Introduction.
Une série d’articles d’Ali El Hadj Tahar parue dans le journal Liberté, datant de 1996, se présente comme une réflexion sur le monde de l’art, aussi bien en Algérie qu’ailleurs en Occident. L’artiste dans la cité s’articule en quatre parties.
La première partie intitulée Osons la considération, met en exergue l’enjeu culturelle des nations puissantes. Ainsi, le texte développe l’idée selon laquelle la culture fait partie d’une économie qui vise à s’imposer aux autres de façon délicate. La seconde partie, titrée La modernité, cette machine bien huilée, démontre à quel point les notions de l’art, de la modernité et du capital font bon ménage. Le dispositif y est bien étudié et mis en place pour que tous les chaînons y trouvent leur rôle pour être conformes à la même stratégie et aux mêmes objectifs pour un intérêt global commun. Ainsi, glorifier un artiste, c’est glorifier sa nation et donc soi-même. Les exemples y sont nombreux surtout pour la période de la renaissance italienne et allemande ou encore pour la période moderne française. La troisième partie, appelée L’occident, l’or et l’aura, évoque la mythification des artistes et de l’art par, anciennement l’église puis les aristocrates et les bourgeois, alors qu’actuellement ce soit le rôle des états, des galeries, des presses spécialisées, des critiques, des banques, des médias, des collectionneurs et des musées qui en font la valeur marchande. Aussi, l’article aborde cette construction de l’aura artistique en pointant le déplacement de l’Europe vers les Etats-Unis avec une stratégie bien solidaire entre les différents acteurs culturels. Et enfin, la quatrième et dernière partie, Complexes et miroirs déformants, indique comment à travers l’art, les puissances dictent leur vision, leurs outils de compréhension et d’analyse, de critique et n’offrent d’autres alternatives que la suprématie de leur civilisation sur les autres. Ainsi, même les productions hors-occident ne sont prises en compte qu’à travers le prisme occidental, jusqu’à faire appel à eux pour écrire sur l’art algérien et de ne point s’étonner que ces textes minimisent l’apport non-occidental dans un domaine estimé par eux comme profondément occidental. Nous faisons partie de la solution comme cela s’était fait ailleurs sinon nous serons condamnés aux miroirs déformants.
Finalement, Ali El Hadj Tahar, à travers ces articles de presse, donne des clés pour établir des parallèles afin de construire une expérience et une vérité algérienne. Il a fallu quinze ans à New York pour devenir la capitale de l’art. En vingt-cinq ans (depuis la parution de ces textes), malgré la mondialisation, malgré l’ouverture via le net, il y a une nette régression sur la pensée et les structures de l’art en Algérie. Ces chroniques n’ont pu trouver de destinataires décisionnaires et sont restées lettres mortes puisque les mécanismes n’ont guère évolués depuis les années quatre-vingt-dix. A cet effet nous publions les 4 articles en deux parties regroupées.
1-Osons la considération
Il est évident que si l’occident accorde autant d’importance à l’art, c’est par ce que ce dernier constitue un immense enjeu sur plus d’un plan.
Si la société occidentale accorde une place privilégiée à l’art et à l’artiste c’est parque la culture y est considérée comme l’expression du génie d’une nation et l’argument le plus convaincant de sa puissance et de sa prospérité, voir de sa supériorité sur les autres nations.
Nous ne parlons pas encore de l’art comme richesse au sens économique du terme, et produite par une puissante machine dont artistes, intellectuels, galeries, centres culturels, musées, cinémas, médias, maisons d’édition et des millions d’agents de toutes qualifications constituent les rouages. Et inutiles d’aborder dans le détail ce que représente, par exemple, l’industrie américaine pour l’économie US, avec un budget beaucoup plus important que le PNB de plusieurs pays africains réunis, voir réalisant plus de bénéfices que les complexes militaro-industriels de certaines autres puissances occidentales.
