L’Algérie est un pays plein de mystères et de différences, à la fois stable et changeant, empreint de croyances et curieusement superstitieux ; un pays enfermé dans ses frontières, retranché derrière le Sahara, les hauts plateaux et la méditerranée, mais hantée sans cesse parl’ « étranger ». Un pays qu’on essaya vainement de fasciner, mais qui résista contre toutes les influences. Aux peuples qui l’ont occupé, aux populations venues d’Orient et d’Europe avec des principes nouveaux, l’Algérie ne garda que ce qui servait à épargner sa particularité.
Il en fut ainsi de ses mœurs, de ses traditions et de son art. Par des traces, des symboles sur les bijoux, des marques sur le cuir et costumes ou sur la surface de son corps, le maghrébin a toujours porté les signes d’une magie naissant d’une géométrie secrète dont l’expression exprime souvent ses croyances et rites anciens. Appréciations de l’ère phénicienne, berbère, africaine, orientale ou d’ailleurs, elles se sont déposées en mémoire dont se sont imprégner nos esprits, nos villages, nos langages et finalement notre expression artistique.
Depuis les découvertes des magnifiques peintures rupestres du Tassili ; notre patrimoine a vécu et s’est formé au gré des multiples civilisations. De Tyr (inscrite depuis 1984 sur la liste du patrimoine) à Byzance puis Rome et bien plus tard l’islam, Les vestiges nous restent témoins de leur époque à travers les traces et empreintes a même les roches et pierres durables. Les dessins du massif montagneux n’Ajjer, unique au monde de par leur qualité et leur nombre, les peintures murales des Ouahdias, les arts traditionnels des Aurès, du sud, les alphabets du Hoggar ; le tifinagh alphabet touareg ancien sont devenus un élément dominant de notre culture ancestrale.
Les différents brassages des groupes ethniques à travers le Maghreb ont favorisé l’amélioration et la transformation des signes de représentations. Actuellement tous les gestes et pratiques employés en art plastique en Algérie sont sous tendus par les résurgences du passé. Depuis assez longtemps, des références graphiques figurent sur les poteries, les tatouages et les tapisseries qui sont tissés de laine avec des réminiscences aussi.
Au Maghreb, dans les régions berbérophones riches en système de signes et de symboles puniques libyco-berbères ; les combinaisons graphiques deviennent un participe indubitable a toutes les représentations picturales. Ces alphabets nés d’une transcription permanente ont la spécificité d’être parmi les plus anciennement développé dans le monde contrairement à l’écriture calligraphiée ou la miniature enluminée prescrite sous la bannière des conquêtes musulmanes. Il semble clair qu’en ce patrimoine artistique, les empreintes rituelles graphiques, décoratives ou conceptuelles demeurent des éléments précieux et distinctifs par leurs compositions.
Prosper Ricard (1874-1952) découvre l’Algérie en 1899 avant de s’y installer en 1910 pour devenir ‘‘ inspecteur délégué pour l’enseignement artistique et industriel dans les écoles indigènes d’Algérie’’. Il a été le chantre des arts d’Afrique du nord et fin connaisseur de l’artisanat indigène sous tous ses aspects. Il soulignait dans un texte du fond d’archives intitulé « le génie inventif des arts décoratifs africains » que : ‘‘….. moi qui les ai vus à l’œuvre pendant cinquante ans, je puis attester que, sans s’astreindre à copier des œuvres déjà existantes, il en est qui se sont montré capables de réalisations très personnelles. Cela tient parfois du prodige……Ont tous eu, à des degrés divers et à maintes époques, des représentants justement réputés pour l’originalité de leurs œuvres.’ (1).
La peinture ne devient véritablement un procédé artistique que plus tard vers la fin du 19ème siècle. Dès lors, on comprendra l’engouement et l’intérêt porté jadis par les peintres voyageurs, depuis la conquête napoléonienne en Egypte puis la colonisation de l’Algérie en 1830.
L’art se développait par ses propres fantasmes, sans calcul ni spéculation avec sa propre condition libre et son écriture pictographique sinon idéographique qui reconvertissait des objets en signes ambigus voire ésotérique. Subissant consciemment ou non d’autres conformations des mains du potier, du tisserand, du lissier ou du peintre pour devenir plus imprécis, plus vague au fil des temps…elles nous reviennent par des conséquences qui se font d’elles-mêmes sans aucun choix délibéré et tributaire d’une incertaine attirance géographique.
Après les années 20, avec le surréalisme et ses imaginations, les genres picturaux commencèrent à s’accélérés dans une véritable révolution artistique. Les manières de voir et procédures de faire deviennent autres. La métamorphose de l’art, rendue possible par l’informel conduira alors vers d’autres formules de reconnaissance. Ainsi, les aléatoires grilles de lecture liées à l’art du 20ème siècle encouragent un retour sinon un repli aussi vers des arts autochtones très anciens.
Alors que des artistes accueillent avec enthousiasme les conceptions de l’art moderne et tendent à élargir ses conformations, quelques praticiens algériens, épris d’une grande culture africaine, s’encouragent à réactiver le champ artistique local en redynamisant des pratiques rituelles décoratives.
Notre recherche se propose d’étudier ce nouvel agencement patrimonial dans le cadre des arts plastiques et de ses évolutions socioculturelles. Cela interpelle forcement des analyses à faire, autour des correspondances interactives des productions picturales. Il convient d’expliquer que notre étude ne consiste pas à réaliser un travail sur la peinture algérienne mais à s’intéresser aux primitives assignations se rapportant aux premières expérimentations artistiques locales où figurait comme par exemple le mouvement du Groupe Aouchem(Tatouage) en 1967.
