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photo: OGEBC

Mois du patrimoine ou journées patrimoniales ? par Kouider Metair

Le mois du patrimoine a été instauré par l’Algérie, le Maroc et la Tunisie au début des années 90. Ce qui devait être une cérémonie maghrébine n’est, en réalité, célébré que par les démembrements de notre ministère de la Culture. En fait, ce n’est même pas un mois national, dans la mesure où les autres institutions étatiques ne se sentent pas concernées.

Comment s’organise le mois du patrimoine ?

Le ministère de la Culture définit le thème du mois et instruit, quelques jours seulement avant les festivités, les directions de la culture et les musées pour concocter un programme, axé essentiellement sur quelques sorties, des conférences (en matinée et durant les jours ouvrables), des expositions et des visites organisés par l’OGEBC (horaires d’ouverture administratifs, fermeture le week-end, visites payantes, interdiction de photographier, etc.). Rien de particulier. Aucune grande activité qui marque le mois, qui réhabilite un quelconque objet du patrimoine ou qui sensibilise les populations sur les questions patrimoniales et les entraîne dans une démarche de préservation du patrimoine.

Comment faire pour entrainer l’ensemble des institutions et la société civile ?

En partant de l’idée que le patrimoine dépasse le cadre du ministère de la Culture, même s’il lui en échoit la gestion, il faut qu’instruction soit donnée à toutes les institutions pour y participer. Cependant, vouloir les mobiliser durant tout un mois risque d’être inopérant. C’est pour cela que nos voisins et beaucoup de pays ont choisi des «journées patrimoniales», pour en faire une fête de la ville, de la région ou du pays. Mobiliser toutes les bonnes volontés durant un week-end relève du domaine du possible et, du point de vue pratique, ne poserait pas de problème particulier. Ces journées seront conçues comme une fête de la ville et des villages. C’est un temps d’émerveillement et d’information (les élus locaux maitres d’ouvrages exposent au public leurs projets culturels). Ces actions seront menées par des médiateurs culturels et du patrimoine (un nouveau métier dont notre association Bel Horizon on a pris l’initiative de former deux promotions).

Ces journées seront l’occasion d’une offre culturelle exceptionnelle, d’une ampleur à frapper l’imagination et, ainsi, de contribuer à la sensibilisation du public et des acteurs.

Il n’est pas normal, après plus de 30 ans de célébration du «mois du patrimoine», de rester dans un rituel immuable. Le ministère de la Culture et ses démembrements, ainsi que quelques associations, sont censés être mobilisés toute l’année autour du patrimoine et de la culture, ainsi que l’OGEBC et les musées, qui, sans arrêt, organisent des visites et des activités pour le public.

Et les autres ministères et administrations? Ils regardent le ministère de la Culture faire la fête?

Les institutions de l’Etat occupent les bâtiments les plus emblématiques du pays, qu’il faut ouvrir pour la population le temps de journées patrimoniales. Ainsi doivent être accessibles le Palais du Peuple, du gouvernement, les mairies, les wilayas, les banques, les bâtiments remarquables, privés et publics (lycées, cinémas, théâtres, stades, places et lieux de mémoire, medersas, mosquées, quartiers), sans oublier les sites et monuments, classés, sur l’inventaire ou considérés comme patrimoine mineur. Tout doit être rendu visible durant ces journées et tout le monde impliqué, le ministère ayant un rôle de coordination et d‘information.

A Oran, on pourrait envisager des journées patrimoniales, le premier ou denier week-end du mois d’avril ou mai (pour rester entre le 18 avril, journée internationale des monuments et le 18 mai, journée internationale des musées).

Imaginons un programme oranais :

– Ouverture des monuments historiques et des musées (avec entrée gratuite !),
– Visite des bâtiments remarquables (ancienne préfecture et actuelle wilaya, mairie), avec accès aux étages et aux bureaux du wali et du maire (Pourquoi les walis et les maires ne s’impliqueraient-ils pas ?),
– Ouverture exceptionnelle de la Banque centrale, du siège du journal El Djemhouria, des lycées historiques (Pasteur, El Hayat, Ibn Badis…) : mémoires et architecture,
– Accès au port de plaisance et à la jetée, déambulations artistiques, randonnées pédestres,
– Confection de circuits innovants : Circuit art déco et art nouveau, circuits littéraires, histoire sociale des quartiers populaires (Mdina Jdida, Yaghmorassen, El Hamri, Petit Lac, Ibn Sina, cité des Mimosas…) des cimetières anciens,
– Journées de réflexion académique sur le patrimoine, la ville, le plan de sauvegarde du Vieil Oran,
– Et tout ce qui relève du patrimoine dit mineur, anciennes fontaines, piscines fermées de Bastrana, de Sidi El Houari, Gallia comme lieu de mémoires.

Le tout accompagné de récits des lieux.

Ces journées doivent être, aussi, l’occasion d’annoncer de grands projets, de lancer de belles initiatives.

Nous aurions aimé voir, en cette occasion, concrétiser l’analyse et scan 3D du Palais du Bey, projet que nous portons depuis plus d’une année et qui tarde à être lancé, car le ministère de la Culture n’a toujours pas répondu à notre demande d’autorisation, déposée durant le «mois du patrimoine» de l’année dernière, à l’occasion de la cérémonie d’installation du «Conseil consultatif du patrimoine», mort-né.

Nous aurions aimé voir le projet de fouilles archéologiques à la Casbah d’Oran autorisé, dont le financement a été obtenu en décembre 2018, suite à un engagement du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, lors d’une session de la commission nationale de l’UNESCO.

Autant de projets qui ne demandent aucun budget au ministère de la Culture pour se mettre en branle. Deux projets, portés par notre association et qui ne demandent que l’autorisation administrative pour les voir se matérialiser. Que dire alors des projets qui exigent études et financements ?

Le patrimoine culturel algérien reste le ciment de l’identité et du récit national. S’il relève des attributions régaliennes de l’Etat, sa sauvegarde exige la participation citoyenne. Une meilleure conscience patrimoniale des populations et une énergique prise en charge du patrimoine auront des conséquences heureuses sur le tourisme culturel, les civilités urbaines, la joie de vivre dans les quartiers alors valorisés, l’attachement à sa ville et au pays, chargés d’Art et d’Histoire.

Kouider Metair
Président de l’association culturelle Oran Bel Horizon.
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