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STATUT ARTİSTİQUE ET POSTURES İNTELLECTUELLES par SAADI-LERAY Farid.

  1. a) Divulguer les figures annexes du statut et faire tomber les masques, 

Dégelé après un demi-siècle d’attentes et d’atermoiements, l’actuel agrément qui attribue depuis le 09 janvier 2014 une couverture sociale à l’ensemble des auteurs n’est que la partie  émergée d’un iceberg nommé statut. La locution même de statut est donc à inspecter en  profondeur puisqu’elle implique d’autres paramètres que la protection et régularisation  administrative des artistes, comme par exemple leur position hiérarchique ou de  subordination, leurs critères d’excellence ou de notoriété, leurs conditions matérielles ou encadrement institutionnel et législatif. Nous découvrirons ces diverses dimensions en prenant  pour viatique la conférence1que Monsieur Mansour Abrous (MMA) a donnée le samedi 18  janvier 2014 à l’İnstitut français d’Alger (İFA)2, une intervention via laquelle il s’agira  également de dévoiler que la énième réplique de son Dictionnaire biographique des artistes  algériens repose sur un syllogisme qui, doublé de poncifs et vieilles recettes statistiques, floutent les adjuvants du terme “statut”. Lorsqu’arrive la nuit, tous les chats sont gris, et pour  discerner les blancs des noirs ou des tachetés, mieux vaut d’emblée appeler un chat un chat, révéler en “somme(s)”, arguments à l’appui, que “détaché au développement social” à la Ville  de Paris3, MMA n’a correctement pas à se présenter en tant que “chercheur et spécialiste des  arts visuels en Algérie” pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas universitaire et encore  moins un professeur émérite. Aucun centre en sciences humaines et sociales, aucune thèse ou  parution antérieure ne le place à ce niveau, ne valide ou accrédite de telles attributions qui,  auto-proclamées selon la méthode Coué, et répétées mécaniquement du côté de quelques  “journaleux”, sont de l’ordre de l’imposture. A-t-on déjà entendu un praticien prophétiser être  le patron de toute la médecine ? Non : ne pouvant l’investir en totalité, ce thérapeute  interviendra toujours dans telle ou telle branche, comme par exemple, et en l’occurrence, la  schizophasie ou mythomanie. La mystification abrousienne laisse de plus supposer la main  mise sur un champ restreint. Hors, et malgré ses bornages culturels, l’art en Algérie demeure  un territoire aux facettes et ramifications pluralistes.  

İntégré en 1982-1983 au sein de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger pour compenser le  manque d’enseignants en théorie, MMA n’a toujours pas réussi à surmonter ses carences en  esthétique, cela malgré le DEA (?) obtenu dans cette matière et « L’importance que  revêtaient à ses yeux les points positifs de l’avancée des arts plastiques en Algérie (…) »4. En  décalage horaire avec leurs curseurs anthropologiques, sociologiques et philosophiques, ce  “psychologue des âmes perdues” l’est pareillement avec les analyses politiques de l’heure  lorsqu’il se complet à relever « (…) l’implication de l’État algérien et des mouvements  citoyens pour créer une effervescence culturelle, (…). »5. Tout observateur sérieux et attentif  fera remarquer que, telle une peau de chagrin, le paysage en question régresse de mois en  mois en audaces et “agressivités”, cela au profit d’opérations généralistes dues à l’intervention  tout azimut et intempestive d’un “État-Armée-providence” aucunement préoccupé par  l’aménagement de dispositions structurelles ou matérielles propices à la montée en singularité des plasticiens. Quant à l’essor de la société civile, il nous faut rappeler ici que les libertés  sont aujourd’hui largement compromises en Algérie pour la défense des droits humains, les  associations et les médias, que les rassemblements sont surveillés et leurs francs-tireurs sous  le coup d’arrestations ou répressions préventives. Neutraliser les dissidents et débats  contradictoires semble bien être la marque de fabrique et la permanente obsession de décideurs enclins à piétiner les garde-fous, à prononcer des “délits d’initiés” envers des militants, journalistes, intellectuels ou éditeurs œuvrant hors des habituels réseautages et trainés devant les tribunaux où siègent des magistrats véreux qui continuent à refuser un statut  juridique aux syndicats autonomes. 

  1. b) Sortir la partie immergée de l’iceberget des manichéismes réducteurs,

Celui des artistes (statut juridique) a donc été adopté le jeudi 09 janvier 2014 suite à la  publication d’un arrêté exécutif fixant l’assiette des cotisations retraites et les indemnités  sociales auxquelles l’ensemble des intéressés a dorénavant et légitimement accès6. Seulement,  et comme l’expliquera à bon escient Abdelkader Bendamèche, le président du Conseil  national des Arts et des Lettres, le projet de loi relatif aux taux participatifs ou à l’assurance  maladie des auteurs indépendants7consiste en première instance « (…) à reconnaître l’artiste  ; son travail qui s’appelle l’art. ». Si ce dernier « (…) devient un travail, un métier. »8, cela  veut dire que la notion de statut est en second lieu consubstantielle à la qualification ou  dextérité acquise au sein d’un domaine particulier, que son certificat concerne en ultime  ressort aussi cette “partie immergée de l’iceberg” qu’est la vocation. Cette propension a elle même d’autant plus besoin d’une “mise à jour” que Belaïd Medjkane, le leader du groupe de  chanteurs kabyles Tagrawla, confondra l’admission des créateurs (en tant que génies) avec « 

L’entrée en vigueur d’un décret permettant de jouir entièrement de leur droits »9, d’être  cataloguer10, c’est-à-dire caser comme acteurs sociaux. İl alimentera l’équivoque en voulant  « (…) déterminer les Vrais artistes et les autres car si on met tout le monde dans le même  panier, le premier venu choisira de devenir artiste pour assurer son avenir. N’importe qui ne  peut prétendre à un tel statut et devenir un artiste. »11. Pensant que l’ordonnance accordée  indique stricto facto une gratification panthéiste, le musicien réclamait un schisme de manière  à disjoindre les pasticheurs ou flagorneurs (au savoir-faire répétitif) des innovateurs, en quelque sorte entre le bon grain et l’ivraie. Nous sommes donc là au cœur de la  problématique, au croisement des endémiques méprises et latentes (ou avouées) animosités. 

 La définition publiée en 1980 par l’UNESCO établit qu’est artiste toute personne considérant  sa création « (…) comme un élément essentiel de sa vie (…), contribue au développement de  l’art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu’artiste, qu’elle  soit liée ou non par une relation de travail ou d’association quelconque ». Face à cette vague  interprétation, Khalida Toumi déclarait elle-même en janvier 2008 ne pas savoir qui est artiste  «° (…) et qui ne l’est pas ? (…), qui décide de cette qualité ? L’administration d’autorité ?  Les artistes eux-mêmes ? Qui ? °»12. Ce bourbier interrogatif révélait le désarroi de la ministre  de la Culture et l’ambiguïté inhérente à la visibilité d’un plasticien à introniser au stade de  précurseur, doxa ne relevant pas encore suffisamment en Algérie d’une aptitude à provoquer de la rupture avec le déjà-là esthétique, à chambarder les normes établies, que celles-ci  résultent des canons des “Beaux-Arts”, de permanences idéologiques ou encore d’une  ontologie religieuse. La pertinence vocationnelle d’un peintre s’apprécie en effet encore trop  souvent en relation à des assiduités mémo-patrimoniales, se mesure sur le fil calendaire  d’événements culturels marqués par les timbres historiques du 1er Novembre 54 et du 05  Juillet 1962, de rendez-vous emblématiques ou politico-diplomatiques13. Ces concentrations  protocolaires conditionnent une pseudo hiérarchisation de la Personne artiste, visage souvent  annexé à l’image du prestataire de service ou au dilettante et non à cet être d’exception à  repérer selon un processus distinctif d’insubordinations que ne reflète pas davantage l’ “harmonie globalisante” du Dictionnaire biographique des artistes algériens puisque celui-ci met « (…) sur le même pied d’égalité un jeune débutant et un autre de notoriété  internationale. »14. 

Bien que Monsieur Mansour Abrous (MMA) puisse parfaitement refuser le nivellement des  postulants au label “artiste”, en attestant« (…) une domination des plasticiens algériens sur  les praticiens d’art musulmans (…), une injustice entre les professionnels et les autodidactes,  et enfin cette discrimination géographique entre ceux qui habitent les grandes villes et ceux  qui sont dans le reste de l’Algérie. »15, il engraisse d’une part l’ambivalence mise  précédemment en exergue, donc un navrant malentendu, et affecte d’autre part sa propre  crédibilité puisqu’il admettra lui-même que « Quand on est dans l’exhaustivité, on pêche  aussi par un manque de fiabilité. ». Pour le moins simpliste, voire réductionniste, son  triptyque va à contre courant de la modernité à laquelle aspirent les néo-émergents, tant il ramène l’entendement au temps de la colonisation, lorsqu’une succession d’a priori  naturalistes ou ethnologiques dépréciait les exécutants “indigènes” en conférant à leurs  miniatures et enluminures un sens artisanal. En clivant le champ artistique en antinomies  primaires, l’approche manichéenne de l’agent précepteur MMA (Monsieur Mansour Abrous)  nous ramène en arrière, à une époque révolue pendant laquelle une ancienne communauté de  goût(s) scindait déjà le paysage esthétique en art mineur et art majeur. Monstrations  héliotropes et observations pittoresques rangeaient ainsi les autochtones dans une certaine  praxis pour mieux leur refuser la qualité de “Grand artiste singulier” traduite dans le Droit  fiscal français par la notion d’œuvre d’art unique16. Porteuse de sa propre finalité, une toile (ou  sculpture) se dissociait en Europe des autres catégories de biens culturels, l’extension  sémantique des concepts de création et d’artiste-créateur ne se combinant plus alors aux marchandises manufacturées. Dans l’époque industrielle de la fin du XXᶱ siècle, l’unicité et  l’originalité snobaient les valeurs d’utilité attribuées en Algérie aux procédures décoratives auxquelles seront astreintes de petites mains musulmanes. Studieuses, car attentives à  l’excellence du motif appris et récidivé, certaines intérioriseront au sein de l’École de la rue de  la Marine (celle des Beaux-Arts) la rigidité d’autres canons et habitus, y respecteront docilement les règles et contraintes formelles de la peinture de chevalet, des normes adaptées  aux proportions et couleurs convenues, aux nuances naturalistes, aux effets d’ombres et de  lumières et aux artifices de la perspective. Elles ronronneront l’”Esthétique du soleil” d’une  colonie de peuplement, préserveront et reproduiront donc un “Bon savoir” réaliste aux focus  orientés vers les natures mortes ou les vastes étendues champêtres ou sahariennes, le modèle  gréco-romain ou l’antique et scénettes de la vie citadine. Azouaou Mammeri, Mohamed  Temmam, Abdelhalim Hemche, Miloud Boukerche ou Bachir Yellès s’acclimateront aux  douceurs d’une violence symbolique, se satisferont des diaprures exotiques et autres chromos.  Ces nouveaux élus de l’ “École d’Alger” ou de l’ “algérianisme pictural” ne partageront pas  de la sorte les provocations que les avant-gardes et suppléants dadaïstes de la rive d’en face  initiaient au même moment en testant une suite de chamboulements iconographiques et  conceptuels. İls continueront au contraire à obéir ou à contenter un prescripteur commanditaire (l’administration coloniale) accaparé à proroger un système ordonné de  valeurs, à imposer ses jugements, à dicter sa beauté idéale à un sous groupe d’indigènes, à  soumettre les points de vue magistraux d’un “Vrai public” dont les inspirations égocentriques  seront renversées à la suite de l’insurrection armée du 1er Novembre 1954. 