Cette étude en art sur l’expression par des signes traditionnels s’avère complexe en raison de plusieurs points ; un processus artistique modérément nouveau, une visualisation proche des arts populaires, une insuffisance d’expertise ainsi que le champ culturel qui porte en lui-même beaucoup d’incertitudes éveillant moult interrogations. L’intérêt étant de repérer les liens de renvoi avec certaines pratiques manufacturières traditionnelles qui réalisent l’interdépendance avec la démarche artistique Aouchem.
Comprendre les enjeux, les imputations et l’évolution dans la peinture Aouchem, permet de mieux capturer les dispositifs de cette mouvance artistique.
Apparemment dans cette mouvance artistique, les symboles et outils ethnographiques ne deviennent plus des objets comme finalité d’expression, cependant, les transmutations, les conversions graphiques et interprétations permettent une omniprésence qui souscrit à l’installation d’un art local nouveau.
Quoi qu’il en soit, au Maghreb, la peinture Aouchem doit être abordée à partir des aspects de ses outils conceptuels, de leur évolution et des notions esthétiques s’y rattachant. Il s’agit de comprendre, non pas la configuration symbolique des différents signes structurant la forme représentative mais la correspondance avec l’« écriture » artistique contemporaine. Le style formel ne tarda pas à enrichir et à rendre très importante cette catégorie de peinture. Celle-ci sera néanmoins interrogée aussi quant à son implication dans le patrimonial, car elle procède d’une formulation inspirée du culturel local.
La peinture Aouchem, expression picturale ou art vivant
Si nous remarquons aujourd’hui dans les pratiques de représentations l’importance des caractéristiques iconographiques ou de style, cela explique l’influence des arts traditionnels et populaires. Il apparait nécessaire de comprendre quelle ascendance introduit ce corpus et à quelle cohérence il obéit.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la lutte de libération a débuté en Algérie le 1er novembre 54 pour aboutir après de lourds sacrifices à l’indépendance en 1962. C’est aussi la découverte de la liberté avec toute son autonomie culturelle et artistique. L’état des lieux sociaux laissé par l’occupation n’a d’égale, dans le conscient de la population algérienne, que la misère, l’inaptitude et l’inexpérience.
Avec l’indépendance, c’est le tournant culturel et l’éclosion d’une nouvelle expérience artistique algérienne défroqué partiellement de la tutelle étrangère. En conséquence, plusieurs artistes, désorientés par de multiples tensions et contradictions, commençaient à se questionner sur leur patrimoine culturel déjà fortement métissé. Cette situation conflictuelle, commençait à faire apparaître de grandes divergences entre artistes dans le domaine des beaux-arts et de la peinture.
Soulignons, quand même, que la génération algérienne des années 30 tels : Baya, Guermaz, Benanteur, Issiakhem, Benmansour, Mesli, Khadda, Aksouh, entre autres ont déjà eu la reconnaissance et les honneurs de l’école de Paris des années 50
Seulement, avec l’évolution de l’art moderne, les artistes – chose difficile à apprécier se trouvent déjà confrontés à la problématique du quoi et comment peindre dans l’Algérie libre. Il faut rappeler que pendant la révolution, c’était le chevauchement forcé ou volontaire de certains plasticiens qui va déterminer la problématique du concept artistique et de la créativité dans le champ des arts plastiques.
En pleine révolution culturelle africaine, l’Algérie, politiquement socialiste et tiers mondiste à l’époque, aborda-t-elle aussi art national-socialiste. En 1963, dans la suite des organisations de masse à l’époque, douze peintres se regroupèrent a l’ENBArts d’Alger et décident la création de l’Union Nationale des Arts Plastiques cristallisant la fine fleur de la peinture algérienne. Il y avait Yelles Bachir (Président fondateur) Ali khodja Ali, Mesli Choukri, Temam Mohamed, Issiakhem M’Hamed, Khadda Mohammed, M. Zmirli, M. Bouzid, M. Ranem, Kara Ahmed, Flidjani Kheira, Louail Mohamed.
Il est juste de rappeler que la peinture algérienne marqua sa grande apparition lors de son premier salon national artistique en juin 1964 àla galerieRacim Alger (7, avenue Pasteur) et qui fut inauguré par le président Ahmed Ben Bella.
Mais, la première exposition fut organisée par le comité de l’Algérie nouvelle du 13 au 21 juillet 1962 à la salle Ibn Khaldoun par les artistes Yelles Bachir, Boumehdi Mohamed, Sahouli Abderahmane , Ali Khodja Ali.
Dans le petit catalogue préfacé par Mourad Bourboune qui dirigeait la Commission culturelle mise en place par le FLN., il était écrit : ... « Fidèles aux contours des signes et des rythmes propres à cette terre, alignent ensemble leur efforts vers la même direction vers cette rénovation culturelle qu’a désormais rendue possible notre jeune révolution …. » « Côte à côte avec des talents confirmés, voici les premières toiles de jeunes peintres qui déjà s’apprêtent à prendre le relais de leurs aînés et déjà expriment leurs audaces. »
Mais avec le temps, ces tensions s’amenuisèrent avec l’énergie de l’expression pour aboutir aux premières scissions produisant de nouvelles alliances comme la société de la « jeune peinture », le groupe « 54 », groupe Aouchem suivi del’école du signe et bien d’autres encore.
Aouchem, une source pour la peinture algérienne
Le groupe Aouchem organisa seulement trois expositions dans sa brève existence et la première fut en 1967. Ce fut une manifestation si ésotérique pour certains par son aspect folklorique et si choquante pour d’autres, allant jusqu’à faire décrocher leurs toiles des cimaises.
Ce groupe composé de neuf artistes déjà connus ; Mesli, Adane, Saadani, Martinez, Baya, Banbaghdad, Zerarti, Dahmani, Abdoun, élabora même un manifeste qui sera désapprouvé par des concurrents et revendiqué par d’autres. Il y avait même des bagarres idéologiques disait Mesli, mais ce groupe Aouchem marquera les annales de la peinture algérienne.
