intra-muros :
Accueil > arts visuels > Pratique artistique et régime de l’image dans l’Algérie postcoloniale (1962-1965) par Fanny Gillet-Ouheni

Pratique artistique et régime de l’image dans l’Algérie postcoloniale (1962-1965) par Fanny Gillet-Ouheni

La « génération des années trente », telle que nommée dans l’histoire de la peinture algérienne contemporaine, est intimement liée au régime socialiste révolutionnaire de l’époque postcoloniale. Au moment où le pays est en quête d’une identité, sans pour autant tourner le dos à la métropole, ce groupe d’artistes montent en force pour donner une réponse aux inquiétudes de l’époque. Connaisseurs des tendances occidentales et influencés par les avant-gardes européennes, ils aspirent, cependant, à créer un art propre qui puisera aux sources antéislamiques, islamiques et berbères. Cela dit, la ligne esthétique dictée par le régime socialiste révolutionnaire se fondant sur un réalisme destiné à rapprocher l’art du peuple, de nombreux artistes se sentiront déchirés entre les consignes marquées par le parti et leurs propres inquiétudes artistiques. Des heurts et des désaccords s’ensuivront, dans certains cas, à l’heure d’exposer ou de développer les oeuvres en question.

Il s’agira moins ici d’établir une analyse stylistique et iconographique des oeuvres picturales algériennes – études déjà effectuées dans les différentes monographies et dont la synthèse, reste encore à faire – que de tenter de soulever les problématiques liées à la production d’un système symbolique en contexte d’immédiate indépendance. La délimitation historique choisie peut être perçue comme une sorte de laboratoire d’étude pour une analyse globale de la production artistique et du régime de l’image dans l’Algérie du XXe siècle, car il est bien entendu que l’étude des modalités de production artistique dans l’Algérie postcoloniale renvoie à une séquence historique plus large. Afin de définir les origines, les composantes ou bien encore les manipulations liées à ce mode circulatoire, nous avons malheureusement disposé du peu de sources contemporaines de l’époque en matière artistique : la presse, essentiellement francophone, et les chroniques sociales et culturelles publiées dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord. Les études postérieures de Chaïb Hammouda et François Pouillon, dont le recul historique présente un bénéfice évident, viennent compléter cette enquête (1).

C’est donc dans une perspective à la fois historique, anthropologique et esthétique, que nous tenterons de montrer les mécanismes d’appropriation et d’invention des artistes algériens au regard de la conception culturelle d’un régime socialiste révolutionnaire, ceci en nous appuyant sur les quelques exemples visuels que nous avons pu trouver. Cette étude se fondera sur l’expérience d’un groupe d’artistes qui constitue ce que les auteurs désigneront plus tard comme la « génération des années trente » et dont les noms sont désormais entrés dans l’histoire de l’art algérien : M’hamed Issiakhem (1928-1985), Mohammed Khadda (1930-1991), Abdallah Benanteur (né en 1931) et Choukri Mesli (né en 1931).

 


Issiakhem, M’hamed, Algérie 1960, 1960, huile et collages sur toile, 93 x 64 cm.

 

L’émigration des artistes algériens en métropole : les origines de la modernité ?

C’est en métropole, durant la guerre d’Indépendance, que les artistes de la « génération des années trente » mettent en place le premier système symbolique non-figuratif de la peinture algérienne. Leur position, bien qu’ayant été probablement inconfortable à certains moments du conflit, leur a permis de développer une réflexion sur l’art assez sereinement. Dans ses écrits, le peintre Mohammed Khadda insiste sur le fait que la rencontre avec les oeuvres européennes modernes fut l’élément qui déclencha le mécanisme théorique dont il se fera le héraut. Puisque les artistes européens puisèrent à la source des formes d’art exogènes – arts islamiques, africains ou extrême-orientaux – qui les familiarisèrent à la stylisation ou à l’abstraction au début du XXe siècle, l’art algérien se devait de récupérer et d’exploiter ce turath (héritage patrimonial) qui lui appartenait. La peinture, telle que l’entend Khadda, devra se nourrir du registre formel de l’art antéislamique et islamique, et de celui des peuples berbères, pour incarner le renouveau de l’art algérien – tout en intégrant l’utilisation du chevalet. Ainsi, durant cette période, les peintres algériens produisent un corpus d’oeuvres dont les titres vont se référer soit aux violences du conflit franco-algérien soit à la terre natale (2), utilisant un registre iconographique non-figuratif ou semi-figuratif. Dans un contexte artistique parisien tiraillant entre l’art de parti et l’abstraction, les affinités esthétiques ne vont pas sans poser problème à ces artistes militants. La nécessité d’élaborer un art lisible, proche des aspirations populaires et/ou contestataire, se heurtait à leurs sympathies pour le courant abstrait. Les premiers désaccords relatifs à la mission de l’artiste et à la fonction de l’art qui apparaissent dès cette période, se cristalliseront lors du retour des artistes en Algérie.

