais aussi mettre fin à une curieuse situation voulant que, après l’identification des analphabètes bilingues, est venu le temps des ni vraiment peintre, sculpteur, performeur etc… ni vraiment chercheur, critique d’art ou curateur. Des récipiendaires de bourses parti(e)s faire des études supérieures à Paris (alors que l’officialisation en 1985 de l’ENSBA devait annuler cette espèce de villégiature à bon marché) pensent qu’un DEA ou un doctorat (que la plupart n’arrivent pas à finaliser au bout de cinq, six, voire parfois 10 années) obtenu dans la capitale française attribue mécaniquement l e label “Artiste”. 

Plutôt médiocre, leur thèse plagie souvent celles déjà entérinées, n’apporte rien de nouveau en termes d’analyses critiques ou historiques et cache mal la diversion liminaire consistant à maquiller des difficultés proprement plastiques, soit l’absence de talent innovateur. 

Prétendre pouvoir apporter un point de vue autre sur un paysage peu investigué requiert une exploration assidue, cela d’autant plus qu’un certain protectionnisme culturel a isolé dès Juillet 1962 des protagonistes confrontés aux contorsions politiques d’un régime tellement féru d’expériences spécifiques qu’il édifiera son “algérianité” ou “algérité” sur des conceptions religieuses afin de préserver la société postcoloniale des catégorisations théoriques. Ne pas déconstruire la réalité présente restant l’obsession des gouvernants algériens, on mesure ici mieux pourquoi, à l’instar des sciences humaines et sociales, l’historiographie artistique est volontairement délaissée. Aussi, on ne peut que se féliciter des récents apports analytiques de Florian Gaité et Camille Penet-Merahi. 

Le premier a publié au sein du numéro 53 de la revue Critique d’art (magazine collaborant avec l’İnstitut français d’Alger et l’İnstitut national d’histoire de l’art au projet d’aide à écriture initié en 2016) l’essai “Plasticien du bled. De Sadek Rahim au Hirak, l’art contemporain algérien en quête d’autonomie”. 

Venu en Algérie pendant le printemps 2019, ce quatrième lauréat y sondera les soubresauts politiques dans le but de savoir si la dynamique de changement que caractérise le “Hirak” allait avoir des incidences directes sur le décloisonnement d’un champ artistique soumis à l’immobilisme et étudié sous couvert des œuvres que Sadek Rahim exhibait alors au Musée d’art moderne d’Oran (MOMA). Mettre en concordance l’autonomie alternative de l’art contemporain avec les flux d’un vaste mouvement populaire, c’est d’emblée supposé que celui-ci finirait par provoquer une décantation notoire au niveau des structures culturelles. 

Bien que nos textes “İl n’y a pas de Révolution en Algérie” (août 2019) et “Ce que le Hirak algérien dit de l’intention picturale” (octobre 2019) répondront par la négative à cette hypothèse, nous recommandons la lecture d’une réflexion dans laquelle est cette fois signalée notre contribution d’avril 2019 “À la Biennale de Venise, le pavillon algérien prend l’eau et la poudre d’escampette”. 

Enseignante au sein du Département histoire de l’art de l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand) puis intégrée au créneau “Dynamiques culturelles et artistiques” de la jeune équipe du CHEC, Camille Penet-Merahi a quant à elle soutenu le 08 février 2019 le doctorat L’écriture dans la pratique des artistes algériens de 1962 à nos jours

Consultable sur la “Toile”, il s’appuie sur l’antériorité de publications, communications et interventions publiques qui, pour beaucoup, font la part belle à Denis Martinez (“La carrière de Denis Martinez ou les racines de la culture algérienne au service de l’art contemporain”, “L’écriture dans les œuvres de Denis Martinez”, “Construire une Algérie multiculturelle. Les titres de Denis Martinez”, “L’art contemporain algérien post- indépendance : la transmission d’une culture à travers les œuvres de Denis Martinez”, “La remise en valeur de la peinture algérienne du XXème siècle : l’exemple des peintres du signe”). Le focal a pour effet néfaste de laisser croire que le pied-noir algérien est la figure de proue des interlocutions esthétiques à l’origine de la modernité et contemporanéité artistique. Nous savons qu’il a longtemps souffert d’ostracisme et supposons que sa tendance à tirer la couverture vers lui a pour souci légitime d’apparaître aux bonnes places du chapitre, surtout lorsque l’entrisme forcené de quelques héritiers s’ingénie à inscrire en Lettres d’Or M’Hamed İssiakhem, Mohamed Khadda et Choukri Mesli, noms occupant davantage le haut de l’affiche. Tous trois ont eu l’honneur (avec catalogues et conférences à l’appui) d’exposer au Musée d’art moderne d’Alger (MAMA), sauf justement Denis Martinez, un oubli ou rejet injuste auquel il faudra assurément bientôt remédier. Son indispensable monstration facilitera certaines corrections apparues nécessaires après la mise au point que nous adressera l’ex- aouchemite Mustapha Adane, cela une fois lu notre article “Télescopages dans le sectarisme d’un Hirak à désacraliser”. 