La Guerre de libération nationale soumettra en Algérie un non-assimilationnisme  civilisationnel qui touchera les teneurs intimistes et déistes de “l’art pour l’art”, une exaltation  égocentrique et sacrale qui perdra sa prééminence face aux postures des futurs régulateurs de  la culture autogérée de l’après juillet 1962. Politiquement engagés, ces animateurs officiels, ou subalternes de l’Autogestion, de la Révolution agraire, culturelle et industrielle, contribueront à la déliquescence de la Personne artiste telle qu’encensée par le Romantisme,  et à la consécration d’un Prodige collectif abonné aux prestations d’un art national de combat  ou de résistance à concevoir en dehors de l’absolutisme d’une philosophie occidentale qui  entre Platon et Kant a endigué la permanence « (…) de critères de qualité universel et fixes  supposés valides en tout temps et tout lieu »17. Les avant-corps du processus révolutionnaire feront valoir à la place un principe d’équité, mais fondé sur le droit de chacun à voir sa  particularité approuvée.  

Délivrés du “Grand maître” et ses aggiornamentos, certains d’entre eux tenteront de  s’affranchir des prescriptions académiques en amorçant la “dissimilation” dont parlera Jacques Berque pour convoquer une “nouvelle politique de la vision, instituer un “passage  entre la modalité récusée du regard colonial et une autre à inventer”. François Pouillon  ajoutera qu’il fallait aux concernés “déménager de la scène coloniale”, c’est-à-dire “répudier  le regard orientaliste, surtout celui qui flirtait avec l’indigénisme ou avec un exotisme  complaisant, se séparer de cet Orient, produit fantasmatique de l’ethnocentrisme occidental”.  Le faire, c’était entériner les incontournables notions de désaliénation (Frantz Fanon),  d’avant-monde ou jahilyya (Mohamed Arkoun) et de dé-singularisation/re-singularisation,  une corrélation dont les peintres de la “plongée fanonienne” resteront tributaires pour  fabriquer les repères tangibles d’une quête interne d’altérité. Celle-ci ayant directement à voir  avec l’ardeur militante de l’art et de la littérature, auteurs et créateurs se confronteront au  radicalisme d’invariants ou constantes nationales comprimant l’environnement culturel pour qu’ils n’aient de mitoyennetés, d’affinités et perspicacités qu’en termes d’affections ou  d’éloges envers la communauté des croyants au “socialisme-spécifique”. İls manipuleront de  ce fait leurs autorités persuasives autour de ce conducteur que sera le slogan “UN SEUL    

HÉROS, LE PEUPLE”, intronisé pour épauler celui appelant à mettre “À BAS LE CULTE  DE LA PERSONNALITÉ”.  

Ces deux amorces spéculatives lesteront les peintres d’une intériorité faite de sensations pures  (“l’art pour l’art”), du jaillissement ex-nihilo d’un sujet placé au plus prés de l’acte divin et  magique, de la figure du génie inspiré désormais descendu de son piédestal par l’anti intellectualisme des suppôts béotiens d’un FLN récalcitrant à la polysémie, à un  individualisme devenu non grata au niveau de l’écriture théâtrale, cinématographique et  poétique. Sa planification du capital (financier, culturel, etc…), son unanimisme, ses  résolutions collectivistes déprimant les ventes libres, les lois spéculatives du marché de l’art ou des espaces d’exposition, empêcheront de subdiviser le champ approprié en sous-cellules, en divers cercles (pairs, marchands, experts et publics) en rapport auxquels se décline  généralement l’extension du concept d’artiste-créateur dont l’élévation s’élabore à  l’intersection du champ18 et du marché.  

İl s’aménage et se cerne au sein d’un régime proprement vocationnel mis donc en berne en  raison de la non-profusion des galeries, une restriction limitant les descriptions multifocales et  illustrations sectorielles précieuses à l’efficience d’une modernité esthétique éclairant tel ou  tel auteur ou style, plusieurs degrés de valeurs. Répertorier des peintres comme primordiaux, cela aurait eu pour conséquence directe de parapher leur figure de fauteurs de troubles  capables de se défaire des univoques demandes politiques, de témoigner d’une légitimité  fondamentalement artistique, d’assoir les codes de leur domaine d’activité, de proférer une  pleine et entière éthique de singularité, le primat de la forme sur la fonction idéologique de  représentation et d’interpellation, de valider une partition du réel fractionnant le présent d’un  Homme nouveau dès le départ inhibé et atrophié par l’anti-cosmopolitisme du Programme de  Tripoli de mai-juin 1962. Si lors de l’après-indépendance, le vocable artiste sera attribué  autant à des diplômés des Écoles des Beaux-Arts (algériennes et européennes) qu’à des  autodidactes, si de ce fait n’importe qui pouvait se dire peintre19, en comparant les objets  mineurs des majeurs, ce compensateur du “flou artistique” que fut à sa façon Jean de  Maisonseul, dégagera de la production globale les toiles de Choukri Mesli, Denis Martinez,  M’Hamed İssiakhem, Reski Zerarti, İsmaïl Samsom puis Mohammed Khadda, leur  consignera par son autorité de directeur du Musée d’El Hamma une valeur légalisée au  registre de la taxinomie. 

Nonobstant, les efforts qu’il entreprendra à ce stade resteront vains puisqu’il était convenu  que toutes les données susceptibles d’introduire une aura et des éléments concurrentiels entre  artistes devaient être abolies, puisque la compétition entre animateurs du champ risquait de  renflouer les prétentions individualistes et par ailleurs de déstabiliser ces deux Grands  absorbeurs emblématiques: le “Peuple-Héros” et le Parti unique. Ces piliers de la domination  symbolique enfantant des circuits d’allégeances et de dépendances, ils donneront consistance  à l’Union national des arts plastiques (UNAP), un syndicat mis en place pour contrecarrer une  éthique de singularité qui commençait à émerger via la “Galerie 54”. La logique collectiviste  voudra que, lors des deux premières décennies, les plaquettes d’expositions fournissent des  informations parcellaires sur les curriculum vitae, cela afin de minimiser les rivalités et le  degré de compétence de chacun, de maintenir l’efficacité de prescriptions et gratifications installant socialement un peintre, écrivain, cinéastes ou metteur en scène au même niveau  qu’un maçon ou fellah (paysan). De là, les compatibilités consensuelles entre des autodidactes  et des diplômés qui, en dehors du Musée de Belcourt, ne pourront pas prétendre à une mutation vocationnelle dans un régime de communauté faisant de la désacralisation de  l’artiste-créateur et de l’auteur de génie une mise au placard de l’univers endocentrique20. 

Le dé-singularisation aboutira à un tel isolement ou hors-jeu, qu’elle engendrera l’absence de  différenciations entre les genres, des déconsidérations envers les “Anciens”, donc  l’effritement d’une paternité symbolique qui ne pouvait dès lors plus opérer comme procès de  classement puisque lorsqu’un acteur du champ n’a plus l’occasion de citer un ou plusieurs de  ses congénères ou refuse de se référer à certains de ses pairs et pères (vivants ou non), plus ou  moins historiquement fichés, il lui devient impossible de manifester, par la stature de  l’individu à apostropher, une capacité à se donner une parité artistique. Celle-ci satisfait  normalement les desideratas de peintres qui à travers la notion de filiation souhaitent, là aussi  légitimement, être reconnus en tant que chef de file, un positionnement que Mustapha Orif,  l’ex-directeur de la galerie “İssiakhem” concrétisera en intervenant dans le registre de la  concurrence et de la dissemblance de façon à ce que la plupart de ses membres atteignent une  place de choix, donc leur “juste rang” au sein du paysage artistique. Maintenant ses intentions  à la hausse, il se tournera ensuite vers la génération montante de l’art moderne, et à certains  égards de l’art contemporain, issue de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger, arguant qu’il  y avait là « (…) quelque chose de fascinant, d’exaltant et même de sensuel à contribuer, à  inventer et à imposer des nouvelles normes, surtout quand elles sont de l’ordre du sensible,  donc du goût. »21

  1. c) En finir avec le dé-personnalisme, le généralisme et les mythes protecteurs, 

En regroupant cinquante années plus tard tous les figurants ou coreligionnaires du champ esthétique au sein d’un glossaire ne fixant aucune échelle de valeur sous le seul principe et  prétexte de réparer trois injustices, Monsieur Mansour Abrous (MMA) pensait qu’il était « (…) bien de le faire, car des artistes en démarrage de carrière peuvent se sentir boostés en  étant aux côtés et à proximité de gens au parcours prestigieux. »22. Mais, si beaucoup de ces  derniers se réjouissent de l’avancée de “poucets” et de la profusion des disciplines, ils ne sont  pas spontanément disposés à appuyer son communautarisme, sorte de nouvel absolutisme  auxquels comptaient bien échapper quelques ex-éveilleurs du “Peuple-Héros”, parmi lesquels  Denis Martinez. En 1986, celui-ci alléguait d’ailleurs que «° Jusqu’à présent, peut exposer  chez nous n’importe qui, n’importe comment et n’importe où, quel que soit le niveau et la  qualité de la production. Le manque de sérieux et de compétences des responsables des  galeries et des salles, aidés par l’attitude inconséquente des mass-médias, ont contribué au  développement de la médiocrité. Les fabricants de croûtes, les jeunes valeurs et ceux qui ont  un long chemin derrière eux sont tous présentés de la même manière. °»23. Considérant  certains peintres comme anormalement dévalorisés, Mustapha Orif s’empressera donc de  faire, la même année, leur promotion, l’un de ses axes prioritaires étant « (…) de faire  émerger les artistes de talent pour qu’un public le plus large puisse les distinguer des autres  artistes qui ont tout à fait le droit de fonctionner comme tels mais qui ne fournissent pas le  travail nécessaire pour que l’on puisse les célébrer de la même façon qu’un créateur. »24.  D’emblée, cet agent économique placera l’index sur la griffe unique, donc la rareté, réquisit incontournable pour convenir des variations relativistes de plasticiens qui en transitant du  genre moderne au genre contemporain assureront l’évolution du statut de l’artiste et élargiront l’autonomie de son champ (vis-à-vis des pressions politiques exogènes). 

L’erreur de Monsieur Mansour Abrous (MMA) est d’avoir ravivé les susceptibilités en misant sur le pléthorique et en mettant par là même “aguerris” et “débutants” dans le même sac alors  que les premiers ont gagné leur notoriété selon un long temps d’adaptation et ne sont pas  prédisposés à accepter un inventaire qui identifie « (…) tous les acteurs (…) sans  distinction. »25. L’option prise par Monsieur “A(re)brous poil” est complètement à contre courant de la “montée en objectivité” que les agitateurs et promoteurs du champ éprouvent,  tant ils ambitionnent d’être situer à hauteur de cette amplitude qu’est l’éthique de singularité,  tant cette extrême convoitise, qui préfigure donc l’autre face (cachée et mal comprise) du  statut, devient un impératif à libeller, ne serait-ce qu’en vertu des prochaines œuvres que  s’apprête à engranger le Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA).  