Dans son livres “Contre l’art et les artistes” Jean Gimpel écrit : “Cette religion (l’art, NDLR) qui, à l’origine, était seulement celle d’une minorité est à présent adoptée par l’ensemble des intellectuels de l’occident. Mais également par le capitalisme qui l’a intégrée dans son système économique ; et le pays où, l’art est aujourd’hui plus florissant se trouve être les Etats-Unis. Le gouvernement fédéral ayant fait voter des lois de détaxations discales en faveur de sa propagation, les citoyens se convertissent en masse à cette religion qui leur permet de s’enrichir tout en communiant dans une même ferveur artistique”. Evidemment, nous ne partageons pas l’indignation de cet auteur contre le fait que l’art ait acquis une importance particulière dans la société occidentale, voir nous envions, même le système et la stratégie qui ont permis à l’art et à l’artiste d’y être si bien considérés.
Cependant, il est évident que si l’occident accorde autant d’importance à l’art, c’est parce que ce dernier constitue un immense enjeu à la fois idéologique, politique, social, culturel et économique.
Nous écrivions plus haut qu’il est l’expression du génie d’une nation, voir de sa supériorité sur les autres d’où le fait qu’une compétition impitoyable a lieu dans ce domaine entre les pays occidentaux eux-mêmes. Plus que de compétition culturelle, il faudrait plutôt parler de guerre culturelle qui, elle-même, est sous-tendue par la guerre économique qui fait rage et face à laquelle le sus sous-développé se contente d’être un spectateur étonné.
Selon Clausewitz, le commerce entre les nations est une autre manière de se faire la guerre, avec des moyens et des stratégies “civilisés”. La guerre commerciale n’est rien d’autres qu’une manière d’imposer ses produits et ses modèles à l’autre pour en faire un consommateur de plus en plus dépendant, donc dominé.
La guerre commerciale est en même temps un guerre culturelle dans la mesure où elle vise à imposer ses manières d’être, d’agir, de penser et de sentir qui sont intrinsèquement véhiculés dans le produit exporté. Après que les Etats-Unis eurent dominé le monde depuis les années 40 jusqu’au années 80, c’est le japon qui tente de s’imposer grâce à la pensée séculaire qui a pétri la curiosité, l’ingéniosité et la volonté de son peuple, et de cristallisée en les philosophies de Confucius et de Sun-Tzu.
Quatre siècles avant J.C dans son “Art de la guerre”, Sun-Tzu écrivait : “Etre victorieux dans cent batailles n’est pas le fait de l’art. Le summum de l’art c’est vaincre l’ennemi sans se battre”. Sans se battre, ou plutôt dans donner l’impression de se battre l’Occident continue à dominer ses ex-colonies, en les complexant par la vitalité et la richesse de sa culture et en les renvoyant une image dévoyée de la leur. Après ceux-là, de nouveaux orientalistes ont pris la relève, pour un autre type de domination et leur idéologie – l’orientalisme_ s’intègre dans une idéologie plus vaste qui constitue l’arme la plus sophistiquée de l’Occident et qui s’appelle la modernité. La modernité est une idéologie sacro-sainte et toute puissante : les hommes politiques, les hommes de science, les philosophes, les journalistes, les artistes et même l’église s’en revendiquent.
Toute la peinture occidentale de cette fin de siècle se revendique de la modernité : le bon et le mauvais, l’avant-gardiste et le déviant, le kitsch et le superflu, le profond et le superficiel…Et on ne peut nier à l’art occidental d’être moderne bien que la modernité ne soit pas un qualité intrinsèque à l’œuvre d’art occidentale, ni une donnée objectivement identifiable et quantifiable.
450 millions de dollars pour l’oeuvre de Léonardo da Vinci, Salvator Mundi, (Vers 1500), date de vente le 5 novembre 2017 chez Christie’s à New York et achetée par Mohamed ben Salman, Prince Heritier d’Arabie Saoudite.