La peinture, telle que l’entend Khadda, devra se nourrir du registre formel de l’artantéislamique et islamique, et de celuides peuples berbères.

Dès l’indépendance en 1962, les structures étatiques vouées à la promotion culturelle du nouvel État algérien se mettent en place, qu’en est-il de la ligne esthétique du parti ? Si l’on s’en tient au code jdanovien, les artistes des pays socialistes « révolutionnaires » doivent intégrer un modèle de représentation défini par le réalisme, en opposition aux tendances contemporaines abstraites jugées « décadentes » et « bourgeoises ». La constitution d’une grammaire picturale abstraite pouvait-elle s’intégrer à la mise en place d’une politique culturelle « nationale, révolutionnaire et scientifique » tel que le prône le Programme de Tripoli en 1962, texte fondateur qui servira de base à toute action politique dans le pays ? Quelles furent la place et le rôle de ces artistes, revenus de métropole, emplis d’idées progressistes en matière artistique ?

 


Benanteur Abdallah. Hoggar, 1960, huile sur toile, 100 x 200 cm

 

1962-1965 : quel art au service du « redressement national » ? (3)

La période Ben Bella pourrait se caractériser par un enthousiasme populaire et un certain désordre dans la mise en place du gouvernement et de l’orientation politique. Même si l’édification d’une identité culturelle constitue une étape importante dans le système planifié du Programme de Tripoli, elle demeure secondaire face aux urgences sociales. D’autre part, des genres artistiques comme le cinéma et le théâtre retiennent l’attention plus que les arts plastiques. Le théâtre (Théâtre national algérien) ou le cinéma (Ciné Pops) (4), bénéficièrent d’un solide intérêt de la part du parti qui, rapidement, chercha à monopoliser leurs structures. Le caractère performatif et visuel devait concourir à intégrer plus naturellement ces expressions artistiques, pourtant étrangères à la culture arabo-islamique, dans un régime démocratique et populaire. Bien que n’ayant pas bénéficié du même engouement, les arts plastiques furent l’objet d’un intérêt aux objectifs divergents, créant ainsi, durant ces premières années de l’indépendance, un système iconographique à deux vitesses. La création de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP) en mai 1963, premier organisme artistique à caractère syndicaliste et mutualiste réunissant les plasticiens algériens, ne tarda pas mettre en évidence ces divergences, les uns prônant un art populaire et réaliste au service de la nation, les autres pointant les dangers d’un tel asservissement.

Ainsi, si l’idéologie du parti ne produit aucun texte théorique concernant les arts, les idées politiques de révolution totale et de changement social qu’il diffuse se traduisent par l’apparition d’un vocabulaire visuel inédit plaçant la figure humaine au centre de son iconographie.

 


Mohamed Khadda, Hommage à Maurice Audin. Collection du Musée national des Beaux-Arts d’Alger

 

Éclosion d’une esthétique officielle

Dans l’Algérie post-indépendante, la construction du régime s’explique par l’affirmation constante de la mémoire de la thawra (révolution). Ce positionnement politique nouséclaire sur les mécanismes du pouvoir et son imbrication avec le symbolique. Le système iconique mettant en scène l’idéologie socialiste se met progressivement en place. L’assise du gouvernement Ben Bella demeurant fragile face aux tentations d’une dictature militaire, la nécessité de consolider une légitimité s’imposait. Alors que le pouvoir opère un glissement paradigmatique qui affirme symboliquement la volonté populaire, on assiste au développement d’une imagerie ambivalente : martyriale d’un côté ou optimiste de l’autre, elle s’intègre au discours politique officiel qui ne reconnaît comme seul héros de la libération que al-sa’b (le peuple), celui d’hier et d’aujourd’hui et, pour la circonstance, un héros pluriel se détache : al miliun wa nisf sahid (« le million et demi de chouhada [martyrs] ») (Marouf, 1996 ).