Dans son laïus de l’İFA, l’opérateur socio-culturel s’inquiétait de celles « (…) qui partent vers des collections privées ou publiques à l’étranger »26, déplorait que les musées européens  possèdent plus de productions « (…) d’art d’Algériens que les institutions algériennes, et que pour découvrir nos jeunes artistes, il faudra aller là-bas. »27. Conviant à la vigilance, l’ “assureur MMA” souhaitait voir l’ “État-Armée-providence” acheter les médiums de créateurs  locaux et établir une fourchette des valeurs alors qu’antérieurement il refusait de répartir les  animateurs du champ artistique à l’instar de leurs propriétés, capacités, habiletés ou  tendances, cela au nom donc de l’exhaustivité. De plus, tout en briguant une certaine  neutralité, il employait un ton paternaliste (“Nos jeunes artistes”, “Mon cri est un cri du  cœur”) incompatible avec la distance que garde normalement un chercheur, même lorsque  celui-ci craint « (…) une déperdition qui sanctionnera les générations futures qui n’auront  plus accès aux œuvres de ces artistes et ainsi de la mémoire artistique algérienne. »28. L’ex directeur de la culture (et des actions en direction des jeunes) de la Ville de Créteil ferait  mieux de s’enquérir des faibles moyens dont disposent les musées algériens pour assurer une  politique conservatoire digne et idoine, c’est-à-dire conforme à un dispositif sécuritaire et  visuel ou aux conditions de restaurations, d’admettre que compte tenu de la situation délétère du moment, il vaut mieux que « La France possède l’essentiel de la conservation des œuvres  d’artistes algériens. »29. Désigné en prévision de 2003, Année de l’Algérie en France, Ramon  Tio Bellido, le commissaire de Le XXᵉ siècle dans l’art algérien, nous confiait le 15 avril  2010 que «° Bien avant que l’exposition vienne en France, j’avais déjà pu appréhender la  manière dont les œuvres étaient conservées au sein du Musée des Beaux-Arts d’Alger. La  plupart se “cassent la gueule” dans des conditions irrecevables (et) il y avait lieu d’agir au  plus vite, de mettre fin à cette décrépitude. °». C’est sans doute pour cela que l’Association  des Musées méconnus de la Méditerranée (AMMED) réalisera bientôt un documentaire30 et un site İnternet, publiera à la suite un livre d’art retraçant un itinéraire créatif que des  Algériens culturellement et financièrement défavorisés auront des difficultés à goûter en  raison d’un billet d’entrée (aux musées nationaux) passé de 20 à 200 dinars et d’un « (…)  système de vidange qui expulse les artistes à l’étranger. »31. L’Algérie exclurait ainsi de son territoire des marginaux fuyant leurs conditions de SNP (Sans nom patronymique), des exilés  de seconde zone que l’Europe siphonne pour faire de certains d’entre eux des plasticiens de  renommée internationale, donc la partie intégrante et agissante d’un corps d’élites que  finalement le Premier ministre Abdelmalek Sellal désire voir revenir à la “Maison”. 

Néanmoins, il omet de concevoir que, intrinsèque aux tropismes du pays d’accueil ou de  substitution, l’herméneutique des artistes contemporains candidats à un éventuel retour ne  sera pas obligatoirement “adaptée” à la nomenclature de la population algérienne. Un mot  identique n’ayant pas forcément la même consonance et substance pour celui qui se trouve  d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, le dramaturge Slimane Benaïssa précisera sur ce  point avoir découvert à Paris que la langue de Voltaire lui avait donné « (…) l’expérience du  peuple français. », fait découvrir que « (…) le mot liberté (…) est chargé du poids de  l’expérience historique de la France. »32

Après l’indépendance, les peintres dits du “Signe” utilisaient les archétypes des cultures  ancestrales ou régionales et se persuadaient mutellement que, parce qu’imprégnée de ces  origines plébéiennes, leur abstraction allait être instinctivement “imprimée” dans et par la  conscience de l’ensemble des Algériens. İls pianotaient alors sur la mythologie naïve d’une  spontanéité émotionnelle de la création, un affect supposé être immédiatement réceptionné et  partagé au nom d’une parenté préétablie des sentiments alors que leurs transcriptions  informelles exigeaient que les publics aient préalablement reçu une éducation artistique.  Celle-ci n’étant à ce jour pas vulgarisée via une suffisante dimension collective (profusions de  galeries et de musées, multiplication des publications et magazines spécialisés, épanchement  de l’exégèse esthétique et de la critique d’art), l’accoutumance n’est pas venue résorber l’écart  sémantique et cognitif existant entre certaines œuvres et le ou les publics. Constatant ce même  faussé d’incompréhensions, Mohammed Djehiche, le directeur du MAMA, octroiera de  l’importance à la formation et à l’action pédagogique « (…) afin que le public algérien se  rapproche de l’art moderne et contemporain. » mais trébuchera intellectuellement lorsqu’il  avancera, à notre sens malencontreusement, que « (…), franchement, nous n’avons pas de  grands artistes d’art contemporain en Algérie »33.  

Colporter un tel discriminant ou assertion sans préciser le manque d’infrastructures culturelles  et surtout les freins de la bienséance et barrières bureaucratiques mises en branle depuis un  demi-siècle pour démunir les avant-corps autochtones des matériaux discursifs indispensables  à leurs prérogatives et épanouissements, c’est propager (dans ce cas inconsciemment) des  dépréciations infantilisantes, voire même, à un certain égard, néo-colonialistes. Moins  vindicatif, le flagorneur MMA (Monsieur Mansour Abrous) s’emploiera à louer « 

L’abnégation et le dévouement des enseignants dans les écoles d’arts pour transmettre leur  savoir aux étudiants malgré des conditions difficiles »34. Ses satisfécits minimisaient toutefois  l’inquiétude éprouvée par Sadek Amine Khodja, le directeur de l’École des Beaux-Arts de  Constantine, lequel affirmait en novembre 2011 que « Nos élèves ne savent pas parler, ils ne  communiquent pas. »35. La cause incombant au verrouillage et aux volontaires négligences  conciliées à l’encontre de cette fructueuse épure probatoire qu’est l’histoire de l’art, MMA jugera de son côté nécessaire de récolter des « (…) information et documentations afin de  recenser et se documenter sur le parcours de tous les artistes algériens. ». Considérant par  ailleurs que de propager « (…) du savoir sur notre culture (est) une des conditions  d’émancipation (…) »36, il insistera pour que l’université puisse servir « Les artistes à travers  des recherches, en apportant des regards de spécialistes en la matière et en opérant des  collectes de données. ». Mais, regrettera le conférencier, les contactés préfèreront mettre leurs  documents « (…) à la disposition de chercheurs occidentaux que de faire confiance à un  compatriote. »37.  

Si le terme “compatriote” dénote encore une fois des relents démagogiques et condescendants, il y a concomitamment lieu de s’interroger sur l’identité de ces hypothétiques investigateurs ? MMA faisait-il allusion à l’historien François Pouillon, à l’écrivain Michel Georges Bernard  ou aux critiques d’art Ramon Tio Bellido, Jean-Louis Pradel et Évelyne Artaud, tous les trois  enrôlés dans le cadre de Djazaïr 2003 ? Répertoriés depuis longtemps dans le milieu de l’art  moderne ou contemporain, et n’ayant à ce titre rien à prouver, ils n’ont jamais eu38 l’outrecuidance de se comparer à des éclaireurs à l’indéfectible et incomparable aperception  historique ou intellective. Par contre, le garant MMA atteste sans aucune pudeur ni retenu que  son “bottin biographique” représente « (…) un véritable et précieux outil pédagogique qui  permettra aux lecteurs, artistes plasticiens et chercheurs universitaires d’avoir une vision  globale de la mémoire des arts visuels en Algérie en se faisant accompagner en termes de  logistique intellectuelle et d’analyse prospective. »39. Notre “guide suprême” à l’œil cosmique  et panoramique qui illumine « (…) une vision d’ensemble de la mémoire humaine des arts  visuels. » n’avait reçu qu’une seule réponse sur les 250 fiches envoyées aux différents artistes  alors qu’il comptait « (…) créer un outil “central” et “centralisé” d’information et de savoir », inscrire son introspection dans « Une logique de proximité avec les artistes algériens. », en concertation avec eux, cela afin de « (…) constituer un socle “a minima” de  connaissances, (d’)impliquer davantage les universitaires à prospecter. »40. À notre connaissance, très peu d’entre eux examinent la sphère culturelle algérienne, justement en  raison du manque de matériaux fiables. Sur ce point, ayant relevé un certain nombre d’erreurs  dans les relevés et indices de l’ “assureur MMA”, nous conseillons aux impétrants, doctorants  ou thésards de vérifier à deux fois avant de reprendre telle quelle « (…) une première base de  données. »41 dont une large partie repose sur un enquête sociologique ordinairement arborer  sous l’aspect d’un tableau, une formule appliquée au début de la décennie soixante par Pierre  Bourdieu et ses acolytes, notamment dans L’Amour de l’art.  

  1. d) Des paradigmes, concepts, tropismes et entretiens plutôt que l’alignement de  chiffres hermétiques, 

Le listing de Monsieur Mansour Abrous, qui fera passer le nombre des artistes de 800 à 4.501, stipule que 47% d’entre eux sont nés avant l’indépendance, que 39% recevront une éducation  au sein des diverses écoles des Beaux-Arts, que 45% des diplômés activent pleinement en tant  que bédéistes, calligraphes, caricaturistes, céramistes, décorateurs, designers, dessinateurs,  enlumineurs, graveurs, illustrateurs, infographes, miniaturistes, peintres, photographes,  sculpteurs ou vidéastes, que 86% vivent en Algérie et 14% au Canada, en Angleterre,  Belgique, France et Allemagne ou résident au sein de pays africains, que 71% des exposants font partie de la gente masculine, que donc 29% de femmes participent aux “Mondes de l’art” et l’agrémentent (sauf lorsqu’elles fondent un foyer et délaissent alors quelque peu leur  activité), que près de 50% des monstrations se tiennent à Alger au sein d’espace à 86%  publics, que se montent près de vingt manifestations par mois en Algérie, que des pics adviennent en décembre et des chutes de fréquentations au moment du trimestre inhérent aux  congés d’été, que les plasticiens devenus parfois des binationaux, et qui d’après notre  interlocuteur, « (…) tournent le dos à l’Afrique et au Maghreb »42 ou reviennent au “bercail”,  se produisent à l’étranger, là où la France occupe (après l’Algérie) le premier échelon.  

Oui, très bien, et alors tout cet étalage de chiffres et de pourcentages est bien gentil, mais en  quoi fait-il avancer le schmilblick ? 

L’intellectuel organique MMA transpose sur le domaine de l’art les techniques sondagières  apprises à Paris au sein de l’équipe de développement local de la délégation à la politique de  la Ville et à l’intégration, procédés que tout sociologue connaît puisque basés sur les quotas  (sexe, âge, niveau d’instruction, santé cérébrale et physique, profession, localisation  géographique). Ce décorticage sert, entre autres, à circonscrire les monades43 composant un public dont la routine perceptive échoit aux “Mondes de l’art”44, à tous ces vecteurs que sont  le plasticiens, comédiens, musiciens, etc…, leurs pairs, collaborateurs techniques ou  commanditaires, la critique journalistique ou professionnelle, les directeurs de musées, de  théâtres ou d’opéras et les investisseurs. Avec la quantité des pôles et acteurs, la  problématique de la réception et celle de la création n’a plus à être pensée selon la vision  bipartie émetteur-récepteur, rapport frontal devenu insuffisant puisque la stratification de la  société occidentale stipule des fractions d’érudits fréquentant assidument les endroits arrogés,  rien de moins qu’une adversité-diversité des regards et langages. Les spectateurs sont en  Europe fragmentés en cercles que les études d’Howard S. Becker ont rapportés aux créateurs,  critiques, collectionneurs, marchands, à tout un panel d’yeux. Le sociologue américain a ainsi  pris en compte des “empreintes” qui incisent le trait d’une morphologie esthétique et sociale,  influencent les thématiques d’une exposition et, par truchement, les goûts d’un “Grand public”  qui, nourri de différents raisonnements et intuitions, est donc à saisir selon des données  sociodémographiques (âge, sexe, profession, niveau d’étude et origine).  