2-La modernité, cette machine bien huilée
En Occident, l’œuvre d’art, l’art et l’artiste font partie d’un système vaste, puissant, bien huilé. Ce système possède une stratégie, des objectifs : il brasse des idées et de l’argent et constitue le fondement palpable et visible de cette idéologie qu’est la modernité. La critique, les musées, les galeries, les médias et tous les moyens de monstration et de diffusion qui répertorient, analysent et médiatisent l’art lui donnent en même temps cette importance et cette valeur artistique et marchande qu’il n’a pas chez nous.
La modernité de l’art occidental c’est, en fait, non pas une technique ou un style particulier de peindre, de graver ou de sculpter mais cette aura et cette valeur qui lui sont octroyées par une idéologie occidentale respectueuse de ses propres valeurs, valeurs considérées comme l’expression des on génie et qui , pour les mettre en valeur, met en branle tout un système avec es finances, ses structures, ses disciplines, ses agents…
L’occident crée des mythes car les mythes font avancer l’histoire. Et si Roger Garaudy, le théoricien du parti communiste français converti au capitalisme, puis à l’Islam récemment, écrivait en 1663 les lignes qui vont suivre sur Picasso, c’est parce que sa conception de l’histoire lui commandait d’encenser les mythes utiles perpétuer le modèle occidental.
Garaudy écrivait donc à propos de Picasso : ” Il porte en lui le monde (…) il en a capté non l’accidentel, mais les lois profondes. Et il a montré la possibilité de créer un monde avec d’autres lois (…) l e torrent de l’espèce et les courants de l’époque déferlent en lui, mais ils ne prennent en lui une signification cosmique ou signification historique que parce qu’il leur a donnée forme (…) il a su mettre le rêve au service de l’avenir et le pouvoir mythique des dieux dans les mains, dans les regards et dans le cœur de l’homme (…) Il porte en lui la culture passée de l’espèce (…) il participe au mouvement total de l’univers (…). Au commencement n’était pas Picasso, mais un petite enfant prodige”.
Avec des images puissantes, Garaudy fait un panégyrique exceptionnel de Picasso dont il exalte le génie et presque les pouvoirs surnaturels. A entendre Garaudy on croirait que le peintre de Guernica est un Dieu, mis il ne faut pas s’en étonner car notre époque sait célébrer et honorer ses artistes et possède les moyens pour ce faire. Picasso représente des milliards de dollars pour les galeries, les musées, les banques et les collectionneurs privées, dont peut être Garaudy, qui en possèdent les œuvres ; pour les photographes qui en les photos ; pour les réalisateurs qui l’ont filmé ; pour les journaux et magazines qui ont fait leurs unes avec ses peintures, pour les éditeurs qui lui consacrent toujours de nouveaux livres : pour les hommes politiques qui utilisent son image … Déifier un artiste s’inscrit dans la logique même du capitalisme moderne couplé à la révolution des techniques de communication de masses. Mais n’allez pas croire que nous, auteur de cet article, ne considérons pas Picasso comme un artiste immense et qu’il ne mérite pas le panthéon qui fait de lui l’homme le plus connu de la planète, plus que n’importe quel savant ou homme politique.
Si la télévision, la radio, les journaux existaient à leur époque, Léonard de Vinci, Michel Ange, Raphaël, Le Greco ou Rubens auraient été autant médiatisés que Picasso. D’ailleurs autrefois, les artistes étaient également honorés : chez les Grecs et les Romains pour ce qui concernent les architectes et les sculpteurs, chez les pharaons pour ce qui concerne les architectes, chez les Arabes de la Djahiliya pour ce qui concerne les poètes… En Europe, le tout puissant empereur, Charles Quint, s’est même abaissé pour ramasser le pinceau tombé par terre de Titien, pendant que l’artiste faisant son portrait. En s’abaissant devant l’artiste, Charles Quint voulait signifier que même le plus haut pouvoir temporel se doit de se plier devant le génie de l’artiste !