Dans celui-ci, nous comparions l’excommunication que subiront les interviewés du documentaire polémiste Algérie mon amour à celle touchant, en février-mars 1967, les membres du groupe Aouchem (tatouage) débarqués le 17 mars 1967 manu militari de la Galerie Racim (07 avenue Pasteur à Alger) quand « İssiakhem, Samsom et Farès déverseront une bouteille de bière sur les œuvres, les décrocheront et feront vider la salle ». Tirés du livre Denis Martinez, peintre algérien, ces renseignement sont démentis par Adane qui, assistant à la brutale éviction, nous notifiera (par e-mail) ceci : « À 87ans, je tiens à dire les faits exacts qui se sont déroulés la veille du vernissage des peintres Achemiste. Non, Samsom n’était pas avec İssiakhem ; paralysé des deux jambes, il ne pouvait être là, idem de Farès qui habitait loin d’Alger à l’époque. Dans la soirée, lors de l’accrochage à la galerie de l’UNAP, İssiakhem et une bande de voyous ivres firent irruption avec des insultes en décrochant des œuvres. Mesli, Martinez et certains peintres ont fui les lieux. J’avais un marteau, je dis à İssiakhem “Je t’arrache le moignon qui te reste si t’approche de mon travail. Ne touchez pas au territoire adanien”. Le lendemain, il y eu quand même le vernissage. Mesli et moi nous avions projeté d’inviter à cette occasion les peintres marocains et tunisiens pour la création de l’union maghrébine des arts plastiques, mais le contexte politique … Que le Manifeste soit manipulé pour créer le symbole du signe, “TATOUAGE”, c’est compréhensible, mais dans le manifeste notre revendication était claire : on voulait l’authenticité de notre patrimoine millénaire, de l’écriture berbère, et d’autre part manifester notre soutien à ceux qui combattaient au Vietnam et en Afrique …» 

Bien venu et parfaitement accepté, le rectificatif de Mustapha Adane a comme point positif de relever le besoin de croiser les sources, de toujours interroger le plus de protagonistes possibles. İl faudra par conséquent l’avis complémentaire du dernier des Mohicans, Noureddine Chegrane, savoir si ce “Peintre du signe” contredit à son tour Ali Silem, celui-ci écrivant en mars 2014 que les affiches furent « arrachées, les œuvres décrochées des cimaises sans ménagement. Les peintres M’hamed Issiakhem, Mohamed Temmam, Farés Boukhatem et İsmaïl Samsom sont les plus véhéments inspirateurs de cette descente musclée. Les artistes sont fustigés, de la bière est déversée sur un relief, une autre œuvre reçoit un jet de salive, les insultes fusent ». 

Nous remercierons donc Adane d’avoir témoigné sur un vécu remontant à cinquante- trois années, et lui ferons part à l’occasion de notre incompréhension au sujet d’un ministère de la Culture incapable de mobiliser les énergies afin de « mettre en place un groupe de recherche en mesure de combler le vide épistolaire (dont souffre le domaine en question) et d’émettre ainsi des éléments factuels, voire des réponses éclairantes. Pourquoi donc ladite tutelle semble refuser de réunir chercheurs algériens et français (ou algéro-français) alors que ces derniers possèdent une méthodologie bénéfique aux premiers ? Pourquoi délaisse-t- elle la mise en écriture des parcours individuels et à fortiori des œuvres ?». Ces interrogations ont un rapport direct avec le refus des instances dirigeantes de privilégier les paramètres inhérents à la phase “A” du statut de l’artiste. 