Le hic avec MMA (Monsieur Mansour Abrous) réside aussi dans le fait que l’on ne sait pas de  quelle école sociologique il se revendique ? Appartient-il au courant post-marxiste, est-il un  partisan de la théorie de la croyance, donc un Durkheimien, prône-t-il, à la manière de Pierre  Bourdieu, le renversement de la violence symbolique ou comme Jean-Claude Passeron une  anthropologie des dynamiques culturelles afin de “chronométrer” Le temps donné au  tableau45, c’est-à-dire la durée que les afficionados vouent aux toiles au sein des musées ou  galeries d’art ? Non négligeable, l’emprise dialectique et immanente de ce corps à corps (objet  ouvré-public) contrebalance la suffisance hautaine de ceux qui, de par leur éducation familiale  ou les capitaux antérieurement accumulés, possèdent les bonnes clefs intellectives pour  recevoir confortablement le message subliminal des œuvres. Laissant entendre avoir en sa  possession les passes esthétiques ouvrant les coffres détenant le secret des icônes, Monsieur  Mansour Abrous (MMA) concédera « (…) que la diversité des regards ne peut être qu’une  plus-value essentielle. »46 alors que son discours aux redondances paternalistes et  dichotomiques est incompatible avec la critique déconstructive de la représentation, avec les  hybridations et mises en scène postmodernistes qui ont remis en question les barrières entre  les arts, avec les transmigrations et interlocutions culturelles Orient-Occident, avec les décantations d’un champ de productions autorisant, par le brassage, l’interpénétration de la  vidéo, de la peinture, de la sculpture, de la littérature et de la photographie, une symbiose des  formes et des matières, la conjonction du singulier et du collectif, de l’autonomie (vis-à-vis  des oukases ou dictats externes) et de l’hétéronomie sociale. Les permanentes remises en  cause de ces deux valeurs ontologiques que sont l’authenticité et l’originalité ont déboussolé l’idée avant-gardiste d’un dépassement continu des qualités internes à l’œuvre, ébranlé les  postulats assénés autour de sa pure effectivité.  

Les critères de reconnaissance des médiums contemporains se sont grandement assouplis via le décloisonnement des pratiques et le largage des vieux clivages et présupposés théoriques  dans un monde où les médias ne cessent de se toiser les uns les autres jusqu’à se métisser. Le  melting-pot des tendances crédibilisant une visée mondialiste et souple qui dispense  désormais la fonction artistique d’une interrogation sur les hiérarchies axiologiques que  préconisait la philosophie, l’esthéticien MMA (Monsieur Mansour Abrous) se sent désemparé face aux installations, happenings ou interventions de plasticiens dont les intentions travaillent  à la définition d’un art autoréférentiel qui ne prétend plus dire le “Beau” ou le “Vrai” puisqu’il  se présente à l’œil complètement nu pour ne déclarer que ce qu’il est, soit une proposition  démonstrative et non plus une flopées d’œuvres habillées de leurs atouts canoniques fixant la  pupille sur le détail ou les tropes de l’intime. Braqué sur les traditionnelles frontières  délimitant l’art du non-art, les expressions chaudes ou froides (donc majeures ou mineures), la  rhétorique persuasive de l’ “assureur en tout genre MMA” s’en trouve déroutée, n’a plus de  balises ou de crédit à thésauriser et entreprend donc une OPA pour investir le terrain de  sociologues habilités portant leurs diligences sur les effets frontaux du visuel. İls homologuent les chocs et perturbations perceptives que procurent sur les regardeurs les modalités,  exténuations et dilutions hétéroclites d’un art contemporain devenu “son propre sujet de  réflexion et de redéfinition perpétuelles”.  

N’étant pas de la “Famille des profanateurs”, et ne sachant à fortiori pas vagabonder dans  l’interdisciplinarité, Monsieur Mansour Abrous (MMA) déambule à contre sens. À côté de la  plaque (celle donc qualificative du statut de sociologue), il demeure incapable de cerner quant  et où il y a de la valeur ajoutée, de diagnostiquer les fonctionnements et dysfonctionnements  d’une montée en singularité des artistes, de soumettre que leurs expressions du sensible ont à  être prises en charge en termes d’axiologie. Défendre un point de vue sur un avant-corps et sa  production plastique en tentant d’atteindre un maximum d’objectivité mais en s’interdisant tout jugement de goût(s), c’est-à-dire toute critique de ce qui fait l’objet de l’analyse  sociologique, repose sur un exercice que Max Weber a cerné sous la dénomination “neutralité  axiologique”. Si elle a depuis évolué, c’est en raison des épreuves assumées par le courant  interactionniste, une mouvance dont nous faisons partie alors que MMA n’est nulle part  identifiable, pas plus d’ailleurs que Benamar Médiène qui plutôt que de faire une  récapitulation de 2003, Année de l’Algérie en France transcrivait dans le Livre d’or, concocté  après la fin de cette “Saison”, ne pas entrevoir le besoin de prodiguer «° (…) un bilan, comme  les comptables et les bureaucrates de la culture savent le faire, (…) °»47. Pourtant, et de par  son rôle même de sociologue, il avait à entreprendre un “Voyage du regard”48, celui de  publics en situation face aux œuvres montrées dans les territoires artistiques de l’Hexagone. 

 Par complaisance, voire par paresse intellectuelle, il n’a pas avéré les causes explicatives de  l’enrôlement des peintres et/ou plasticiens algériens et algéro-européens à Djazaïr 2003, ne  serait-ce que pour notifier qu’après plus d’une décennie de stagnation, ceux-ci souhaitaient  faire de leurs différences et spécificités le gage d’une existence esthétique, culturelle ou  sociale. Nommé commissaire à l’occasion de l’exposition des toiles de M’Hamed İssiakhem à  l’UNESO, Médiène entretiendra l’amalgame en défendant, en tant que collectionneur des  œuvres du peintre kabyle, un capital, d’où sa posture en parfait désaccord avec le recul que,  par sa stature, respecte en principe tout sociologue. Voilà encore un stratège qui confondra sa  profession avec celle de critique et historien de l’art, refusera d’avouer que ces derniers seront  toujours mieux armés que lui pour entreprendre le commentaire d’une œuvre. Satisfait de sa  cérémonieuse prestation, il considérera la “Saison algérienne” comme «° (…) une année  fertile, de profusion °», n’envisagera à son égard aucune réflexion déplacée, ce genre  d’opinion relevant d’après lui d’une «° (…) faute de goût artistique et (d’)une injure aux  artistes. °»49. Djazaïr 2003 se particularisera au final par l’absence d’études statistiques  puisqu’aucune expertise avérée et construite ne renseignera sur le nombre de visiteurs. On  peut donc déplorer qu’un homme évoquant en 1993 l’urgence «° (…) de prendre en charge  (…) le dossier de l’éducation et de la culture, (…) °» sans quoi «° (…) nous risquons de subir  un échec terrible. °»50, n’ait pas suivi l’exemple, sur ce point notable, de Monsieur Mansour  Abrous (MMA) dont la quantification standardisée apporte tout de même des éléments de  comparaison. 

  1. e) La chute fatale du “Nous collectif” mènera tous les auteurs au Personnalisme,

L’important reste de comprendre la différence tangible entre des intellectuels organiques,  intéressés ou opportunistes et des interactionnistes qui, en accointances avec les investigations de Nathalie Heinich, sont disposés à mettre en exergue l’individu créateur, à privilégier les transferts paradigmatiques et axiologiques qui rendent visible les disparités esthétiques. Ces  médiateurs, ou marqueurs de la modernité esthétique, “retrempent” les œuvres dans les  cultures pour examiner la manière dont elles influencent l’essor du singulier, refusent ainsi le  chiffrage en tableau, remplace cette typologie “fermée”, ce schéma factice de la signalisation  hors contexte, par les articles de journaux algériens desquels découlent les ressentis de  protagonistes interviewés. En croisant leurs sources, ils rapportent l’énoncé des interrogés aux  implications et causalités idéologiques, aident à mieux dresser le registre discursif d’êtres sociaux dont nous avons crayonné, via deux tomes intitulés L’artiste créateur et l’auteur de  génie en Algérie (1830-1989 et 1989-2013), la cartographie tout en empruntant les concepts  d’habitus, de champ et de capital chers à Pierre Bourdieu, à ce sociologue de la domination  qui a mis l’accent sur l’hétérogénéité des sphères et perceptions impliquées dans l’art, sur la  nécessité de faire liens avec ces environnements que sont le social, l’économique, le politique  ou le culturel. En Algérie, ces compartimentations ont directement affecté le statut des hommes de culture dont les livres, films, dramaturgies, toiles ou sculptures gagneront en  pouvoir d’attraction dès lors que leurs habiletés ne seront plus synonymes de redondances  mais de créations, que leurs démarches viseront à changer les règles du jeu plutôt que  d’affûter les astuces classiques. Cause irrémédiable à l’identité de précurseur, et à sa  pérennité, le Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) a pour mission de concourir au caractère changeant de l’ “iceberg statut”. Son directeur, Mohammed  Djehiche, a le devoir de pratiquer une “plongée salvatrice” du côté de sa partie aquatique de  façon à prêter plus d’attentions aux installations, vidéos et autres interventions qui dénotent le changement comportemental des plasticiens algériens et algéro-européens.   

Les années “appropriationnistes” du processus d’identification, c’est-à-dire de reconnaissance  et d’appartenance, pendant lesquelles peintres et romanciers algériens s’employaient, face à la  vulgarisation de la culture hégémonique véhiculée par les mass media occidentaux, à  déconstruire ses mythologies capitalistes et bourgeoises, ont fait place nette aux quêtes  libertaires d’avant-corps qui réagissent au purisme de la spécificité souveraine d’œuvres bien  léchées et recourbées sur leur perfection, sur leurs intrinsèques vertus esthétiques, donc sur  elles-mêmes, pour les frotter aux conditions sociales et aux réalités (ou manœuvres)  politiques. İls considèrent qu’un Algérien réactif et animé d’un doute épistémologique a gardé  en lui la capacité de s’extraire des symboles gérés par les forces idéologiques qui traversent leur présent ou déjà-là artistique, de s’accomplir sur le flux compétitif d’une adversité diversité des langages et non plus en raison d’une recapitalisation symbolique ou véhémences  identitaires et patriotiques. Hors, l’année dédiée au Cinquantenaire de l’indépendance  semblait bien avoir plombé quelques esprits. Prêts à « (…) offrir un espace de rencontre »51 au sein de leur atelier52, les peintres Rachid Djemaï et Moussa Bourdine déroulaient en juillet  2013 le tapis rouge à une vingtaine de plasticiens53 plébiscités pour « (…) animer les soirées  du Ramadhan (…). »54 lors d’un regroupement d’infortune baptisé Les 2255, « (…) un chiffre  inspiré du “groupe des 22 historiques” »56.  