De la même période, le peintre allemand, Albrecht Dürer racontait combien l’avait touché le banquet solennel donné en son honneur : “Lorsque je fus conduit à la table, tout le monde se rangea de part et d’autre, comme pour recevoir un grand personnage, il y avait là bien des gens de qualité qui s’inclinèrent fort humblement”. La renaissance, essentiellement italienne s’agissant d’architecture (Brunelleschi, Alberti, Michelozzo…) et de Beaux-Arts (Donatello, Fra Angelico, Uccello, Botticelli, Léonard de Vinci, Michel Ange, Raphaël, Titien, Giorgione…) a été rendu e possible grâce au génie et à l’humanisme des Florentins notamment les commerçant et les banquiers. L’art renaissant naît en Toscane, de la conjonction de la richesse spirituelle et de la richesse matérielle de cette aristocratie qui, durant le règne des Médicis – ils régnèrent de 1372 à 1492 – et notamment à Cosme de Médicis qui, en amateur éclairé d’art et de belles lettres, encourageait les artistes à mettre en pratique leurs idées neuves. C’est sous son règne que furent crées touts les édifices civiles et religieux qui ont révolutionné l’architecture.
Le Caravage. “L’Incrédulité de saint Thomas”, 107 × 146 cm, vers 1601-1603. Conservé au Palais de Sanssouci de Potsdam
3 – L’occident : l’art et l’aura
L’Etat, les princes, l’aristocratie, les riches mécènes, comme les Médicis en Italie, les foires et les marchés de tableaux en Hollande dès le XVI siècle, les expositions publiques en France inaugurées dès l’année 1667, et les salons inaugurés dès le XVIII siècle participèrent à populariser l’art et à permettre aux artistes occidentaux de changer leur vie et aux plus grands d’entre eux de devenir riches, puissants, célèbres : Vinci, Michel Ange, Raphaël, Titien…
En consacrant l’artiste, l’Etat, l’aristocratie puis la bourgeoisie et le peuple, ne se consacraient pas le génie d’un seul homme mais le génie d’un peuple et d’une civilisation. Jusqu’à présent, l’artiste est bien vu par l’église qui fait toujours appel à lui pour la réalisation de fresques, de vitraux, de sculptures…
Le mécène italien, Marsile Ficin, qui avait fondé une académie, écrivait au XVe siècle à propos de l’Italie : “La puissance humaine est à peu près semblable à la nature divine : ce que Dieu crée dans le monde par la pensée, l’esprit humain le conçoit en lui-même par l’acte intellectuel, l’exprime par le langage, l’écrit dans les livres, le figure par ce qu’il construit dans la matière du monde. Il est le dieu de tous les êtres matériels qu’il traite, modifie et transforme (…). L’homme a bien vu l’ordre des cieux, l’origine de leurs mouvements, leur progression, leurs distances et leur action : qui pourrait donc nier qu’il possède le génie même du créateur ? et qu’il serait capable de façonner les cieux s’il trouvait les instruments et la matière céleste ? Ne les façonne-t-il pas à sa manière, dans une autre matière, mais selon les mêmes principes ?”.
Cet écrit qui déifie l’artiste et le met en concurrence avec Dieu, parait bien naïf et profane par rapport à la pensée de Diderot, de Sulzer, de Schelling, de Hegel, ou de Kant qui ont crée une nouvelle branche de la philosophie, l’esthétique. Cependant, cet écrit du mécène italien nous rappelle celui de Roger Garaudy sur Picasso dans la mesure où il participe à créer l’aura et le prestige qui entourent certains artistes et les situent dans une sphère particulière.
Devenue célèbre, Michel Ange, qui avait mauvais caractère, était craint même par les princes et les aristocrates. Le Caravage, qui était d’un tempérament violent et irascible et savait manipuler le poignard autant que le pinceau, était, malgré ses perpétuels frasques et démêlés, toujours protégé par l’église.
