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le film : The Square réquisitoire contre le grand n’importe quoi de l’Art contemporain.

Palme d’or à Cannes 2017, The Square satirise ce qui était jusqu’alors une intouchable vache sacrée. À l’heure ou paraissent plusieurs essais critiques sur cet “art du rien”, la baudruche serait-elle en train de se dégonfler ?

Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains…

L’image est forte, et doublement symbolique. Au début de The Square, le film de Ruben Östlund couronné de la palme d’or au dernier Festival de Cannes, le palais royal de Stockholm a été transformé en musée d’art contemporain. Cette royauté de l’art contemporain, son couronnement comme nouvelle incarnation du sacré de droit divin se concrétise d’une manière on ne peut plus visible : pour libérer l’espace à une installation temporaire, on met à bas une statue équestre qui trônait au milieu de la cour. Délégitimé par le “non-art” nouveau, l’art ancien est sommé de faire place nette, de passer aux oubliettes de l’histoire devant une forme artistique qui revendique sa radicale nouveauté, et qui pourrait prendre comme devise le préambule que Rousseau donna aux Confessions « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple »” écrit Laurent Dandrieu sur valeurs actuelles


Le JDD a interrogé des personnalités de l’art contemporain qui ont vu The Square. Le petit monde de l’art contemporain goûte peu la satire facile de ses coulisses et de ses choix conceptuels. 

 “Le film force le trait mais part de situations plausibles, notamment la séquence du dîner de gala où un acteur joue un singe au milieu d’invités embarrassés. Une performance de ce type a dérapé dans les années 1990 à Stockholm : un artiste russe, Oleg Kulik, faisait le chien. Il a molesté les participants et même mordu la fille du conservateur au point qu’il a fallu appeler la police! A un autre moment, on voit un homme aspirer une installation composée de petits tas de gravier. Là aussi, c’est vraiment arrivé : une femme de ménage a jeté à la poubelle une œuvre du plasticien américain Robert Rauschenberg !” affirme Nicolas Bourriaud (Ancien codirecteur du Palais de Tokyo, directeur de LaPanacée, centre d’art contemporain de Montpellier)

Aborder l’art contemporain sur un mode parodique n’est jamais difficile. Ce qui est montré à l’écran correspond à une époque un peu dépassée. Je crois qu’on est passé à autre chose, on insiste moins sur la mise en danger du corps et plus sur la façon de relier des questions de société. Je le constate avec les artistes que l’on sélectionne pour le prix Marcel-Duchamp, qui distingue les plus novateurs et représentatifs. Cela dit, je me demande quand on réussira à enfin démocratiser l’art conceptuel. Il n’y a que la satire pour en parler… Ce long métrage m’a davantage impressionné par sa manière d’exprimer ce qui touche à la mauvaise conscience de l’homme blanc occidental actuel. Par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma, il présente un constat beaucoup plus sophistiqué et cruel.”  Serge Lasvignes (Président du Centre Pompidou)


Sur le Figaro Aude de Kerros, peintre et graveur, est également une essayiste réputée pour ses analyses critiques du fonctionnement de l’art contemporain explique : 

Plus qu’une satire de l’art contemporain, ce film est une fable. On y voit quelques idées aussi vertueuses que conformistes entraîner les protagonistes dans un naufrage de la pensée toute entière. Le lieu du drame, l’ancien palais royal de Stockholm coupé en deux tels deux hémisphères d’un cerveau qui s’ignorent, abrite à la fois une demeure muséifiée servant aux réceptions et galas, et un centre d’AC (art contemporain) ascétique, hygiénique et design, exposant les «classiques» tas de graviers, amoncellement de chaises, etc. C’est une belle métaphore de la société postmoderne de ce Nord de l’Europe, libertaire dans ses mœurs et au demeurant policée, égalitaire et conventionnelle, ne tolérant scrupuleusement aucun détournement de l’argent public. Le personnage principal est le conservateur de ce centre d’AC, Christian, un homme jeune, «very-well-educated», sans vices ni défauts au-delà de l’ordinaire, ni cynique ni pervers. Il croit aux dogmes de l’art contemporain, est cultivé, divorcé, père de famille attentif, fait son métier avec sérieux. Le milieu qui l’entoure est à son image, y compris les mécènes d’âge mûr, très comme il faut, sans démesure, heureux de participer à une vie mondaine, caritative traditionnelle. Rien de bien caricatural en ce qui concerne l’art contemporain, où cette modération est plutôt exceptionnelle.“*