Le grimage révolutionnaire des deux hôtes (Rachid Djemaï et Moussa Bourdine) maquillait un conditionnement psychique et un raccourci archétypal révélateurs de cet autre  postmodernisme qu’est le “renouveau dans et/ou par l’authenticité” (“tajaddud wal açala”)  affiché dix années plus tôt par un Président appelant les pupilles de la nation à « (…) ne pas  délaisser le patrimoine légué par les pionniers de la glorieuse révolution algérienne »57. C’est  du reste ce qu’intronisera le colloque L’État algérien à travers l’histoire du 02 octobre 2013 inauguré au Cercle national de l’Armée par Ahmed Gaïd Salah. Fraîchement promu vice ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP, ce général envisageait alors de booster « (…) les gloires de la nation algérienne (…) » en intimant à des « (…) hommes de plume (à) la  parole sincère et loyale » le devoir de diffuser « (…) les connaissances (…) authentiques »,  de rectifier pour cela les « (…) faits souillés d’intentions inavouées et commandités par les  ennemis des peuples. ». Ces objecteurs-correcteurs étaient à cette occasion redevenus des  “soldats” et “moudjahidin” en lutte contre les mensonges environnant, les « (…) fidèles  gardiens de la mémoire collective (…) à travers laquelle (…) s’encrent les valeurs de sacrifice  et de dévouement (…), se renforce la volonté d’entretenir les legs de nos glorieux martyrs (…). »58. Presque cinquante ans après la Charte d’Alger de 1964, auteurs et créateurs étaient  conviés à concilier les postures du patriotisme avec les racines rabougries du nationalisme de  bunker, à souscrire à une “re-narcissation”59 qui, écrira le sociologue Lahouari Addi, “suppose que la source du pouvoir, c’est les martyrs”. Le fil conducteur du corpus littéraire  de Boualem Sansal avisera de son côté que ces “martyrs ne sont pas forcément des saints”,  qu’ils ravitaillent des mythes échafaudés de toutes pièces par de “vieux dinosaures veilleurs  de conscience”, et dont l’obsession antagoniste est de moderniser sans profaner. İls réfutent en  cela le statut de singulier parce que ses transversalités finiront par ébranler les logiques conservatrices échafaudées autour du vocable stabilité que depuis des mois Abdelmalek Sellal  martèle pour figer dans le marbre apocryphe les mêmes artefacts anesthésiants.  

  1. Sedjal : lettres peintes sur mur, 250X150, galerie Célestin, Marseille, déc. 2012. 

Chez Mustapha Sedjal, l’insubordination à la totalité toute bonne s’est forgée en octobre 2012  par l’annonce d’un désenchantement placardé à l’encontre du mot d’ordre mobilisateur de la  décennie soixante “UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE”. En ajustant le focus sur les chroniques  et parcours individuels, le plasticien-vidéaste reviendra de la sorte à l’atavisme primordial afin  de constater qu’en fin de compte n’existe qu’ “UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE, MON  PÈRE”. Devant ce slogan olographe incrusté le 03 décembre 2012 sur le mur extérieur de la  galerie Karima Célestin, chaque spectateur avait à enregistrer la mort de l’illusio “Peuple 

Héros”. Renouant avec le cordon ombilical d’une “Père-ceptible” généalogie, l’ex-Oranais lui  suppléait du substrat génétique, une descendance dénotant sa volonté de dissoudre la foi en  une “Masse Prodige” et le fantasme de l’Un pour, et au profit de spiritualités beaucoup plus  mystiques que celles des fondamentalistes religieux, mieux passer entre les mailles du “Grand  Tout” sublimé, endurer une conversion ontologique susceptible de remettre l’auteur de génie  au centre de la vie culturelle, comme le laisse par ailleurs supposer en littérature Samir  Toumi.  

Dans Alger le cri, l’écrivain épure le moi perdu et éclaté d’un quarantenaire errant sur les  trottoirs d’une cité « Complexe et impénétrable (…), belle et nauséabonde, tout à la fois »,  d’une ville contrastée mais aussi désaxée car ne sachant plus comment amortir le « Choc culturel, choc du relief. », ces bruits fracassants accentués par les écroulements de bâtisses  vétustes. De là le vocable “cri” récurrent tout au long de la trame épistolaire pour auditionner  cette capitale bruyante où la colère, plus ou moins contenue, et le chaos de la déréalisation 

sont partout agissants, où des réfractaires au totalitarisme religieux accrochent des “Cadenas  de l’amour” sur le pont-immeuble du Télemly avec l’incertain espoir de soigner leurs  traumatismes, raidissent les câbles d’une passerelle-réseau menant au libre-arbitre d’autres  séditieux refusant désormais d’être diluer dans la “Masse”, de s’affaisser devant la Grande  Histoire des frauduleuses légitimités, de trembler face aux pourfendeurs d’espace scindant la société algérienne en Faux et Vrais révolutionnaires, en Bon réconciliateurs et Méchants  éradicateurs, en une supposée Famille qui avance pendant que l’autre serait condamnée à  perpétuellement reculer dans les affres de l’incomplétude, en donc deux camps tiraillés entre  La confrérie des éveillés60 et celle des endormis.  

À relier avec la visée minimale et minimaliste de Monsieur Mansour Abrous (MMA), ces  divisions antithétiques ont impacté le Tiers inclus, c’est-dire le mixage des intellectuels  progressistes (les “laïco-assimilationnistes” jetés en pâture par les adeptes d’un pernicieux  glissement sémantique) et ceux de la mouvance djazariste de Malek Bennabi. C’est  l’accomplissement de ce Tiers-inclus, à ce jour donc encore Tiers-exclu, qui fait peur aux  dévots du manichéisme Bien-Mal, ces salafistes et généraux mafieux enclins à diviser pour  mieux régner. Aussi opposons nous résolument aux croyances bipolaires et stabilisatrices des  maîtres à penser (y compris donc Monsieur Mansour Abrous) des controverses sur ce qui  constitue la résorption de l’humain dans un système normatif et enclavé, donc banalisé  d’images-modèles. 

L’œuvre de Mustapha Sedjal n’est actuellement pas récupérable par le Musée public d’art  moderne et contemporain d’Alger. Ouvert en décembre 2007 pour exaucer les fastes politico diplomatiques d’Alger capitale de la culture arabe, il est épié par l’œil borgne et inquisiteur  d’un conseil d’orientation dans lequel siège des représentants de plusieurs ministères, parmi  lesquels ceux des Moudjahidine et des Affaires religieuses61. Autrement dit, on voit mal ces  chargés de missions qui délibèrent sur le règlement ou l’organisation interne, et possèdent de  surcroît un droit de regard sur les accords, contrats, conventions, dons, legs, comptes annuels  ou budget de la dite institution, de confirmer l’impact profanatoire d’une intervention dont  l’épitaphe sonne le glas d’un parangon entretenu depuis cinq décennies par ceux qui font des  martyrs la rente mémorielle de l’aperception historique du “Soi algérien” (et tais toi).  Abdelmadjid Merdaci62 signalera à ce sujet que « Le temps doit advenir du passage des  mythes fondateurs à la connaissance historique, et ce passage est particulièrement difficile en  Algérie où l’autoritarisme a longtemps institué les rapports à la guerre d’indépendance  comme matrice des légitimités (…). Nous vivons les contrecoups prévisibles du passage de la  thèse du peuple comme héros collectif à l’irruption du sujet comme acteur de l’histoire. »63

  1. f) Les concepts de corps, violence et désaliénation vecteurs de la reconnaissance  de l’artiste-créateur et de l’auteur de génie, 

Le long métrage Omar Gatlatou de Marzak Allouache cassait en 1976, tant dans le fond que  dans la forme, avec le cinéma des martyrs ou djounoud du noir et blanc64, avec les injonctions  laconiques et volontaristes de l’époque Boumediène. Sa tonalité perturbait les envolées  lyriques ou propagandistes des scénarios formatés. Non stéréotypée, la syntaxe n’évoluait plus  sur les traverses fictionnelles et lénifiantes léguées aux héros-pur, sur ces palliatifs incitatifs  fournis à l’ensemble de la communauté comme gage de son alliance indéfectible à  l’internationalisme prolétarien et tiers-mondiste. La narration ramenait au contraire le  spectateur à l’irréalisme de plans quinquennaux qui magnifiaient autrefois l’industrie industrialisante de Belaïd Abdesselam, objectait aux certitudes de ce gigantisme positiviste une parole sibylline chuchotée à l’oreille de spectateurs soudainement pris à partie. İls se  trouvaient en interaction dialogique et émotive avec le personnage principal qui parlait face caméra pour les sortir de leur fauteuil et les faire pénétrer dans son univers endocentrique. 

Au “Nous collectif” et populiste succédait le “Je” enjôleur d’un fonctionnaire algérois qui dès  les premiers tours de manivelle confiait aux cinéphiles que le pseudonyme de Gatlato signifie  en arabe “la virilité qui tue”. Celui qui, en quelque sorte, “frappe avec la vigueur des mots” révélait les détails d’une enfance dont les habitus culturels le conditionnaient à écouter de la  musique chaabi. Le “Jeu” du tournage entraînera ensuite, par complicités et découpages, à  suivre les zigzags urbains d’un hâbleur flottant autant dans l’air d’une cassette audio que dans  l’ère d’un vide sociétal où la journée précédente ressemblait à la prochaine avec ses illusions,  ennuis, nonchalances et banalités quotidiennes, ses frustrations amoureuses, ses bus bondés  où l’on monte pour caller une silhouette callipyge et assouvir quelques désirs refoulés et  inassouvis, compenser sa stérilité et prurit affectives. Le poids des coutumes le maintenant  soudé ou enchaîné aux mœurs immémoriaux, Omar ne s’en dégagera qu’à l’écoute de la voix  d’une femme dont le timbre attirant et mystérieux changera son destin, envoutera ses nuits et  le fera basculer de l’ombre à la lumière puisque sa parole jusque là défaite par les non-dits du  sens et inhibée par la censure du Parti unique FLN, s’épanchera en intimités, débordera de  mots doux, communiquera les épisodes d’une nouvelle chair, réconciliera les appétits  érotiques avec les humeurs tremblantes du corps défendu car sexué.  