Dès le XIXe siècle, le système des galeries, la presse et la littérature spécialisée prennent le relais de l’église, du pape, des princes et de l’aristocratie pour assurer les moyens de subsistance ou la richesse de l’artiste ainsi que le rayonnement de son aura. La bourgeoisie nouvelle met en place des structures qui lui permettent de promouvoir l’art et d’acquérir des œuvres répondant à ses goûts et besoins : Fragonard, Chardin, David, Goya, Turner, Constable, Ingres, Delacroix, Millet, Courbet et des centaines d’artistes moins illustres répondent à cette demande qui, progressivement, octroie à l’art une valeur marchande qui ravira leur place à certains biens mobiliers et immobiliers : propriétés foncières, bijoux, meubles…
Aujourd’hui, les œuvres des maîtres anciens valent des fortunes fabuleuses mais celles de certains artistes vivants coûtent aussi cher parfois.
Et comme nous sommes dans un siècle américain, ce sont les œuvres des peintres américains qui battent tous les records. Des peintures de Pollock, de Willem, de Kooning, de Mark Rothko, de Jasper Johns, ou de Rauschenberg ont été vendues chacune à plus d’un million de dollars. Il y a cinq ans, une peinture de Jasper Johns, qui est encore en vie, a été vendue à sept millions de dollars et le lendemain, une autre œuvre du même artiste a été adjugée à dix-sept millions de dollars !
Le système américain a fait monter en flèche la valeur des artistes américains, écrasant par cette surenchère, presque tous les peintres européens. Médias, intelligentsia, galeries, banques, marchands de tableaux, collectionneurs et musées américains sont solidaires de cette stratégie qui a réussi à faire de New York la Mecque de l’art d’aujourd’hui et de l’art américain, le plus vendu et le plus côté.
Dans cette immense chaîne de structures et d’agents qui prennent en charge la diffusion, la vente et la célébration perpétuelles de l’art occidentale, la critique, c’est-à-dire la production de l’intelligentsia, constitue le maillon le plus efficace et le plus solide. Car c’est elle qui par la magie des mots, et leurs redondance, fait de l’artiste une star et monte en flèche les enchères et cotation. La critique est l’instrument le plus puissant de la fabrication des mythes et les valeurs dans un Occident qui renouvelle sans cesse son génie et confirme sa supériorité.
4 – Complexes et miroirs déformants
L’Occident analyse, classe et répertorie les œuvres d’art ; il élabore des théories sur l’art, présente et représente en partant de ses normes et de son jugement qui ne connaissent nulle limite, nul tabou.
L’expérience de l’Occident serait l’expérience, la vérité de l’Occident serait la vérité. L’art occidental serait l’Art, dont le sens, le lieu, la juridiction, le symbole et la fonction sont définis à priori, subjectivement à partir du lieu, du sens, de la juridiction, du symbole et de la fonction occidentaux, dirions-nous pour paraphraser Marcelin Pleynet (dans l’art et littérature, éd Seuil).
Les Occidentaux ont développé cette branche de la philosophie qu’on appelle esthétique et ils s’en servent pour célébrer leur génie. Si nous avions ce privilège n’aurions nous pas fait pareillement ? En célébrant leur art et leurs artistes, ils imposent la suprématie d’une civilisation partout dominante et on ne peut nier que dans tous les domaines, ils ont pris beaucoup d’avance. L’esthétique, comme critique et jugement du beau, cette science à laquelle les chinois et les Arabes n’ont pas apporté ne serait-ce un gramme de pertinence depuis des siècles, est considérée par les Occidentaux comme fondamentalement occidentale. C’est de bonne guerre, mais il est scandaleux de lire, dans le catalogue officiel d’une exposition de peinture algérienne à Paris “Peinture des années 80″, les lignes suivantes : ” A ce titre l’histoire de l’art et notamment celle de la peinture, cette pratique si pleinement et fondamentalement occidentale…”. L’auteur du texte du catalogue algérien, un Orientaliste plus pernicieux que les autres, ne nie pas que ” de l’Orient et l’Islam, le monde de l’art aura avantageusement tiré profit d’une manière novatrice d’utiliser les coloris, une répartition dissolue de la lumière et, en accord avec l’ascétisme des paysages visités, un traitement radicalement neuf de la mise en page, l’amorce de la destitution de la sacro-sainte perspective…”.