Un certain nombre d’articles parus dans les quotidiens algériens entre 1962 et 1965 permet de prendre conscience d’une production graphique assez importante. Issiakhem, fervent défenseur des idéaux révolutionnaires, réputé pour un caractère sans concession, collabore avec différents quotidiens (Révolution et Travail, Alger républicain et El Djeich [L’Armée]) dans lesquels il publie dessins, caricatures et affiches commémoratives évoquant les misères du peuple algérien opprimé par la colonie ou célébrant la victoire et l’avenir confiant du socialisme.

Développant une iconographie distincte de ses productions de type moderne, il postule du fait que : « Tout art qui se veut en avance sur son peuple est un art prétentieux, malhonnête. Il faut constamment respecter ce peuple en restant à son niveau et évoluer avec lui » (Inal, 2007). La simplicité stylistique, souvent réduite à un schématisme, la lisibilité de l’écrit, sous forme de slogan parfois, offrent des similarités avec les procédés graphiques utilisés par les régimes autoritaires pour leur propagande. D’autre part, il semble que le système symbolique issu de la Révolution française (allégorie de la liberté, égalité, fraternité reprise sur les billets de banque) constitue un fond iconographique et iconique dans lequel l’artiste puise son inspiration. Les procédés reproductibles comme l’affiche, les journaux, le timbre-poste ou le billet de banque, qui sont autant de marqueurs officiels de la nation naissante, deviennent les supports possibles pour une esthétique de type réaliste glorifiant le peuple et ses valeurs à travers les figures anonymes et universelles du travailleur, bâtisseur de la nation : fellah ou ouvrier, mais aussi à travers l’image de la famille, noyau dur de la communauté musulmane, et même les officiers de l’armée. À la fois commémoratifs, informatifs et persuasifs ces supports permettent la diffusion à grande échelle d’une imagerie figurative, dont les codes esthétiques académiques et rationnels délivrent un message aisément accessible au peuple.

On peut difficilement attribuer au hasard ou expliquer par une tradition culturelle commune les ressemblances thématiques et sémantiques avec celles du modèle soviétique

On peut difficilement attribuer au hasard ou expliquer par une tradition culturelle commune les ressemblances thématiques et sémantiques avec celles du modèle soviétique, dont les procédés compositionnels et les technologies de reproduction furent repris par la plupart des régimes autoritaires ; ou même la reprise des constructions allégoriques issues de la colonie (Golomstock, 1991). Seule l’empreinte de détails ethniques ou géographiques pourrait nous permettre de définir la nation d’appartenance de l’oeuvre. Néanmoins, face à l’héroïsme figé
et monumental des réalisations soviétiques, la dimension humaine, qu’elle soit opprimée ou sereine, semble bien constituer une spécificité algérienne. Ainsi, basée sur le symbole d’une identité que l’on tente de reconquérir, une
nouvelle « capacité symbolique » se développe durant cette période. Le système référentiel qui compose cette identité relève une nouvelle fois de l’adoption et de l’adaptation de codes exogènes qui révèlent la difficulté d’échapper aux modèles et références culturelles des images dominantes ou héritées de la colonie. Pour le « groupe de Paris »5, la confrontation avec la nécessité de produire un système iconographique à deux vitesses met en lumière la complexité du  choix entre les deux termes d’une alternative : compromettre ses idéaux esthétiques dans la diffusion d’un système visuel élémentaire et « indulgent », ou faire admettre les principes identitaires d’une peinture avant-gardiste, sans trahir l’âme de la communauté algérienne.

 

Mohamed Khadda, Les casbahs ne s’assiègent pas. Collection du Musée national des Beaux-Arts d’Alger.

 

Rôle et fonction de l’art moderne

Ainsi, dans le sens d’une reculturation, des artistes comme Khadda et Mesli tentent d’imposer leur art : une peinture abstraite certes, mais élaborée dans la résistance identitaire. Parallèlement à la diffusion d’une imagerie plus « officielle », l’effervescence des premières années de l’indépendance donne néanmoins, et à plusieurs reprises, l’opportunité aux artistes d’exposer leurs créations et d’exprimer leur point de vue. Parallèlement à la diffusion d’une imagerie plus « officielle », l’effervescence des premières années de l’indépendance donne l’opportunité aux artistes d’exposer leurs créations et d’exprimer leur point de vue