Presque quarante années après Omar Gatlatou, la relation au corps restant problématique en  Algérie, l’unité de recherche sur la culture, la communication, les langues, les littératures et  les arts (UCCLLA)65 abordait le 03 février 201466 sa place au sein des fictions  contemporaines (donc la corporéité), des configurations poétiques ou symboliques (en tant  que reconquête du phrasé et de ses éloquences), relatait de ses infections, meurtrissures,  blessures ou violences, cela au moment même où un décret ministériel67 attribuait un statut de  victime aux femmes violées par les terroristes. Cette profanation faite au corps, Rachid  Boudjedra l’accentue délibérément dans son écriture pour bannir l’imaginaire, les fantaisies et  jouissances du moi, provoquer une réaction du lecteur, combler la béance thématique par le  libertinage et les invectives, par un verbe ciselé faisant couler la sueur, ouvrant les entrailles ou les viscères. Après Mohamed Dib et Kateb Yacine, l’auteur de La répudiation et de Journal d’une femme insomniaque dira avoir su creuser à son tour le sillon transgressif de la  modernité littéraire, être ainsi « (…) le troisième à avoir cassé ses codes (…), les tabous  sexuels (et) l’hypocrisie sociale »68. İl consacrera quelques lignes de sa graphie aux  monotypes de Choukri Mesli, un ex-aouchemite qui avec M’Hamed İssiakhem occupera  l’espace ténu de la réclusion féminine et de ses tortures pour, comme Frantz Fanon avant eux,  provoquer une désaliénation corporelle et mentale, une préoccupation également connotée au  sein des œuvres d’Abdelwahab Mokrani, Mourad Messoubeur (à ses débuts), Nadia Spahis,  Kamel Yahiaoui, Samta Benyahia, Salah Hioun, Meriem Aït-el-Hara, Rachid Nacib, Karim  Sergoua, Tarik Mesli, Amza Bounoua, Gassouma Jaoudet, Ammar Bouras, Arezki Larbi,  Boudjema Zouhir, Hellal Zoubir et Noureddine Ferroukhi. Avec son hybridation picturale  faite de préciosités androgynes, ce post-orientaliste (et non pas pro-orientaliste) cristallisera  des séductions érotiques menant au paradis des peaux parfumées, aux visions de l’extase, aux  fantasmes du non renoncement au corps, aux signes explicites ou allusifs de l’irénisme, à un  univers charnel à saisir dans le sens de la plénitude des sentiments , de la splendeur chatoyante du sensuel, d’un décor essaimant une complexité émotive et organique avec tout  ce que cela impliquera comme fragmentions, déviances et décentrements narcissiques. Chacun de ses montages accrochés en 1993 sur les cimaises de l’İnstitut Cervantès (Centre  culturel espagnol d’Alger), dans l’optique de mieux dialoguer avec Shéhérazade69, débloquait  du cadre rigoriste les chaînes de la virilité en faisant frissonner les zones érogènes d’une  musulmane dont le corps-cliché défiait l’ordre fantasmagorique de la Vérité révélée par les  sommations exclusives de la domination symbolique et autres dépositaires du tragique  fondamental. Avec le collectif Essebaghine, Noureddine Ferroukhi se positionnait en 2000  dans le champ artistique comme avant-corps et lorsque nous l’interviewions dix années plus  tard sur cette notion d’avant-garde, le plasticien confiait qu’il fallait «° (…) prendre ce terme  comme ressortant d’une expression non galvaudée dans le paysage artistique local. Ce que  nous proposions aux publics n’était pas, il me semble, arrivé à saturation dans notre pays où  il y avait lieu de poursuivre ce qui ailleurs avait atteint sa finitude historique et conceptuelle.  Par exemple, ma démarche plastique axée sur un érotisme débridé et pailleté était loin  d’avoir éprouvé tout son potentiel. »70.  

Lorsqu’un journaliste demandera à Rachid Boudjedra ce qu’il pense de la nouvelle génération  d’écrivains, celui-ci indiquera qu’elle « (…) fait son boulot (…) mais pas de chef-d’œuvre,  (…) »71, qu’elle serait par conséquent encore en dehors de son cercle démiurgique parce que  n’ayant pas suffisamment trempé son “Être-là” dans le bouillon de la perversion. Hadjer  Kouidri, remarquée depuis la publication de Nawress Bacha72, rectifiera le tir en précisant au  périodique Liberté du 03 novembre 2013 que sa contemporanéité scripturale articulait,  comme de plus en plus de romanciers, artistes, metteur en scène et cinéastes, du “Je”. Ce  mouvement d’individuation, donc éthique, pointe le bout de son nez en Algérie comme le  démontrait déjà l’article “50 ans de littérature algérienne, et après?”73 de Sara Kharfi, laquelle attestait en juin 2012 que, « Hantés par les contradictions de notre monde et de notre société,  quatre écrivains ont revendiqué leur “Je” dans l’écriture. ». Maïssa Bey, Hamid Abdelkader,  Anouar Benmalek et Yahia Belaskri auront ainsi modulé les contradictions qui rythment la  société algérienne, divulgué que « (…) les considérations politiques n’étaient plus un sujet  central (…) », que leur plume délictuelle et mnésique « (…) permet de mieux comprendre les  complexités » et que ses interprètes s’engouffrent dans le réel comme les « (…) agents de la  description des relations sociales. »74, c’est-à-dire d’échanges beaucoup plus hétérogènes et  entrelacés que les dichotomies sommaires Vrai-Faux, Mineur-Majeur ou Beau-Laid. Tout en  exhibant, avec Nina Bouraoui et Malika Mokkedem, un sujet dépressif soumis aux sévices  corporels, éjecté du monde du rêve et assiégé par une morale vécue comme une plaie du  dedans ou une blessure du dehors, Maïssa Bey se conçoit comme une « (…) citoyenne qui  observe et qui n’a plus envie d’être un témoin passif. »75, ce que confirmait d’ailleurs Hamid  Abdelkader, lequel assure que sa prose a pour fonction de “secouer les choses”, de semer le  doute au cœur de certaines idées figées. C’est du reste exactement à quoi tendent aujourd’hui  la photographie plasticienne et des installations contemporaines agencées pour provoquer un  séisme sensoriel et physique chez les spectateurs, les convier à participer à l’élaboration de  l’œuvre, à la déconstruction de la fonction d’auteur. Le corps de celui-ci n’est en effet plus le  seul médium susceptible de changer la donne du statut de l’artiste, de lui consentir une grandeur supérieure ou certifier une conscience contestataire, lucidité d’autant plus nécessaire  en Algérie où il faut maintenant « Loin de toute idée de révisionnisme, regarder sous un  autre jour, et critiquer la Guerre de Libération nationale, avec lucidité. »76. Le professeur des  universités Abdelmadjid Merdaci stipulera sur ce point qu’aujourd’hui la « (…) séquence  d’une histoire officielle, mensongère, manipulatrice, imposée par le haut, est critiquée (…)  sauf que cette critique absout sans examen les Algériens d’une si longue et passive adhésion à  cette histoire (…). Nous devons considérer que (la ) lutte pour leur indépendance, nécessaire,  douloureuse, légitime, ne fut jamais un long fleuve tranquille. »77. 

Depuis le 05 Juillet 1962, ces autochtones ou ex-Citoyens de Beauté (pour faire ici référence à  un recueil de Jean Sénac) ont suivi le feuilleton de la fin énigmatique de Boumediène, de la  démission forcée de Chadli Bendjedid puis de Liamine Zeroual, de l’assassinat en direct de  Mohamed Boudiaf. Après les quinze années loukoum et clownesques d’Abdelaziz Bouteflika, 

la génération d’Omar Gatlatou est éreintée, épuisée, a perdu ses utopies modernistes. Celle  d’une “vie meilleure, c’est une vie ailleurs”, est dans un état de décomposition oscillant entre  aphasie et apoplexie. C’est ce qui nous confesse d’ailleurs Samir Toumi avec Alger le cri,  volume comparable sur divers aspects à la projection de Marzak Allouache car si son film  avait pour panoptique Oued Koriche, l’ex-cité “Climat de France” qui domine le quartier de  Bab-el-Oued, les deux œuvres sont construites sur les mêmes angoisses et morcellements, estiment un individu fragilisé auquel elles abandonnent la laborieuse communication du  regard furtif, l’irrespect des pulsions et répulsions. Passant de son logement étroit et surpeuplé  à son bureau de petit bureaucrate, le désinvolte Omar Gatlato n’expirait que lassitude et  indifférence à l’égard des insipides héros ou martyrs de la Guerre de libération.  

Ses alter-égos de 2014 exhalant le même dédain, le ministre des Moudjahidine s’est décidé à  « (…) relater la vie des symboles de la Révolution algérienne. » en lançant la mode des Biopic, en mettant ainsi « (…) à l’écran la vie d’un très grand et brave combattant, le colonel Lotfi. »78. Aussi, à la suite de cette biographie, et après celles d’Ahmed Zabana, Mustapha  Benboulaid et Krim Belkacem, Mohamed Cherif Abbas annonçait la diffusion ultérieure de  versions « (…) historiques sur des personnalités révolutionnaires, telles que Larbi Ben  M’hidi, le colonel Amirouche, le colonel Si El Haouas et bien d’autres encore . »79. Avec ces  nouvelles fresques épiques, il s’agit moins de désidéologiser l’histoire officielle à partir des  figures de proue ou des mémoires subjectives que de contrôler quelques congruences et  pseudo-véracités hagiographiques. C’est justement parce qu’il refuse que sa discipline  s’enferme sur elle-même et ignore les logiques propres à la sociologie, à l’anthropologie et à  la psychologie, que Benjamin Stora choisira de façonner un dictionnaire bibliographique afin de « (…) rompre avec cette conception anonyme de l’histoire. » et aux lourdes apologies, il  privilégiera celle « (…) à hauteur d’hommes (…) perçue comme un genre mineur. » alors que  ce sont d’abord « (…) des femmes et des hommes qui l’ont fabriquée. »80. 

Concepteur de quatre thèses, Benjamin Stora ne s’est jamais érigé comme le grand manitou de  son domaine de prédilection, à contrario donc de Monsieur Mansour Abrous (MMA) qui à  l’İnstitut français d’Alger insistait sur la portée pédagogique d’un dictionnaire biographique garantissant « (…) à tout lecteur d’avoir une vision globale (…) depuis 1896. »81. Sa perspective pantagruélique ayant pour facteur de sortir de la pénombre des plasticiens qui « (…) pratiquent leur art dans l’anonymat. », de les mener sous les feux de la rampe, il posera  avec acuité « La problématique de la rupture des recherches universitaires sur les arts  visuels en Algérie. »82 et implorera en cette circonstance « (…) de se faire confiance entre  Algériens », de manière à insuffler une véritable synergie, à « (…) écrire notre propre  histoire artistique, avec notre vision et non pas celle d’un regard occidental. ». 

Sous les élans du “Nous” fanonien et sénaquien, on retrouve là encore les réflexes maternelles  et la vision étriquée d’un commis de l’État français cherchant à convaincre un auditoire de sa  croisade réparatrice menée contre des inquisiteurs étrangers censés usurper à toute une  population les révélateurs de son identité artistique et aperception culturelle. Hors tout cela  reste du vent et de l’esbroufe tant en vérité Monsieur Mansour Abrous (MMA) roule pour sa  bosse et a pour habitude de tirer la couverture vers le bivouac retranché de ses lubies. Nous lui  avons récemment proposé de créer un premier groupe interventionniste (composé entre autres  du vidéaste Mustapha Sedjal et de l’architecte d’intérieur ou designer Cherif Medjber) en  mesure de se déplacer en Algérie (au maximum trois fois par an) au sein d’une école d’art afin  de dispenser (pendant une semaine) un programme spécial, c’est-à-dire complémentaire à  celui en cours. L’ex-enseignant algérois a repoussé à deux reprises la sollicitation. Mettre les  mains dans le cambouis n’étant visiblement pas son genre, plutôt que d’aller sur le terrain,  comme le feraient un sociologue et un anthropologue, notre Seigneurie se gargarise d’ardeurs  emphatiques ou élogieuses et argue à ses apôtres qu’ils sont la « (…) profondeur stratégique  de l’Algérie » et qu’il leur appartient de se dégourdir de manière à « (…) dépasser la logique  d’assistanat par l’état (…) à ne compter que sur (eux)-mêmes. »83. 