Cet auteur, Ramon Tio Bellido, banalise les apports de l’Orient a l’art moderne par une énumération rapide. Un lecteur peu averti à l’impression que ces apports sont insignifiants alors qu’ils constituent les fondements même de l’art moderne. Reconnaître comme un apport de l’Orient ” l’amorce de la dissolution de la sacro-sainte perspective ” et “un traitement radicalement neuf de la mise en page” (c’est-à-dire la remise en question des apports les plus fondamentaux du quattrocento et du cinquecento) à la peinture contemporaine et en même temps banaliser ces apports est justement “l’art” de cette histoire de l’art “pleinement et fondamentalement occidentale”. Cependant, si on considère que la force de l’Occident est aussi dans l’Orientalisme, c’est à dire dans ces innombrables miroirs déformants qu’il nous offre pour aiguiser nos complexes et nos faiblesses. La faiblesse la plus grande de l’Orient est justement de traiter avec désinvolture sa propre culture, c’est dire de laisser l’Orientalisme nous représenter à notre place. Pourquoi a-t-on- chargé un étranger de la rédaction du texte d’un catalogue de peinture algérienne ?
Considérant l’importance accordée à l’art dans la société occidentale, même la peinture est considérée par beaucoup d’occidentaux comme un art fondamentalement occidentale. Marcelin Pleynet le philosophe spécialiste de l’art, reconnaît avoir trouvé une peinture valable là où il a voyagé, même en Afrique et en Asie, mais son jugement ne changera pas d’un iota la stratégie des galeries, des médias et des musées occidentaux qui sont destinés à promouvoir l’art occidental et seulement cela en priorité, ce qui est logique.
Aux USA, l’art, en général et la peinture en particulier, sont omniprésents. Dans un laps de temps très court (entre 1945 et 1960), les américains ont compris l’enjeu politique, culturel, social, thérapeutique, ludique et financier de l’art, alors qu’il étaient importateurs d’œuvres d’art jusqu’à 1945. Ils ont compris qu’accorder de l’importance à leurs artistes et à leur art c’était l’accorder à eux-mêmes ; et que si un peuple ne valorise pas soi-même son propre génie, nul ne le ferait à sa place. Des milliers de galeries d’art y existent aujourd’hui, favorisant des expériences artistiques multiples qui sont analysées et étudiées dans des journaux, des revues, des films, des livres… Chaque grand peintre, chaque groupe de peintres ou mouvement de peinture a ses critiques, ses supporteurs et ses admirateurs qui, spécialistes ou pas de la chose artistique, constituent la toute puissante critique d’art américaine.
Willem de Kooning, Motherwell, Rauschenberg, Jasper Johns, Frank Stella, sont suivis par des critiques, des biographes, des photographes qui, au jour le jour, passent leurs œuvres et leurs moindres mouvements sous le scanner de l’analyse et du répertoriage. Dans l’histoire des USA où l’homme s’est surpassé pour créer une nation et en faire un mythe, le plus grand prodige est peut-être la manière dont l’Amérique a lancé ses peintres.