Cette école de style déclencha de nombreuses tensions entre les praticiens de l’art et une problématique intéressante pour les historiens et chercheurs sur l’identité culturelle et l’aliénation occidentale (2). Bourboune notait en ce sens que« dans la diversité des talents et des expressions ; d’aucuns verront des tendances opposées, voire antagonistes ; nous, nous y voyons que des branches ascendantes d’un même arbre. »
Mais dans les années 70, Il y eu des écrits de Khadda complètement opposé « Ce groupe turbulent n’hésite pas à se dire révolutionnaire quitte à affirmer avec aplomb que le signe est plus fort que les bombes ! Et joignant l’acte au bavardage ; il versait dans un populisme misérabilisme en peignant pour le peuple sur des matériaux, à leurs yeux populaires telles que serpillière, natte, fugitif intérêt de scandale » disait-il.
« Aouchem ou expression par les signes » essaye d’évoquer la relation du patrimoine algérien avec la peinture artistique. Si le questionnement relatif à ce sujet est devenu un classique du genre depuis l’indépendance, la question n’est pas pour autant résolue et depuis, la peinture a beaucoup emprunté aux signes du patrimoine populaire qu’avait introduit la mouvance Aouchem dans ses expérimentations artistiques.
Longtemps perçue comme une référence picturale, cette école présentait une démarche très symbolique qui se projetait en revisitant les artifices populaires traditionnels. A travers cette démonstration de style, sont mis en évidence les éléments signifiants du patrimoine populaire avec toute forme de figuration allégorique et rituelle. C’était pour les artistes, une première approche avec la symbolique populaire dans le contexte des arts plastiques.
« Aouchem ou expression par les signes », En tant que performance artistique, se révèle aujourd’hui comme indicatrice, capable de formuler, de développer des expressions picturales assignés à un espace géographique, ce qui jusqu’alors, n’était pas évident.
Lorsqu’une méthode allégorique qui travaille l’imaginaire devient une référence bien exploitée en art visuel, en art appliqué ou en architecture, elle peut être aussi révélatrice d’un phénomène qui se construit et s’assemble à partir d’un canevas d’interdépendance. L’amorce de cette floraison de la peinture aouchem est certainement postérieure à 1962 et a l’UNAP. La peinture de Choukri Mesli ou de Denis Martinez diffèrent sensiblement de toutes les autres peintures à cette époque
Effectivement, si le terme aouchem représente un référentiel spécifique au fond rituel populaire, il l’est avant tout, pour expliquer, au même titre qu’une peau tatouée, l’interpénétration des graphies dans les objets, les outils et les pratiques coutumières dans un espace fédérateur singulier. Le creuset traditionnel, assigné au rôle de fond documentaire pictographique, dirigeant une interaction cognitive est ainsi appelé à une réinvention picturale. La simple représentation n’étant pas l’objet d’étude en soit, c’est le précepte d’exhortation utilisé pour capturer l’adhésion, à cette symbolisation croisée et a son intronisation qui semble être intéressant à interroger.
De tous les mouvements picturaux dans l’histoire de l’art du pays, l’école Aouchem est sans doute la plus intéressante à découvrir. Sa fixation par le fameux groupe en 1967 a été le début d’une aventure traduite par l’exploitation des objets et signes vernaculaires du terroir. Effectivement que cette méthode avait bousculé d’autres « certitudes » esthétiques mais l’adhésion aux ascendances des formes artisanales maghrébines reposant sur de parfaits procédés, a été, au-delà du phénomène conjoncturel de la liberté d’expression. C’est aussi une façon de marquer le nouvel essor de la peinture et de ne pas s’inscrire dans une continuité esthétique de l’école de paris et de la modernité telle qu’on l’entendait.
Quand la modernité présente des expériences esthétiques d’autres lieux, le questionnement dans le local ne se pose plus en termes de patrimoine universel. L’art contemporain a constamment impliqué des rétrocessions des éléments académiques au profit de l’innovation avec les nouvelles technologies. Mais, même lorsque cette modernité est acceptable, elle n’est pas tolérée gratuitement et sans réticence. On s’interrogeait aussi beaucoup sur certains sentiments de reniements de culturalité ou de soi.
La perspective dans la peinture Aouchem est, me semble-t-il, sur une autre orientation. Elle recherche plutôt un réceptacle où l’apparence devient conséquente avec elle-même au travers des signes identitaires. Ce qui se fait dans les arts visuels contemporain est trop complexe, trop savant pour avoir une adhésion facile dans le terrain du local régional.
Dans les œuvres du style Aouchem, cette transmutation graphique, peut-elle être contemplée comme une évolution picturale moderne ? En somme, il s’agit d’analyser en quoi certains éléments graphiques et signes introduits au sein de la toile peuvent être considérer dans la dépendance Aouchem. Quel impact se dégage de cette mouvance picturale longtemps fascinée par l’environnement décoratif maghrébin comme les magnifiques tapis berbères des Ait Hichem. Il est vrai que la forme intuitive est l’un des principes signifiants. Certes, cette configuration, depuis l’indépendance, représente un courant pictural des plus novateurs et déclencheur avec ce qu’il a apporté dans le champ de la création artistique.
Certes, on peut relever comme un trait particulier à l’Algérie et au Maghreb ce culte effréné du traditionnel, cet art populaire que les occidentaux ont tant parodié, et que Prosper Ricard appelé dès le début du 20èmesiècle « le génie inventif des arts décoratifs africains ». Cette croyance qu’on interprète artistiquement sous forme de totem ou de tatouage et qui rend possible l’identification d’un espace ethnique et d’une région a était longuement affirmé comme principe identitaire pour les Aouchem. A mon sens, il serait plus juste de considérer ce type d’expression comme faisant partie du symbolisme.