Appréhender ce dernier comme individu muni de facultés émancipatrices, c’est lui concéder le pouvoir de desserrer les nœuds gordiens du maillage paradigmatique, un présupposé impensable chez les tenants d’un système autocratique. Arguer que l’auteur influe directement sur son statut, c’est bousculer les fondements idéologiques d’une nation articulée autour des inamovibles “Constantes nationales”, accorder à chacun la possibilité de sortir des carcans unanimistes, donc aux créateurs de s’extraire de la “Culture Beaux-arts” léguée. Elle sera dès l’İndépendance enseignée à l’École du Telemly alors qu’elle incite à combiner des éléments issus de la tradition ou des savoirs acquis, nie toute rupture possible avec le déjà-là esthétique pourtant condamné en tant que résidus acculturant. 

Orientée sur la promotion et préservation du patrimoine, l’action de Nadia Bendouda se situe à l’opposé des impératifs de l’heure. Nommée le 04 janvier 2020, elle s’est depuis débarrassée de l’encombrant secrétaire d’État Salim Dada, un “Cheval de Troie” également évincé du poste de président du Conseil des Arts et des Lettres (CNAL) à la tête duquel se trouve désormais, depuis le mardi 30 juin 2020, Mohamed Sari. İnterrogé le 23 juillet par le journal francophone L’Expression sur les avancées du statut de l’artiste, l’écrivain révélait que, embourbé au sein d’un « grand chantier», il faisait encore l’objet de tractations juridiques, d’embuches retardant l’accomplissement d’un projet maintes fois abordé (par sa face “B”) en vain. 

Structure consultative validée par décret (n° 11-209 de 2011), le CNAL ne pourra délivrer la carte professionnelle d’artiste qu’une fois ses prérogatives étendues, point qui suppose l’obtention d’une souveraineté décisionnelle ou délibérante. Membre permanent du Conseil, le ministère du Travail veillera au grain et bridera probablement, via quelques nouvelles mesures coercitives, la relation qu’entretient ordinairement l’artiste avec les institutions non étatiques. Si la protection sociale et fiscale facilitera sa liberté de création, elle ne lui garantira pas l’adoubement promotionnel que, encore une foi, seuls sont habilités à formuler les acteurs du monde de l’art. En font partie intégrante l’historien et le sociologue, deux absents majeurs que remplacent au pied levé quelques animateurs d’estrades annoncés (ou s’annonçant) comme penseurs éclairés. 

Reconduit pour la sixième (ou 7ème ?) fois consécutive au sein du département “Arts- plastiques” du CNAL, Zoubir Hellal Mahmoud appartient à cette catégorie de gens qui, persuadés de délivrer la science infuse, ne supportent pas la contradiction et manigancent des entraves interlopes minant les espérances louables d’artistes par ailleurs découragés de voir leur statut perpétuellement scellé aux dictats ou imbroglios administratifs. Aux yeux du romancier Sari, le problème serait avant tout d’ordre sociétal et matériel (absence de salles de cinéma, de public au sein des musées, théâtres, librairies ou bibliothèques) mais pas politique. 

L’ombre du pouvoir militaro-industriel planait pourtant le 22 juillet 2020 lorsque, invitée à participer à la thématique “Restitution des crânes et restes mortuaires des martyrs de la Résistance populaire”, Nadia Bendouda signait avec ses homologues des ministères des Moudjahidine et de la Jeunesse deux conventions visant la diffusion de la culture de l’histoire et la consécration des principes de la Révolution de Novembre. C’est également en compagnie du président du Haut Conseil islamique (HCİ), et des cadres de la direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), que la ministre de la Culture et des Arts estimera nécessaire de se consacrer entièrement à « la doctrine de fidélité aux sacrifices des pères et ancêtres pour la hisser dans divers domaines avec une abnégation et un dévouement sans faille ». La présence inappropriée de la philosophe Bendouda à un tel colloque prouve qu’elle s’inscrit de façon moutonnière dans un schéma mémoriel, voire une OPA risquant fort de rétracter les marges de manœuvre de plasticiens incités à se conformer au paradigme de renouveau dans et par l’authenticité révolutionnaire. De là, l’intervention à entreprendre auprès de l’Union européenne (UE), de l’UNESCO et responsables du ministère français de la Culture afin de rediriger au profit de la création artistique les financements alloués suite aux décisions prises lors des divers comités intergouvernementaux de Hauts niveaux (CİHN) institués conformément à l’alliance “France-Algérie”. Les fonds débloqués devront dorénavant servir à l’essor de l’historiographie artistique, élan sans lequel il sera impossible de modéliser efficacement la face “A” du statut de l’artiste. Celui-ci pâtit de plusieurs entraves ou inhibitions que reflète parfaitement la remarque liminaire de Camille Penet-Merahi précisant que « Le principal obstacle auquel j’ai été confrontée pendant mes recherches a été l’accès aux sources. En Algérie, les fonds d’archives du Musée des Beaux-Arts d’Alger constituent probablement des informations précieuses mais mes demandes ont été confrontées à une absence de réponse de la part des responsables » 