D’un côté, dans le sens d’une contribution communautaire, on assiste le 21 décembre 1962 au vernissage de ce que l’on peut considérer comme la première exposition artistique de l’Algérie indépendante. Cet événement organisé
par le Comité pour l’Algérie nouvelle exposait des toiles destinées à une enchère dont les fonds auraient ainsi été reversés à l’association Djil el Djadid (Nouvelle Génération), institution abritant des orphelins de guerre. Cette sélection présentait un panel d’oeuvres au style variant de l’abstrait au figuratif, en passant par le semi-abstrait. Aussi, peu importaient les objectifs formels et les discours esthétiques de l’individu artiste, ces peintures semblaient porter en elles le bénéfice d’une amélioration sociale future de la communauté. Incitant vivement leurs lecteurs à saisir l’occasion de « meubler leurs bureaux ou leurs logis », le caractère décoratif et fonctionnel de l’art moderne ne devait pas échapper à Alger républicain6.

D’un autre côté, la presse permet aussi de saisir les sérieuses contradictions d’une politique culturelle en formation, qui peine à définir le rôle d’une avant-garde. Dans un article intitulé « Eléments pour un art nouveau » paru dans Révolution africaine le 27 juin 1964, Mohammed Khadda livre ouvertement les théories qu’il forgea en métropole. Lié au parti communiste dès avant la guerre de libération, il partage la conviction de tant d’intellectuels de ce temps que l’art doit aller vers le peuple sans pour autant abjurer sur la question de la modernité.

Fustigeant les dérives populistes d’un réalisme socialiste académique, l’artiste leur oppose les modèles artistiques mexicains ou le Guernica de Picasso, ayant savamment su métisser conscience politique, esthétique avant-gardiste et
tradition picturale, tel que lui-même l’entendait. Si, comme l’affirme Khadda « l’art savant par opposition à l’art d’agitation est celui qui, à longue échéance, transforme les moeurs en se transformant » permettant ainsi à la civilisation socialiste de se substituer inévitablement à la « civilisation capitaliste sécrétant ses propres valeurs morales et esthétiques », les composantes berbères ou antéislamiques pouvaient-elles intégrer le discours d’un régime unanimiste ? Commentant les premières manifestations artistiques de l’Algérie indépendante (7) l’écrivain Mourad Bourboune, premier président de la Commission culturelle du Front de libération nationale − organe créé en 1963 et destiné à diffuser les idées du parti − accentue le particularisme d’une culture en renouveau, portée par les tendances de l’art moderne : « Les peintres ici réunis, lorsqu’ils se rapprochent des formes d’expression de l’Occident en diffèrent profondément par leur accent propre ». Soutenant la diversité des styles et l’audace d’une création abstraite de source traditionnelle, Bourboune en appelle par-dessus tout à l’unification des peintres de toutes tendances sous la bannière socialiste. Ainsi, les questionnements formels des artistes algériens semblent s’effacer devant l’édification d’un « système » artistique populaire et national, ceci malgré le recours à des formes abstraites avant-gardistes jugées audacieuses par l’autorité. Mais, de toute évidence, ce discours ne pouvait répondre aux exigences d’un régime qui se radicalisait.

Ainsi, si stylistiquement éloignées que furent ces tendances de l’art algérien à cette période, elles convergent toutes vers l’idée d’une fabrique visuelle identitaire, faisant appel aux ressorts de la mémoire pour fonder leur légitimité. Mais si la politique culturelle du régime Ben Bella n’impose pas explicitement de contrainte formelle aux productions plastiques, les artistes réévaluent les caractéristiques symboliques de leurs productions, élaborant une esthétique hybride, adaptation plus ou moins artificielle portée par les contingences politiques. Aussi, le glissement symbolique qui s’opère dès leur retour en Algérie semble faire pencher le débat modernité/authenticité qui fut le leur en métropole, vers des problématiques plastiques impliquant des relations complexes entre modernité et conservatisme. Durant cette période d’expérimentation, les artistes parviennent à faire entendre leurs opinions et trouver soutien auprès de responsables culturels : les divergences exprimées, l’exposition de créations plastiques de toutes tendances soulignent une certaine liberté dans l’expression des choix. Mais les tenants de la peinture abstraite, qui se voulait être le reflet véritable de l’imaginaire arabo-musulman, déchanteront rapidement face à la politique culturelle et les choix esthétiques des futurs dirigeants. L’art moderne de facture abstraite ne possédant pas les vertus mobilisatrices voulues pour la construction d’une nation algérienne démocratique et populaire, conduit un certain nombre de créateurs à s’exiler en métropole, renvoyant en cela, par une dynamique décidément historique, à l’exode massif de toute une génération d’artistes fuyant la menace terroriste des années 1990.