En réalité, la représentation symbolique Aouchem a été largement imprégnée à l’essence des formes graphiques. Dans un esprit où la quintessence des images est la force essentielle, la forme extérieure des objets dessinés ou peints devient accessoire et ne peut constituer une fermeture identitaire. Ainsi, si la beauté d’une trame colorée d’un tapis berbère ou le monochrome d’un graphisme tatoué des Chaouias se confond avec l’idéal esthétique, rien n’empêche l’exploitation de ce trait artistique particulier. Les dessins ne se limitent plus à « l’esprit » ornemental suggestif ou décoratif dans l’espace public mais, adjoints à une présence interactive. En effet les évocations du patrimoine visuel, exprimées de manière incessante, laissant prescrire un style documentaire latent ne paraissent plus être sollicitées de la même manière. A mon sens, il y a lieu de se demander si cette forme de réminiscence
Aouchem n’était pas une résultante d’une fascination pour les arts du terroir, largement reconnus et appréciés, déjà, par la France coloniale.
Aborder la question du regard que l’on porte sur ces éléments traditionnels et le code des valeurs esthétiques relatives, c’est s’inscrire dans une redéfinition des transcriptions mémorielles des arts, berbère, de Tlemcen, des Aurès ou du tassili. C’est aussi, ouvrir un champ de réflexion entre l’art visuel patrimonial et l’innovation dans les arts plastiques.
Aouchem ; l’expression et la pratique en medium
Une expression picturale est en réalité beaucoup plus problématique qu’elle ne le laisse entendre dans le monde des arts plastiques et visuels. Déjà, le terme peinture artistique, comme principe déterminant, laisse entendre une perception apparemment plus complexe qu’une simple locution. Cette conversion nous dirige, me semble-t-il, vers un besoin de dire, une intuition de présentation de choses avec leur « écho », ou d’exposition de formes artistiques aléatoires mais éloquentes par réfraction.
Il est tout à fait compréhensible que la peinture Aouchem pose la question du rapport à autrui, du visuel identitaire vers le réceptacle collectif qu’est le public et le questionnement reste toujours un champ d’exploration ouvert. Il ressort de cet exposé que la façon Aouchem est générale en Afrique du nord aussi bien du début du siècle qu’ à nos jours et ce trait culturel doit être abordé en examinant le processus du métissage des éléments constructeurs insolites avec l’hybridation simultanée. Pour cela, il est nécessaire de tenir compte des attraits du patrimonial artisanal où se trouve un répertoire fascinant a travers l’art mural, la poterie, les tatouages ou la tapisserie.
La peinture d’art soulève forcément des questions de créativité. Cela suppose des éclaircissements sur des applications expérimentant des éléments paraboliques ordonnant des compétences pseudos esthétiques. La pratique de l’art est conséquente à la génération d’œuvres hétéroclites, au sens philosophique du « beau », là, où l’art reste maître de tous ses moyens dans sa propre finalité. Si la picturalité façonne une nouvelle perception de séduction, ne tienne-t-elle pas compte forcément des éléments visuels qui l’ont caractérisée ? Il me semble que c’est les signes omniprésents qui seraient au cœur de l’attrait visuel dans une œuvre d’art.
Aujourd’hui, nous assistons à une mutation de pratiques aussi bien usitées dans le secteur des arts visuels que dans les nouvelles technologies en communication. En art plastique, L’espace de la toile dans laquelle les arrangements picturaux viennent s’inscrire propose un support a la configuration d’une « expression » proprement spécifique.
Dans cette activité conventionnelle, il semble évident que la méthodologie a un rôle bien déterminée. Si elle se développe, l’acte pictural ; c’est d’une part le pur instrument de la créativité, le révélateur dans l’accomplissement de l’ouvrage d’art et le geste esthétique au service de la détermination artistique. D’autre part, c’est aussi une posture intelligente, dans un processus de stylisations et de partitions, qui joue un rôle important, tout comme dans un domaine musical.
Aouchem devient méthode de figurer et d’interpréter des formes d’appropriations pour définir une expression artistique. L’activité d’un peintre, qui a systématiquement exploré avec sa sensibilité les lieux et les aspects se rapportant aux différents éléments patrimoniaux de Kabylie, des Aurès ou du tassili, c’est aussi l’enthousiasme dans les observations de pratiques rituelles des tatouages, des tapisseries et des gravures de la tradition populaire. Il ne s’agit pas de reproduire les aspects connus mais d’en exprimer la symbolique cachée.
Mais comment concevoir une pratique correspondante a l’art moderne, d’une autre manière, que celle qui se veut plutôt mémoire que fabulation esthétique, plus symbolique qu’expression esthétique et plus signifiante qu’abstraite. C’est toujours de l’art quand ses productions dépendent d’un milieu sensible où se brouille le figuratif et celui qui ne l’est pas. La distinction avec l’aspect satisfaisant n’occulte aucunement la mystification ésotérique de la forme dans la critique. Cette représentation, bien entendu, affecte et participe au perceptible dans visualisation. En ce sens, observons-la, avec en contrepoint le message occulte du symbolique, où le projet et dessin iconographiques ont dans la clarté de s’additionner au sens harmonieux optique.
Ce qu’on tente de mettre en lumière, c’est que cette pratique moderne maghrébine est dans le rôle de l’interaction avec l’art traditionnel, les beaux-arts et l’expression artistique. Lorsque la question n’est pas tout à fait assimilée, on peut le comprendre tant il y a beaucoup d’interprétations patrimoniales et culturelles et si la peinture Aouchem interpelle différents regards, c’est aussi parce qu’elle est au cœur d’un phénomène socio culturel.