Nous avons connu un identique désagrément pendant le déplacement effectué en 2010 dans le cadre de la thèse de doctorat, subissant à l’époque une fin de non-recevoir de la part de la directrice du Musée des Beaux-Arts d’Alger, Dalila Orfali. Là voilà curieusement retenue par Nadia Bendouda pour superviser le “Chantier de réforme du marché de l’art” alors qu’elle fut précédemment incapable de pondre le bilan réclamé fin mai 2018 par l’ex-ministre de la Culture Azzedine Mihoubi à la suite de l’inconsistant Printemps des Arts (nous rédigerons finalement le compte rendu “Les actes manqués de la Foire Printemps des Arts“). Sa remplaçante du jour aspire maintenant à « une scène artistique saine, basée sur une réalité artistique solide et non sur des noms passagers », donc, si l’on a bien compris, fondée à partir des patronymes de créateurs au long cours. Mais, quels sont aujourd’hui les penseurs ou chercheurs possédant la grille de lecture capable de les cerner en tant que porteurs d’une démarche innovante, celle qui, à un moment “T” a concouru à élargir l’aperception conceptuelle et esthétique du champ artistique ? 

Pour le savoir, nous avions, il y a environ sept ou huit ans, adressé à quelques universitaires ou doctorants un courriel proposant concomitamment d’organiser un Think Tank. En motivant les échanges entre les spécialistes de l’art installés des deux côtés de la Méditerranée, ce laboratoire d’idées aurait, à la suite de multiples discernements, remis les pendules à l’heure, c’est-à-dire replacé chacun là où il doit être, cela conformément à des argumentations scientifiques et non selon les complaisances des encartés de la majoration à faibles plus-values. Accoutumés à manigancer dans l’entre-soi, ils scellent parfois leur vision sectaire ou étriqué par un manifeste. Si celui de l’Alliance des designers algériens praticiens met l’accent sur l’acte créateur, nous rappelons ici que le design (qu’il soit d’aménagement, textile, espace, etc…) n’a pas vocation à être enseigné à l’École supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) mais au sein d’une structure indépendante de celle-ci. 

Cette option régénérera une institution métamorphosée en École des Arts-Décoratifs, privée de réels enseignants en histoire, anthropologie et sociologie, des communicants qui, œuvrant à l’échelle internationale, prépareraient l’étudiant aux étapes d’une notoriété à profiler conformément à la version “A” du statut de l’artiste. Ascenseur carriériste, le Musée d’art moderne d’Alger (MAMA) doit à son tour obtenir le statut adéquat. L’actuel demeurant sous les regards inquisiteurs des ministères des Moudjahidine et des Affaires religieuses, son directeur se conformera toujours aux pesanteurs des pressions externes. Elles nuisent aux indispensables décantations ou extensions d’un monde de l’art dépendant encore trop des férules d’ordre politique pour que les vœux pieux de Malika Bendouda puissent aboutir à des résultats probants. 

Saâdi-Leray Farid.
Sociologue de l’art et de la culture. Le 02/08/2020

 

 

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(1) Mustapha Orif, in Variétés, 11, 22-28 déc. 1991. (2) Denis Martinez, in Révolution Africaine, 17 oct. 1986. (3) Choukri Mesli, in Révolution Africaine, 17 oct. 1986. (4) Marie-Claude Lambotte, in Psychologie clinique 04, fév.1998 (5) İbidem. (6) Professeur de psychologie sociale, Laboratoire de psychologie clinique, Université 

Paris VII. (7) Béatrice Didier, in Cahiers de l’AİEF, 1991, 43, pp. 59-80. (8) Tristan Leperlier, Algérie, les écrivains dans la décennie noire, Paris, CNRS Éditions, 

coll. Culture & Société, 2018. (9) Cette historienne au CNRS (laboratoireTELEMM) a dirigé (entre 2013 et 2017) l’İnstitut de recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis et est spécialiste de l’histoire contemporaine du Maghreb.