L’art moderne de facture abstraite ne possède pas les vertus mobilisatrices voulues pour la construction d’une nation algérienne démocratique et populaire

L’Algérie des futurs dirigeants engendrera une forme d’art révolutionnaire faite d’emprunts esthétiques qui se révélera tôt ou tard une résurgence des traditions les plus conservatrices et les plus obsolètes, mais aussi les plus étrangères à la culture algérienne : d’un côté l’esthétique « réaliste » algérienne se radicalise au profit d’un monumentalisme pesant, qui accentuera la dimension émotionnelle et affective de la mémoire révolutionnaire (Pouillon, 1992). La sculpture, expression plastique alors plus durement frappée d’anathème par la tradition musulmane (hadith), trouve aussi sa place au sein de différentes institutions, mais aussi dans l’espace public avec, notamment, la résurgence de la figure historique de l’Émir Abdelkader (Carlier et Nollez-Goldbach, 2008). D’autre part, la figure du peuple martyr cédera sa place à une iconographie sacrificielle portée par les figures du moudjahid ou du chahid (Dayan-Roenman et Valensi, 2004). D’un autre côté, l’influence de la tendance réaliste s’exprimera avec la sélection de tableaux de style orientaliste. Ainsi, dans les années 1980, c’est à la manière Horace Vernet ou Étienne Dinet que le goût officiel empruntera pour construire une identité visuelle algérienne dont le peintre Hocine Ziani est une des figures de proue (Pouillon, 2002). Conquis, mais aussi ignorants des véritables racines de cet art, les dirigeants adoptent l’esthétique figurative de type « réaliste» et d’origine européenne comme le seul art viable et surtout aisément compréhensible, démontrant à quel point la question du modèle se révèle complexe quand la relation d’un pays à l’autre est basée sur la sous-estimation et/ou réification d’une culture définissant un rapport
paternalisant.

Fanny Gillet-Ouhenia.
Centre d’histoire sociale de l’Islam méditerranéen, École des hautes études en sciences sociales, Paris.
Source de l’article : Quaderns de la Mediterrania, “Art et communication”, n°15, 2011, Barcelone, IEMed
Lienwww.iemed.org

 


Choukri Mesli, Algérie en flammes, 1962, huile sur toile, 56 x 100 cm.

 

Index.

1. Bien que Chaïb Hammouda intègre la création algérienne autochtone dans un processus historique plus large, son approche ne parvient pas à saisir les mécanismes anthropologiques liés à la circulation des codes visuels. Les différentes études que l’anthropologue François Pouillon consacre au domaine artistique algérien depuis la fin des années 1980 mettent en lumière les problématiques associées à l’articulation socio-historique des productions artistiques entre la période coloniale et l’indépendance et demeurent des références pour toute approche de ce champ.

2. Voir la liste d’oeuvres référencées en annexe. 

3. L’ouvrage de Nadira Laggoune demeure un des rares à montrer les effets de l’idéologie sur la production artistique algérienne. Il faut aussi souligner les travaux sus cités de Chaïb Hammouda (1992) dont une partie est consacrée au rôle de l’affiche et aux liens des artistes avec la politique culturelle du Front de libération national.

4. Créé en 1963 et dirigé par le comédien Mustapha Kateb, le Théâtre national algérien avait la mission de produire un art allant « dans l’intérêt des masses », Alger républicain, nº 159, 23 janvier 1963. Quant aux Ciné Pops, ils se développent après l’indépendance présentant une programmation qui s’oriente rapidement vers les productions cinématographiques des pays socialistes.

5. Nous appelons ainsi le groupe d’artistes cités en introduction. Ayant émigré vers la capitale durant les années 1950, ce groupe établit une approche théorique de la peinture et rompt avec l’académisme de type orientaliste et l’esthétique de l’École d’Alger, introduisant ainsi l’abstraction dans la peinture algérienne. Le contexte collectif qui détermine le processus d’individuation artistique (invention), semble être le facteur qui va déterminer la naissance d’une peinture algérienne originale. Ainsi, après 1954, l’impact de la révolution inaugure un détachement plastique. Selon nous, cette renaissance s’accomplit dans la violence de l’acte, celui de la création d’une nation. Cet art transfuge s’autorise une vie propre en relation avec le traumatisme de guerre et crée son propre système de fiction.