A partir de là est-il possible d’analyser les variétés graphiques comme formes de transmutations de cette nécessité artistique. Observons les mêmes rapports entre la décoration murale du patrimoine berbère de Ait Hichem et la picturalité de l’artiste peintre algérien Denis Martinez ; le mutualisme entre ces deux modes d’expressions est, a mon sens, la parfaite antithèse des théories du principe qui tend à isoler la peinture aouchem de ses références avec les techniques du passé. L’analyse de Malika Dorbani sur la pratique de l’art en Algérie est convenable en ce sens ; « la peinture algérienne contemporaine a évolué sous le sceau d’une double identité, l’universalité d’occident qui nous domine et le soi-même de l’indépendance, entre la duperie et la garantie de réussite.»(3)
Aouchem ; peinture d’art ou de patrimoine
Ce que « pratique de l’art » peut dire dans Aouchem
Si la pratique de l’art en Algérie s’inscrivait dans un mouvement de masse au sein de l’UNAP (union nationale des arts plastiques) juste après l’indépendance, d’où, une socialisation du champ de l’art ; les années 70 quant à elles, semblent marquer une autre transition qui peut rendre compte d’autres développements stylistiques et certaines unions comme groupe 54, école du signe, Noun et groupe Aouchem marquèrent cette redéfinition artistique.
Le champ artistique, assez expérimental s’est trouvé continuellement confondu tant les adaptations ethnoculturelles, les emprunts, les allusions entre l’appartenance et l’enracinement, le réalisme, l’identité et les alternatives se sont multipliés. C’est aussi un moyen de contribuer à former une écriture où tous les signes et symboles s’ inter-culturalisent. Une calligraphie arabe ou une graphie berbère pourront trouver place facilement dans la nouvelle figuration moderne. Le concept derrière le geste déborde clairement de la simple pratique traditionnelle et il faudrait peut-être parler donc, d’une picturalité métissée avec laquelle, le dispositif réalise la performance volontaire.
La peinture aouchem se propose vers une expression picturale où formes graphiques et rituels didactiques sont directement expérimentés et interpellés : un monde de l’art où la pensée et les réminiscences ancestrales ont les mêmes incidences spatiales dans les représentations visuelles. A cette forme d’expression s’ajoute clairement d’autres correspondances. Cette technique déjà utilisée par des artistes de renom tel Yahya El Wassiti et bien d’autres, si bien que Mohammed Khadda souligne dans un de ses écrits que : « cette complicité entre les scriptural et le plastique allait produire ses effets sur les miniatures et donner à l’art arabe son plus grand artiste » (4).
Ce que la picturalité produit, ce n’est pas, « une utilisation abusive de la graphie pour sa seule vertu décorative dans la peinture arabe contemporaine »5, mais des pulsions mémorielles et nouvelles techniques, qui sont appelés à être examinés et contemplés.
J’ai évoqué la correspondance entre la technique d’une pratique et l’imge picturale émotionnelle afin d’exposer l’idée qu’Aouchem est, me semble-t-il, dans un concept de Médiateur, d’« esprit » entre la représentation artistique subjective et l’attention du public récepteur.
Cette « faisabilité » que l’on invoque au titre de stylisme est en effet plus qu’une manière de faire. Elle devient en fait, porteuse d’une performance plastique spécifique et devient remarquable dans ce qui fait sa différence avec la peinture d’autres lieux. Cette conception artistique entremetteuse, communément répandue au Maghreb est en même temps une transcription d’un monde sensible traditionnel et bien connu. A partir de là, on peut considérer la peinture Aouchem comme un genre artistique avec d’autres signifiants et identifiants d’un patrimoine visuel univoque.
Néanmoins, le point de vue que nous défendons est qu’« Aouchem » se caractérise plus par cette prise en compte des « senteurs » traditionnelles que par le rapport esthétique dans l’innovation contemporaine. L’invitation des signes référentiels dans le processus de la peinture reste aussi celle d’un travail artistique spirituel qui se traduit par une écriture picturale ésotérique.
Ce qui a retenu notre attention dans le genre pictural Aouchem, c’est d’abord cette volonté de s’approprier les outils d’affirmation de tradition populaire et l’aspect resourcement induit par la pensée. La pratique Aouchem sous-entend tout d’abord une certaine énonciation avec le public. La peinture est aussi une revendication et si Aouchem est souvent évoqué par les professionnels du domaine, c’est parce qu’ils avaient saisi la réelle importance de cette thématique culturelle.
Aouchem et son groupe sociétal
Si on conçoit que toute peinture peut prendre part au langage plastique en tant que performance artistique, elle peut également devenir instrument et position de culture. Se pose alors la question du discernement de l’action artistique dans un pays comme celle d’un autre par rapport à son groupe sociétal. Au travers de ceci, cela apparait comme le fruit d’une transmutation culturelle presque audacieuse. Ce bouleversement intellectuel a aussitôt agit sur le rendement des arts visuels et des beaux-arts en Algérie.
Longtemps perçue comme une référence picturale, le style « Aouchem » présentait une démarche très symbolique qui revisitait les artifices décoratifs traditionnels de la culture maghrébine. A travers cette démonstration, sont mis en évidence les éléments signifiants de style allégorique en signes symboliques inspirés. Mon travail de recherche, « Aouchem ou expression par les signes » essaye d’évoquer la problématique corrélation des éléments graphiques conceptuels de la culture populaire avec la peinture contemporaine depuis 1962 en Algérie.
Si le questionnement relatif à ce sujet est devenu un classique du genre depuis l’indépendance, la question n’est pas pour autant résolue et la pratique de l’art continue dans le sens de la symbolique des signes qu’avait inauguré le mouvement « Aouchem » par ses déterminations artistiques. L’historique exposition du groupe Aouchem, organisée à la galerie Racim (ex : pasteur) en 1967 à Alger, a été pour les jeunes artistes Algériens, après l’indépendance, une première approche de rattachement entre l’art pictural et la symbolique des signes populaires traditionnels. Le style « Aouchem » dans son aspect pictural met en valeur toute la graphologie des écritures et symboles populaires du Maghreb assignés au patrimoine culturel avec ses rites et ses tatouages locaux.