L’ “assureur en produits dérivés MMA” reprenait en fait un plaidoyer soumis dès octobre  2013 en réponse à la pétition Les abattoirs d’Alger, une aubaine pour l’art. Nous invitions  alors rédacteurs et prétendants à tourner le dos à un improbable espoir et à “zyeuter” plutôt  vers le projet “Alger vit la nuit”84, ne serait-ce que pour examiner l’ultimatum déclenché en  parallèle avec le cahier des charges prescrit par l’Assemblé populaire communale (APC) et  recommandant la réfection des 450 magasins du centre ville fermés, ordonnance susceptible  d’entraîner des disponibilités locatives. À notre humble avis, les passionnés d’art ou de  littérature avaient là à saisir d’éventuelles vacances pour occuper plusieurs surfaces, cela  d’autant mieux et plus que certaines appartiennent toujours à l’Office de promotion des  gestions immobilières (OPGİ), donc à l’État ou encore au wali d’Alger85 qui certifiait en  octobre 2012 qu’à « (…) présent nous sommes aptes à recevoir des artistes de renommée  mondiale. »86, à donc satisfaire des prestations de qualités, notamment depuis le  renouvellement des infrastructures de la capitale87 et la réouverture des salles İbn Khaldoun88,  l’Afrique et Echabab (ex-Casino). Rafraîchir moins les façades des boutiques ou commerces  que le paysage culturel est l’objectif qu’ont à s’imposer les animateurs, peintres ou plasticiens  pour, en allant frapper à la porte du cabinet de Mohamed Kebir Addou (le wali d’Alger), non  pas le “prier de”, mais bien exiger des lieux en cessation d’activité89 pour y aménager des  ateliers, librairies, voire des librairies-galeries, devenir de la sorte moins tributaires de l’“État-Armée providence” et échapper à la régulation restrictive des circuits promotionnels, se  dépêtrer pleinement des asservissements et diligences subis par les habituels encartés, ceux à  qui le journaliste Jacques de Barrin s’adressait en novembre 1993 en spécifiant que «° (…) les  intellectuels algériens qui appellent à une solidarité agissante ne se sont guère manifestés au  temps des années de plomb lorsque leur pays vivait sous la férule du FLN, le parti unique.  Par leur apathie, ils se sont alors rendus complices d’un Régime totalitaire presque aussi  odieux que celui auquel rêvent les fous de Dieu. »90

L’usurpateur-fanfaron MMA (Monsieur Mansour Abrous) fait manifestement partie  intégrante de ces “facos”91 joueurs de fifre reprenant à leur compte des persuasions ou  volitions sans même citer l’initiateur, une attitude à mille lieues de la déontologie d’un  chercheur qui, par courtoisie ou honnêteté intellectuelles, renvoie toujours le lecteur aux  intervenants dont il soutire les références, cela de manière à le diriger vers d’autres ouvrages  et lui élargir l’horizon. En soutenant vouloir, via un mémorandum détaillé par ordre  alphabétique, « (…) donner une part de visibilité aux artistes algériens. » et en arguant que  « C’est par les initiatives individuelles qu’un suivi collectif peut être possible »92, Monsieur  Mansour Abrous (MMA) reprenait également à son actif le rouage interactionniste d’une  sociologie de la médiation naviguant en permanence entre le spécifique et la globalité afin de  ne pas céder à une lecture interne ou externe des œuvres, lesquelles appartiennent autant à son  fondateur qu’aux divers groupes sociaux ou publics qui les regardent, relèvent par conséquent  des manifestations inédites de l’agir solitaire et du partage d’expressions en prise directe avec  les entreprises simplificatrices de pseudo universitaires dont les raccourcis ou maïeutique font  préjudice à la montée en singularité(s) des artistes-créateurs et auteurs de génie. Considérant  que c’est exactement à quoi conduit les annales d’un tartuffe enclin à dénoncer « (…) l’effet  du copinage et le traitement inégalitaire », à se féliciter de la création du Fonds des Arts et  des Lettres puis d’un panel de « 10 écoles d’art (…) dû à la volonté des artistes. » uniquement pour approvisionner ses appétits égotistes, nous ne prêterons pas davantage  d’intérêt à son message conciliateur indiquant que « (…) l’heure est au classement (…), pas  à la division des énergies positives. »93. Les acteurs de tel ou tel champ partagent en principe  les mêmes valeurs, les négocient afin de tisser le maillage d’un réseau intellectif capable de  maintenir une adhésion aux conventions partagées, processus d’agréments tacites,  d’arrangements entre des personnes qui s’entendent assidûment. Hors, nous ne ressentons au  final aucune complicité avec le registre d’un “assureur MMA” estimant que « (…) l’art et la  culture sont la profondeur stratégique d’une nation, en termes d’éthique, de comportement et  de droiture. »94, alors qu’il n’intériorise et n’extériorise aucune de ces trois dernières qualités. 

İl y a d’abord prépondérance à s’extraire des imbroglios colportés et dispersés par des usages  autoréflexifs tendant à comparer les œuvres mineures aux majeures, à corroborer une  hypothétique « (…) domination des plasticiens algériens sur les praticiens d’art musulmans (…), une injustice entre les professionnels et les autodidactes, (une) discrimination  géographique entre ceux qui habitent les grandes villes et ceux qui sont dans le reste de  l’Algérie. »95. Monsieur Mansour Abrous (MMA) régule des bipolarisations en dehors des  introspections sociologiques, anthropologiques, philosophiques, historiques ou théologiques,  donc d’une incursion au sein d’une interdisciplinarité commode pour dessiner les enjeux artistiques et conceptuels souvent détournés par des aspirants spécialistes. Plutôt que de  claironner à tue-tête que l’art et la culture « (…) sont les meilleurs remparts pour assurer la  sécurité d’un pays et la cohésion nationale »96, le nonce MMA ferait mieux de se retrancher  au sein de la Cour des comptes pour faire les bilans chiffrés et logistiques des copieuses 

manifestations lancées en grandes pompes depuis dix ans par l’ “État-Armée providence”  dans un pays où Zéhira Yahi, la Chef de cabinet de Khalida Toumi, se nomme commissaire  du Festival du film engagé, avec à la clef un nutritif complément de salaire, où le prochain  Festival national de la photographie d’art (qui aura pour thème l’enfance) organisé par le  Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) ne se tiendra pas au sein de  cette dernière institution mais à la galerie “İsma”, où ce transfert litigieux dénote une  collusion d’intérêts par principe inconcevable puisque Mustapha Orif est à la fois le directeur  de cet espace (actuellement gérée par son épouse) et le responsable de l’Agence algérienne  pour le rayonnement culturel (AARC)97, où occupé autrefois par les Galeries algériennes, le  MAMA a repris sa destination de souk, mais cette fois au profit de la consommation indigente  de l’esthétique, où son régisseur ne répond jamais aux propositions d’expositions et de débats,  continue à faire le sourd alors que nous ne cessons de l’interpeller sur la cohérence discursive  et iconographique à même d’esquisser l’axe médian d’un “Champ du Signe” (et à travers lui  des sillons annexes), où des maisons d’éditions poussent comme des champignons sans que  leurs dirigeants n’aient l’environnement et le personnel adéquats (bureau et correcteurs) mais  bénéficient par contre parfois d’une ligne directe avec le ministère de la Culture qui leur accorde quelques enveloppes et conventions alors que les tapuscrits ne sont même pas  commencés.  

Ainsi, le dernier rapport de la Cour des comptes notifie que « Des livres ont été édités et  financés en 2009 et 20010 par le Fonds d’aide à la création avant de faire l’objet d’accord de  la commission de lecture. », que des opérations de moyennes et grandes envergues sont  inscrites, « (…) alors que celles déjà individualisées connaissent un faible taux d’avancement  ou n’ont pas été lancées », que les budgets alloués en faveur de tel ou tel projet sont  détournés ou réorientés en direction d’autres, cela sans études préalables ou prévisionnels, que  les départements du Palais Moufdi Zakaria sont dépourvus de pièces justifiant les dépenses,  que la gestion beylicale et frénétique semble bien prouver que l’ “État-Armée surveillance” ne  s’inquiète que de la paix sociale qu’il capitalise à coup de milliards dilapidés lors d’Alger  capitale de la culture, 2007 ou de Tlemcen, capitale 2011 de la culture islamique, deux  fastueux événements aux bilans financiers tout aussi opaques. La balance des paiements et des  avoirs (“pour ma pomme”) tangue tout aussi dangereusement vers les tractations occultes  quand des parachutés au sein du champ culturel implantent sous couvert d’associations (à but  lucratifs) des Biennales et autres Festivals d’art contemporain sans jamais s’expliquer sur la  provenance et la transparence des fonds ou encore sur le manque affligeant des actes à  normalement publier après chaque séminaire. La tâche des divers commissaires nommés  paraît pareillement être prise à la légère. Elle requiert pourtant une bonne expérience  lorsqu’on à la lourde charge de sélectionner des artistes. Abdelkader Damani, que nous avons  rencontré le 13 décembre 2012 à l’occasion du colloque Art et engagement politique98, semble  sur ce point assez sérieux car l’un des rares à élargir l’éventail de sa pratique curatoriale en la  ventilant autour de la quadrature espace-regardeur-œuvre-discours. Même si ces antiennes  accréditent depuis plusieurs années les perspectives sociologiques, ou ce que l’on nomme “effet d’hystérésis”99, il ne sait pas improviser concepteur indépendant du jour au lendemain.  Damani a appris ses gammes en dirigeant la plateforme VEDUTA à la Biennale d’art  contemporain de Lyon et sera le commissaire de la prochaine Biennale de Dakar, ville avec  laquelle Alger tente de rivaliser mais pour l’instant en vain, cela tant que « La médiation des  savoirs académiques (qui) est l’un des chemins de l’apaisement de la mémoire collective  algérienne. »100, ne permettra pas de déstocker les symptômes des maltraitances et syndromes  de l’inconsistance.  

Chassé en 1985 par Cheikh El Ghazali du symposium de Bejaïa, Mohamed Arkoun aurait  certainement apprécié voir la sphère arabe accéder à une véritable sécularisation politico culturelle. Aussi, insistait-il de son vivant sur l’incontournable perturbation « (…) des  systèmes de pensée religieuse anciens et des idéologies de combat qui les confortent, les  réactivent et les relaient. »101. En concordance avec ses thèses, nous estimons que les  plasticiens algériens se débarrasseront assurément de leurs “flingueurs”, s’extirperont du  champ des clôtures doctrinales solidifiées lorsque « (…) toute intervention subversive est  doublement censurée: censure officielle (…) et censure des mouvements islamistes. ». Dans  l’un et l’autre cas, la modernité esthétique, acquise par involution pendant la période coloniale puis lors de la postindépendance via les paradigmes de re-singularisation et (déjà) de  “renouveau dans l’authenticité” (“tajaddud wal açala”), demeure encore sous l’épée de  Damoclès des philistins de la “Famille révolutionnaire” et « (…) sous la dépendance de  l’orthodoxie fondamentaliste. »102. İl ne suffit pas en art de s’arrêter à la forme, de la malaxer  en contorsionnant des matériaux dispatchés ensuite dans l’espace ou mis en scène. Aborder  cette immensité, cet océan devenu sans rivages qu’est la création, c’est aussi prendre à bras le  corps la question du fond. Si quelques pro ou post-fanoniens l’assumeront en menant une  virée underground du côté du pré-monde et en y puisant le substrat salutaire, pour, dira à la suite Kateb Yacine, choisir “entre les bonnes et les mauvaise savates”, rien ne paraît avoir été  délié de ce côté-là, tant les nœuds gordiens de la sanction “légiti-matrice” jugulent la moindre  trouvaille repêchée ou confectionnée et retardent la marche vers la voûte des intelligibilités.  Notre démarche conceptuelle a consisté à sillonner l’itinéraire de la “plongée fanonienne” puis à orchestrer les pas et transcendances du “Champ du Signe” de manière à ce que quelque  chose meurt et qu’autre chose d’autre naisse. Agir de la sorte, c’est fermenter de l’autonomie vis-à-vis des tabous endogènes et de linéarité occidentale, c’est mettre au pilori les sentences  maintenant que « (…), franchement nous n’avons pas de grands artistes d’art contemporain  en Algérie »103, c’est ébranler le principe du Tiers-exclu pour faire sortir le Tiers-inclus de ses torpeurs, apories et marginalisations, c’est tronçonner l’arbre MMA (Monsieur Mansour  Abrous) qui ne sert qu’à cacher la forêt, c’est-à-dire la pleine et entière arborescence du statut  de l’artiste. İl convient désormais de le déployer pour que les avant-corps algériens hument et  respirent une aurore méridionale et, par causalité, prospèrent en visibilités en inscrivant leurs  cachets singuliers sur l’atlas de la contemporanéité. 