6. Alger républicain, nº 144, 5 janvier 1963.

7. Mourad Bourboune aura l’occasion de préfacer la première exposition de l’UNAP qui se tint en juin 1964 ainsi que la première exposition collective – et la dernière avant longtemps – qui eut lieu à Paris après l’indépendance : « Peintres algériens ». Exposition au Musée des arts décoratifs du 15 au 30 avril 1964, organisée par l’association Algérie-France, avec la participation de l’UNAP et du Musée des Beaux-Arts d’Alger.

 

Bibliographie

– Alger républicain, 1962-1965.
– ASSOCIATION ALGÉRIE-FRANCE, UNION NATIONALE DES ARTS PLASTIQUES et MUSÉE DES BEAUX-ARTS D’ALGER, Peintres algériens, catalogue de l’exposition organisée au Musée des arts décoratifs de Paris, 15-30 avril 1964, Alger, 1964.
– CARLIER, O. et R. NOLLEZ-GOLDBACH (dirs.), Le corps du leader. Construction et représentation dans les pays du Sud, Paris, L’Harmattan, 2008. DAYAN-ROENMAN, A. et L. VALENSI (dirs.), La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Saint- Denis, Éditions Bouchène, 2004.
– GOLOMSTOCK, I., L’art totalitaire. Union soviétique,IIIe Reich, Italie fasciste, Chine, Paris, Éditions Carré, 1991.
– HAMMOUDA, C., La peinture algérienne depuis l’indépendance : précédents et situation de 1962 à 1988, thèse soutenue en 1992 sous la direction d’Edmont Choucot, Université Paris VIII Saint-Denis.
– INAL, D. (dir.), Issiakhem, la face oubliée de l’artiste, oeuvres graphiques, Alger, Éditions Mustapha Inal, 2007.
– MAROUF, N., « La figure du héros national dans l’imaginaire et dans le champ politique algérien», in N. Marouf et N. Saadi (dirs.), Norme, sexualité, reproduction, Paris, Éditions Les cahiers du CEFRESS, Université Picardie Jules Verne/ L’Harmattan, 1996.
– POUILLON, F., « Exotisme, modernisme, identité : la société algérienne en peinture », in Kacem Basfao et Jean-Robert Henry, Le Maghreb, l’Europe et la France, extrait de l’Annuaire de l’Afrique du Nord (1990), Paris, IREMAM/Éditions du CNRS, 1992.
– POUILLON, F., « Échange agonistique et marché des valeurs artistiques », in Gilbert Beaugé et Jean- Francçois Clément (dirs.), L’image dans le monde arabe, Paris, Éditions du CNRS, 1995.
– POUILLON, F., « La peinture monumentale en Algérie : un art pédagogique », Cahiers d’études africaines, vol. 36, nº 141-142, 1996, pp. 183-213.
– POUILLON, F., Ziani, les lumières de l’histoire, Alger, Zaki Bouzid Éditions, 2002.

 

Liste des oeuvres plastiques

BENANTEUR, Abdallah, Les lignes des ancêtres, 1957, huile sur toile, 93 x 130 cm ; Tribu, 1959, huile sur toile, 63 x 98 cm ; Hoggar, 1960, huile sur toile, 100 x 200 cm.
ISSIAKHEM, M’hamed, Algérie 1960, 1960, huile et collages sur toile, 93 x 64 cm.
KHADDA, Mohammed, Méridien Zéro, 1958, huile sur toile, 100 x 81 cm ; Kabylie, 1960, huile sur toile, 114 x 162 cm ; Hommage à Maurice Audin, 1960, huile sur toile, 130 x 194 cm ; Dahra, 1961, huile sur toile, 60 x 120 cm ; Les casbahs ne s’assiègent pas, 1960-1982, huile sur toile, 122 x 144 cm.
MESLI, Choukri, Sakiet Sidi Youcef, 1959, huile sur toile, 162 x 130 cm ; Les camps, 1958, pastel, 12 x 16 cm ; 20 août 1955 (détruit pendant la Bataille d’Alger en 1957) ou Sétif, 1962, huile sur toile, 159 x 126 cm ; Algérie en flammes, 1962, huile sur toile, 56 x 100 cm.