« Aouchem ou l’expression par les signes » ne se résume pas simplement au rapprochement des signes maghrébins dans la peinture algérienne, mais plutôt à son étude comme nouvelle forme stylistique. En tant que performance artistique, la peinture moderne se révèle comme un art permettant d’exposer et d’approfondir de nouvelles formes de représentation que les critiques d’art appellent « la créativité ».
Les sciences de l’art, la philosophie de l’art et l’esthétique sont maintenant particulièrement repensés pour traduire les choix artistiques dans la mutation de l’art au Maghreb.
Comment traduire ce concept pictural dans les arts plastiques modernes. Il s’agit d’énoncer dans notre étude du sujet, ce qui a trait aux signes allusifs classiques et traditionnels, de marquer les arrangements qui apparaissent et de voir les dépendances qui se dégagent ; ce qui nous amène à interroger en même temps les limites de l’art populaire et son interférence plastique.
Il convient de souligner que dans le référent-signe, « intentionnellement identitaire », qui a dû être choisi pour que la correspondance soit, se trouve une inclinaison tacite vers un aspect évocateur de la chose désignée. Dans toute forme d’art, les signes sont manipulés et traités dans un sens stylistique et didactique bien déterminée par l’artiste. Mais, on peut s’interroger, à quelles conditions, la source des signes peut être une source d’inspiration, ou quels types de rapports garde-t-elle avec la typologie originelle du signe culturel et ancestral ? Il est intéressant de le noter que cette forme de picturalité convergente qui interpelle donc, l’esprit symbolique : figuratif / non figuratif ou visible / non visible ; souligne le rapport de la spiritualité des formes dans l’expression artistique.
Comment expliquer ce choix Aouchem, qui parait être comme une forme sous-jacente des arts plastiques au Maghreb. Il s’agit d’énoncer dans l’étude, ce qui a trait aux signes allusifs, de marquer les arrangements qui apparaissent, de voir les dépendances qui se dégagent ; ce qui nous amène à interroger en même temps les perspectives de l’art populaire et son interférence dans le monde de la peinture contemporaine.
On trouve dans certains tableaux des « aouchémistes » une abondance de signes graphiques, mais ilsne dépendent pas tous de la « philosophie » traditionnelle populaire. Les peintures en référence de Mesli, Adane, ou Martinez par exemple sont construites de transitoires signes plus ou moins aléatoires, mais quand même compléments à leur expérimentation artistique.
Pour illustrer le rapport de l’expression par les signes, on trouve implicitement dans le travail de Denis Martinez cette démarche de médiation entre le perceptible et son contraire puisque son biographe Noureddine Saadi le lui a bien dit clairement « ça me parait également entrer dans ta démarche plastique par la fonction de passage entre le dahir (l’apparent), et le batin (le caché) ». D’autre part aussi, quelles références les plasticiens gardent t’ils avec ces images du signe de conséquence traditionnelle ? Que n’a-t-on entendu comme répliques à propos du questionnement : « pour moi reproduire le signe sur la toile, c’est se l’approprier, c’est aussi tenter d’en saisir le mystère caché, d’en saisir le sens. » ou encore ; « je répète un geste millénaire par imitation pour le dépasser par ailleurs en le faisant renaitre comme une inscription dans une société transformée où les codes identitaires ne sont plus les mêmes. »
L’interrogation des limites graphiques traditionnelles et l’exploration de l’aspect esthétique dans le signe populaire invite donc la problématique de la plasticité du « sujet » à peindre. L’expression artistique n’explique pas tant la manifestation spontanée, de l’identitaire, que la représentation d’image, d’objet ou de signes qui incarnent l’impression allégorique. Il reste néanmoins vrai que si l’artiste, partisan de cette formule, s’inspire d’outils conceptuels, correspondant à la culture traditionnelle, il n’en est pas de même pour celui qui expérimente une autre logique plastique, d’où une visibilité supérieure à l’acte de peindre. On le voit assez bien que la performance des Aouchems s’est construite sciemment sur des motivations culturelles pour s’orienter avec le temps à une forme symbolique maghrébine.
Ce choix de style des signes Aouchem, peut paraitre ainsi, osciller entre deux hypothèses ; celui de participer à une perspective d’expression régionale configurée au caractère sémiologique local suscitant autant d’intérêts émotionnels, documentaires que cognitifs ou, entreprendre une alternative plus actuelle qui passe directement à la peinture d’excellence esthétique. L’enjeu en conséquence est inscrit, d’une façon plus ou moins intelligente, au cœur des aspects conceptuels proposés au-delà des apparences miroitées par le tableau.
Pour nous guider en cette démarche non circoncise dans les arts plastiques, et s’il fallait en illustrer le propos, l’exemple le plus édifiant serait certainement celui lié aux travaux de Mesli et Martinez comme membres fondateurs du groupe Aouchems à Alger. Au-delà des adversités artistiques suscitées à propos de leur style parfois polémique que l’ancien spécialiste de la peinture au Maghreb Pierre Gaudibert a développé en ce sens : « le débat, sans cesse repris depuis, s’engagea entre une modernité, risque d’aliénation, et la tradition, menace de sclérose. Des peintres multiplièrent les interventions, entrèrent dans les conflits et des polémiques et réussissent à faire des arts plastiques un élément visible et actif de la vie nationale ». Mais, c’est surtout le magnétisme pour le référent populaire qui impliqua la problématique thématique structurelle.