Cela a commencé en 1939, en plein crise économique, lorsque pour aider les artistes à survivre, l’Etat fédéral leur commanda des peintures et des fresques. Après 1945 commença le défi américain pour déplacer la capitale mondiale de l’art de Paris à New-York. En 1960, le Centre mondial de l’art s’était déplacé de la ville lumière vers la ville des grattes ciel : L’état intelligentsia, la bourgeoisie et les artistes américain ont tous été solidaires de cette entreprise qui en un tour de magie à fait de New-York la plaque tournante de l’art mondial.
Ali El Hadj Tahar
Réflexion, paru sur le quotidien Liberté en 1996,
Ali El Hadj Tahar est né le 18 mars 1954 à Merad, dans la région de Tipasa, il est détenteur d’une Licence de lettres anglaises, université d’Alger, 1978. Journaliste et auteur depuis les années 70 sur plusieurs organes de presse notamment Alger Réalités, Algérie Actualités, El Moudjahid, Révolution Africaine, El Watan ainsi que la revue Tassili. Il a notamment occupé le poste de Directeur du Développement et de la Promotion des Arts, au ministère algérien de la culture, de mai 2005 à mai 2007. Il est auteur en 2009 aux éditons Dalimen de “l’Encyclopédie de la poésie algérienne de langue française, 1930 – 2008″, un ouvrage référentiel en deux tomes respectivement de 462 pages et 494, présentant 157 poètes algériens. Chez les éditions Dalimen, il édite en 2010 “Algérie, Vaste, Captivante, Diversifiée”, un livre de 316 pages présentant plusieurs villes algériennes notamment Alger, Oran ou encore Constantine, et plusieurs régions dont la Mitidja, les Hauts Plateaux, le littoral et le Sahara. Le livre est illustré avec des images de photographes algériens connus.
Sur une série de six ouvrages intitulée “La peinture algérienne“, Ali El Hadj Tahar publie en 2016, aux éditions Alpha, deux ouvrages intitulés, “Les Fondateurs” et “Abstraction et avant-garde”. Des livres didactiques et “très documentés”, évoquant 280 artistes plasticiens algériens. “Les Fondateurs” est un livre de 300 pages qui présente les vingt-six pionniers de l’art moderne algérien, un art né au début du xxe siècle avec l’avènement de la peinture de chevalet en Algérie. Inspirés par les orientalistes, les pionniers de la peinture algérienne représentent essentiellement des scènes de genre et des paysages. L’ouvrage consacre plusieurs pages aux artistes les plus importants, parmi lesquels Étienne Dinet et Jean-Michel Atlan. “Abstraction et avant-garde présente“, est un ouvrage de 290 pages ou 61 artistes abstraits et semi-abstraits sont cités constituant le courant le plus avant-gardiste de l’art algérien. La série des livres sur la peinture algérienne comprend six livres au total : « Les fondateurs », « Abstraction et avant-garde », « La figure et sa présence », « Le signe », « la miniature et l’enluminure », « L’art naïf ».
En 1983, Ali El Hadi Tahar collabore à la publication de la monographie de Bettina Heinen–Ayech, coécrit avec Hans Karl Pesch, critique allemand, U-Form Verlag, Solingen, RFA. et en 2001 la monographie de Hachemi Ameur, le miniaturiste et enlumineur algérien, ed La Peyronie.
Artiste peintre autodidacte, Ali El Hadj Tahar a participé à plusieurs expositions collectives en Algérie depuis 1980. Membre du groupe des 35 avec Issiakhem, Bourdine, Ziani, Khadda, Larbi, Ziani, Bourdine. Il exposa plusieurs fois à la galerie du Centre culturel de la wilaya d’Alger et participé au Salon de peinture de la Ville d’Alger. Sa dernière grande exposition a eu lieu en 2005, au Musée National des Beaux arts d’Alger, avec Lazhar Hakkar. Abstraite, sa peinture s’inscrit dans le courant du paysagisme abstrait proche de de Kooning ou Paul Jenkins. Elle comprend aussi une série géométrique basée sur les cibles, dans la continuité de Kenneth Noland.
NB : la composition article et images est propre au site founoune.