 SAADİ-LERAY.
Sociologue de l’art  Paris.
Le 08 février 2014. 

 

Notes :

1 Le dictionnaire biographique des artistes algériens (1896-2013) : objet, conception, usages et devenir.

2 Puis trois jours plus tard à Oran. 

3 La direction des Affaires culturelles de la Mairie de Paris est composée de quatre sous-directions (celle  de l’administration générale, du patrimoine et de l’histoire, de la création artistique, de l’éducation  artistique et des pratiques culturelles), structures auxquelles Mansour Abrous ne fait aucunement partie puisque agissant en tant qu’agent local de la Délégation à la politique de la Ville et à l’intégration (DPVİ).  Autrement dit, l’ “expert” en question n’est pas chargé des mises en entendement(s) des expositions d’art  moderne et contemporain mais mandaté pour assister dans le 19ème arrondissement de Paris, et au sein du  quartier difficile de Stalingrad (connu pour ses problèmes de drogue), des populations d’origine étrangère 

en insertions ou réinsertions sociales. C’est à ce stade qu’il intervient, cela en vertu de son titre de Chargé  de mission culture et communication, ce qui le localise comme soutien psychologique de personnes  connaissant des difficultés d’adaptations urbaines et certainement pas comme chercheur et spécialiste des  antiennes inhérentes aux problématiques du monde de l’art. 

4 Mansour Abrous, in La tribune, 19 janv. 2014

5İbid. 

6 Le nouveau décret permet aux artistes et auteurs indépendants de devenir des ayants droit, cela au  même titre que l’ensemble des travailleurs. İl réglera le hiatus de ceux en début de carrière et celui des  acteurs de plus de 60 ans qui n’auront jamais cotisé à la CNAS ou CASNOS, donc à une caisse de retraite  au cours de leur carrière puisque l’article 11 leur confère la possibilité de racheter des droits non pris en  compte lors des périodes antérieurement travaillées. Grâce aux dispositions complémentaires du  dispositif, qui comporte aussi les mécanismes d’affiliation et des formulaires de déclaration (aux mentions  appropriées), la couverture sociale sera donc rétroactive pour les créateurs encore en exercice et jusque là  sans pension et protection maladie. 

7 Un dispositif protecteur qui devrait entrer en vigueur en février 2014. 

8 Abdelkader Bendamèche, in Horizons, 16 janv. 2014. 

9 Belaïd Medjkane, in Horizons, op. cit. 

10 Un inventaire qu’Abdelkader Bendamèche dira être en cours de constitution. 

11 Belaïd Medjkane, in Horizons, op. cit.

12 Khalida Toumi, in El Watan, 03 janv. 2008. 

13 2003, Année de l’Algérie en France, Alger, capitale 2007 de la culture, le second Festival culturel  panafricain, 2011, Tlemcen, capitale de la culture islamique et Constantine, capitale 2015 de la culture. 14 Mansour Abrous, in L’Expression, 20 janv. 2014. 

15 İbid. 

16 Exécutée par la main ou sous le contrôle de son auteur.

17 Thomas Mc Evilley, in L’identité culturelle en crise, art et différences à l’époque post-moderne et  postcoloniale, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1999, p. 13.

18 Dans lequel s’opèrent et se révisent les luttes d’influence ou transgressions esthétiques.

19 À partir du moment où son langage (plastique et idiomatique) se situait dans la continuité d’un art de  résistance ou correspondait au projet socialiste et collectiviste.

20 C’est-à-dire la réalisation d’une production qui se fonde sur ses propres principes, les capacités  rationnelles de l’artiste, ses actions, orientations ou exploitations “performancielles” qui tendent plus vers  des intentions transgressives qu’en direction d’une efficacité pragmatique. 

21 Mustapha Orif, in Variétés, 11, 22-28 déc. 1991. 

22 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

23 Denis Martinez, in Révolution Africaine, 17 oct. 1986. 

24 Mustapha Orif, in Variétés, 11, op. cit.

25 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

26 Mansour Abrous, in La tribune, op. cit. 

27 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

28 Mansour Abrous, in La tribune, op. cit. 

29 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

30 En partenariat avec la chaîne Arte. 

31 Mansour Abrous, in La Tribune, op. cit.

32 Slimane Benaïssa, in El Watan, 30 janv. 2014. 

33 Mohammed Djehiche, in El Moudjahid, 16 déc. 2013. 

34 Mansour Abrous, in La Tribune, op. cit. 

35 Sadek Amine Khodja, in El Watan, 28 nov. 2011. 

36 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit.

37 İbid. 

38 Le regretté Jean-Louis Pradel nous a quittés le 23 octobre 2013. 

39 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

40 Mansour Abrous, in La tribune, op. cit. 

41 İbid.

42 İbid. 

43 Unité non statique que les sociologues décortiquent en sexes, tribus, groupes, professions ou classes  d’âges, une monade désigne aussi chez les pythagoriciens le principe des choses matérielles et spirituelles.  44 Le livre Les mondes de l’art, qu’Howard S Becker a fait paraître au début de l’année 1982, analyse les  relations publics-artistes, les articulations que ces deux entités entretiennent avec les opérateurs culturels  et les œuvres, les interférences existantes entre un pouvoir d’action et le capital intellectuel ou esthétique  acquis, ce que le marché culturel offre ou propose et les valeurs admises à telle ou telle période par la  société en question. 

45 Livre que Jean-Claude Passeron a publié en 1991. 

46 Mansour Abrous, in La tribune, op. cit.

47 Benamar Médiène, in Livre d’or, “Voyage du regard”, Association française d’action artistique, 2003.

48 İntitulé de son texte publié dans le Livre d’or.

49 Benamar Médiène, in Livre d’or, op. cit. 

50 Benamar Médiène, in El Watan, 03 mars. 1993.

51 Moussa Bourdine-Rachid Djemaï, in La Tribune, 27 juil. 2013. 

52 Au “Village des artistes” proche du complexe touristique de Zéralda. 

53 Parmi lesquels Arezki Larbi, Valentina Ghanem, Djahida Haouadef, Karim Sergoua, El Hachemi  Ameur, Adlène Djeffal, et Abdelkader Belkhorissat. 

54 Moussa Bourdine-Rachid Djemaï, in La Tribune, op. cit. 

55 Du jeudi 25 juillet au 07 août 2013. 

56 Moussa Bourdine et Rachid Djemaï, in La Tribune, op. cit. 

57 Un message lu en son nom par le ministre des Moudjahidine, Mohamed Chérif Abbas. 58 Ahmed Gaïd Salah, in L’Expression, 03 oct. 2013. 

59 Vocable introduit par Abdelaziz Bouteflika, in discours de clôture Djazaïr 2003, Sorbonne, 18 déc. 2003.

60 Titre d’un livre de Jacques Attali publié en 2004 aux éditions Fayard. 

61 Plus exactement des Affaires religieuses et des wakfs. 

62 Professeur des universités, sociologue et historien. 

63 Abdelmadjid Merdaci, in El Watan, 27 janv. 2014. 

64 Sous titre de l’exposition du Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), Les  photographes de guerre, mai-août 2003.

65 Elle relève du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran. 66 Dans le cadre du projet de recherche Réception critique du roman contemporain algérien. 67 Signé le 1er février 2014 par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. 

68 Rachid Boudjedra, in L’Expression, 11 nov. 2013.

69 L’exposition s’appelait justement Dialogues avec Shéhérazade

70 Noureddine Ferroukhi, in entretien personnel, Alger, 10 mai. 2010. 

71 Rachid Boudjedra, in L’Expression, op. cit. 

72 Sorti aux éditions Anep. 

73 İn Liberté, 24 juin. 2012. 

74 Anouar Benmalek, in Liberté, op. cit. 

75 Maïssa Bey, in Liberté, op. cit.

76 Hamid Abdelkader, in Liberté, op. cit. 

77 Abdelmadjid Merdaci, in El Watan, op. cit. 

78 Mohamed Cherif Abbas, in El moudjahid, 23 janv. 2014 

79 İbid. 

80 Benjamin Stora, in Liberté, 22 janv. 2014. 

81 Date correspondant a la première exposition de Mme Benyoucef à Londres.

82 Mansour Abrous, in La tribune, op. cit. 

83 Mansour Abrous, in L’Expression, 20 janv. 2014. 

84 Son principe est de redynamiser la capitale, de la rendre semblable à celle des métropoles étrangères. 85 Depuis que celui-ci à récupérer des salles, échoppes ou dépôts grâce à son programme “Jeunesse 2000”. 86 Mohamed Kebir Addou, in L’Expression, 20 oct. 2012. 

87 Les autorités locales venaient tout juste de baptiser “Historial” un nouveau centre consacré à l’histoire  contemporaine du pays. 

88 Après sept années de travaux, elle est dorénavant en mesure de recevoir plus de 800 spectateurs. 89 Tombé en ruines, l’hôtel des Négociantsest un édifice actuellement disponible.

90 Jacques de Barrin, in Le Monde, “Les intellectuels et les autres”, 05 nov. 1993. 91 Laudateurs qui blablatent ou déballent constamment les mêmes choses. 

92 Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

93 İbid

94 Mansour Abrous, in La Tribune, op. cit. 

95 İbid.

96 Ibid. 

97 Une structure passée sous le statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial (EPIC)  pour drainer des bénéfices financiers et avoir la main mise, ou droit de regard, sur tout ce qui concerne et  touche la création artistique en Algérie. 

98 Organisé au MAMA dans le cadre du quatrième Festival international d’art contemporain (FİAC).

99 İl s’agit là du décalage temporel dans l’appréciation d’une même œuvre, laquelle évolue dans la durée  sans que les acteurs-regardeurs perçoivent la modification ou changent leurs dévotions. 100 Abdelmadjid Merdaci, in El Watan, op. cit. 

101 Mohamed Arkoun, in L’Express, “İl est vital que l’İslam accède à la modernité”, entretien, 27 mars.  2003.  

102 İbid. 

103 Mohammed Djehiche, in El Moudjahid, op. cit.

 

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