Aouchems ; exposé pictural maghrébin
A partir de ce procédé stylistique, les artistes construisent des formes variées tant par leur graphisme que par leur aspect fétichiste où la finalité des œuvres a été d’une façon qui révolutionna la peinture au Maghreb. Le mouvement Aouchem, encore et toujours, apparait comme l’une des productions artistiques les plus originales depuis l’indépendance en Algérie. L’imagination s’est bien exercé depuis pour approcher l’origine du tissage Aouchems et c’est là-dessusque s’est inscrit l’énoncé de la dimension identitaire. S’il faut présenter l’interdépendance Aouchem avec les arts plastiques au Maghreb, les peintres Choukri Mesli et Ahmed Cherkaoui en furent la quintessence même. Ils ont permis de réfléchir sur le métayage de la fonction des signes ancestraux, de particulariser l’aspect du signe artistique résultant d’un champ culturel performant et des voies d’approfondissement d’un langage pictural cryptique. Les créations artistiques modernes laissent ainsi percevoir une dimension non plus formelle mais consistante en fixant, au-delà des « messages » à employer, un objectif à atteindre ; celui de la pure expression artistique. Du point de vue de la critique, la créativité serait une performance d’imagination artistique qui provoque autant de questionnements que de perspectives esthétiques. Le critique d’art serait un interlocuteur légal prêt à intervenir, philosophiquement parlant, lorsque les œuvres et les aspects non figuratifs deviennent équivoques pour un public averti.
On a pu mesurer le pouvoir considérable de la mémoire dans la réappropriation où l’artiste peut peindre des formes fictives, en plaçant dans ses tableaux des configurations régénérées que le spectateur ne peut pas identifier mais qui racontent d’authentiques réminiscences. Le style Aouchem ne cherche pas à retranscrire un référent pictural traditionnel à travers l’usage de la symbolique populaire, il opère par combinaisons et réinterprétation des motifs sans offrir au spectateur une figuration complète et précise. De ce point de vue, on retiendra que le style Aouchem construit une connivence entre le plasticien et son public.
Depuis un certain temps, en m’intéressant à la peinture Aouchem, j’ai distingué qu’elle se combine entre deux aspects constituant l’essentiel de l’expression artistique. Ceux-ci sont reliés à des positions fondamentales envers l’art figuratif. En reconnaissant l’importance de la physionomie des conformations, cela implique un engagement décisif en recherches et organisations conceptuels du tableau qui sera mis sous les yeux du spectateur. Donc, pour le premier aspect dans l’œuvre, c’est le rapport de l’impact visuel des structurants qui invitera à l’appréciation artistique. Pour expliquer la concordance, cela ressemble en fait à une mise en scène des aspects allusifs du terroir. Pour le second aspect optique dans l’œuvre, celui plus créatif, où il est souvent compliqué d’expliciter la rationalité des idéogrammes utilisés, l’intentionnel artistique parait se trouver parmi le sensitif des agencements purement agréables puisque cette innovation ou créativité n’ayant aucun rapport avec l’immédiateté des objets peints sur le support.
L’image affective
Le genre Aouchem est devenu plus qu’un simple concept en s’affranchissant de la peinture des années 50 où les subtilités de l’art contemporain connurent de gracieuses cohabitations. Cependant, certaines peintures au Maghreb vont paraitre récurrentes par le réveil des objets pour nous rappeler leur charge affective. En consacrant l’aspect émotionnel des coutumes populaires en peinture par « tatouages » (aouchem), l’expression picturale est de faite magique par la symbolique abstraite qu’elle renferme.
Depuis l’apparition du groupe artistique en 1967 (groupe de neuf peintres des environs d’Alger), cette identification dans l’esprit Aouchem en couleurs végétales (henné), minérales, ocres, argileuses, terre de sienne, bitumeuses, qui caressent où cernent l’aspect- signe ancestral pour le mettre en scène et l’animer, est devenue une exploration, un mouvement et un itinéraire culturel. Le travail de résurgence, subtile investigation dans le dérisoire, valorise l’objet mémorisé pour en accentuer l’empreinte artistique. On peut dire que la peinture Aouchem de Cherkaoui, Mesli, Adane, Martinez qu’appréciait évidement le public était une représentation dans laquelle la maitrise des codes symboliques régionaux s’affirmeraient au détriment de la spontanéité d’une expression picturale cérébrale du genre de l’abstraction lyrique ; le tableau perçu comme un corps sensible où viendrait se nicher les affects du peintre.
Il s’agit de montrer comment depuis une cinquantaine d’années, les Aouchems ont entièrement balisé l’expression picturale dans les manifestations culturelles qui sont gérées par des institutions à travers le territoire national et par l’intermédiaire d’expositions multiples encadrés par des fonctionnaires artistiques de notoriété. La problématique qui a accompagné et soutenu ces écrits était celle de l’intégration de l’art traditionnel au Marketing qui va structurer dans l’équivoque toute l’image de marque de la peinture au Maghreb. On peut évoquer l’adjonction du genre Aouchem comme un style de correspondance qui va appuyer malgré lui, l’antagonisme culturel en art plastique.
Cette visibilité artistique ne peut être écartée de la recherche en sciences et critique de l’art qui vont pénétrer les arcanes de l’art du lendemain. C’est souvent au niveau de ces relais formateurs et intellectuels que se recomposent les altérités des champs culturels didactiques. Sans se soucier de l’outrance on entre alors dans un processus où tout est fabriqué et cette gestion (culturelle) génère une consommation où la culture est marchandise et spectacle, pour paraphraser Florence Morali lors d’une conférence (24-4-2012) à l’intitulé « le spectre de la perte de l’identité ».
L’image idéogramme
La mise en valeur d’une peinture du non figurative dans un esprit purement esthétique résulte du sens de l’art qu’on veut lui donner. Autant le premier (art classique) a toujours suscité l’intérêt des chercheurs au point de devenir l’objet de toute une science en l’occurrence l’histoire de l’art avec sa théorie, son appareil conceptuel, ses méthodes et ses spécialistes, autant, l’enjeu concerne les arts plastiques du Maghreb et la critique d’art spécialisée en peinture de création. Cette peinture-aouchem non figurative intéresse aussi le cheminement culturel de ses signes didactiques. Ces principes documentaires forment un « tout uni qui aspire à donner une approche plus ou moins fidele de la représentation, de l’œuvre d’art et du résultat esthétique ». L’objectif dans l’aspect pictural est donc de produire une image fidèle à l’interprétation voulue dans le fond et la forme. Il est permis de croire, sinon d’espérer, que le concept contemporain enregistre un nouveau rapport avec le style Aouchem.
L’« objectivité » d’une peinture du signe accorde au plasticien une extensibilité authentique dans la mise en œuvre de nouvelles structures et configurations graphiques. En effet si l’artiste est guidé par ses perceptions dans une perspective d’émouvoir le regard du spectateur, il n’indique pas quelles sont les sources d’inspirations à adopter pour y parvenir. A cet égard, l’aspect final d’une peinture non figurative joue un rôle décisif car il permet d’entrevoir toute disposition esthétique, quel que soit sa dynamique, qui n’aurait pas encore été conceptualisée dans le domaine artistique.
Toute peinture doit ainsi manifester les expériences pratiques susceptibles d’avoir une ascendance significative relative au champ culturel ; lorsque la représentation n’a pas abouti à donner le résultat escompté, des recherches rapportées avec le public doivent être considérées. L’aspect des signes dans l’expression artistique dépendra de leur perspicacité relative à la peinture et à sa dimension esthétique.
Aouchem ou culture du genre
Apparu sur la scène algérienne au début des années 70, le groupe Aouchem est l’une des grandes figures de l’art Maghrébin. Ses inspirations traditionnelles et sa réorientation vers le moderne ont modelé sa démarche. Aouchem a joué un rôle important en créant un champ favorable à l’articulation de la symbolique ancestrale et en « offrant en partage le sentiment d’une identité collective ».
En explorant la signification de la méthode Aouchem comme émergence dans le champ culturel plastique, on peut considérer déjà, le rôle étendu qu’elle a joué en provoquant les résurgences de pratiques culturelles anciennes et les changements dans les représentations picturales.
Aussi, si l’on se représenter tous les difficultés soulevées par le concept Aouchem, par son recours à des figures symboliques, fondées sur une écriture traditionnelle rudimentaire, abordable à la compréhension de tous dans l’immédiateté de leur découverte, on comprendrait les problèmes que connut, après l’exposition de 1967 à Alger, cette renaissance picturale comme genre et comme nouvelle configuration de l’artiste et de l’art Maghrébin. Le recouvrement de la liberté en 1962 a généré une créativité nouvelle en incitant des introspections objectives par les artistes sur le rapport causal entre les outils conceptuels du, sans pour autant présenter une option démagogique dans les œuvres d’art.
Le peintre Marocain Ahmed Cherkaoui (1934-1967) figure prémonitoire du style Aouchem, mort quelques mois après la naissance du groupe à Alger, fut en quelque sorte l’initiateur de l’appropriation des signes berbères et tatouages populaires « qu’il appelait les signes de ma mère » durant ses études à l’étranger avec la découverte de la peinture Européenne. Les premières « peintures tatouages » qu’il peint sont autant d’œuvres de synthèse d’une réflexion sur le retour aux racines que le travail de «Klee qui arrive à l’abstrait à partir d’une longue élaboration figurative ». Dans les toiles, il y représente notamment un système de figuration qui s’appuie sur un ensemble de signes simples et élémentaires, délibérément anecdotiques comme les inscriptions traditionnelles, avec les motifs de tatouages, de la tapisserie ou de l’art berbère. Après lui, d’autres peintres maghrébins comme Rachid Koraichi investiront aussi la calligraphie arabe dans ses multiples conformations cursives ou géométriques et l’arabesque centenaire entretenue de soufisme ainsi que de mysticisme.
D’autant que la façon Aouchem de remplir le plus souvent le champ iconique par un univers graphique traditionnel en forme empirique n’est pas étrangère à l’art mural pratiqué par les femmes kabyles d’ait Hichem en Kabylie où Denis Martinez pu se ressourcer en redécouvrant toute la virtuosité dans le tapissage de ces murs magiques. « – et soudain les doyennes (femmes kabyles) se sont regroupées et ont entamé un chant traditionnel, que j’ai ressenti (Martinez), certes flatté, mais avec une émotion intense ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser devant une peinture Aouchem. Si elle propose à voir une manière populaire ancienne, rien n’y provient d’une forme gratuite ou routinière. Tout y est pensé, hybridé, métissé et dans un pragmatisme de conceptualisation qui ne laisse aucun ne doute sur la conformité de l’œuvre d’art.
Il semble que le groupe Aouchem à ses débuts, en intégrant le champ des signes, s’avéra capable d’investir une expression nouvelle en se servant du « motif » Maghrébin comme outil pictural à sa créativité. La question ; « qu’est-ce que Aouchem dans la peinture Algérienne ? » nous amène à nous interroger si les attitudes socioculturelles et les revendications identitaires peuvent être admises à l’intérieur des pratiques artistiques qui obéissent tout d’abord à des prévisions esthétiques s’analysant dans la totalité de l’œuvre d’art.
Belhachemi Noureddine
Artiste Peintre, Professeur Ecole des Beaux-arts Oran.
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Notes :
1 Habiba Aoudia, les « feuillets d’art » de Prosper Ricard, inventaire et analyse du fonds d’archives, Misée du Quai Branly. Notes de recherches .2014
2 Pierre Gaudibert.
3 Malika Bouabdellah, « La peinture par les mots », Musée National des Beaux-arts d’Alger, 1994.
4 Mohammed Khadda, ‘’Calligraphie et peinture’’, Vision du Maghreb, Aix en Provence, Edi sud 1987, page 103.