Après le portrait flatteur que le journal El Watan lui avait réservé les 20 et 27 juin 2020, Salim Dada se voit cette fois crédité par les périodiques L’Expression (16/11/2020) puis Liberté (21/11/2020) du titre d’expert national, cela pour avoir adressé le premier compte rendu sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en Algérie.
Couvrant la période 2015-2020, ce rapport périodique quadriennal (RPQ) de près de 160 pages devait être remis (selon le dépôt statuaire ou deadline) avant le 30 avril 2020, mais ne fut donc réceptionné que six mois plus tard par un ministère des Arts et de la Culture chargé de le remettre à son tour à l’UNESCO. Non fourni en 2017, le document répond à des impératifs qu’aucune équipe n’avait jusque-là su concrétiser malgré l’Atelier de formation organisé du 04 au 07 novembre 2019 et l’assistance technique de l’Agence suédoise pour le développement de la coopération.
Les “spécialises” locaux présents à l’UNESCO du 11 au 14 février 2020 (dans le cadre de la 13e session du Comité intergouvernemental de la Convention 2005) n’ont semble-t-il pas su maîtriser la complexité de la tâche, décrypter les aléas du domaine en question puisque c’est donc à l’ex-secrétaire d’État à la production culturelle que deux tabloïds attribuent l’identification des défaillances et points de force de la pratique créative en Algérie. Après « une retraite de plusieurs mois (il) sort enfin de son silence! », se réjouissait l’interlocuteur du propagandiste L’Expression enclin à introduire l’invité du jour comme « l’instigateur du rapport ». Bien que l’exposé cumul la participation de consultants ou contributeurs (cadres de ministères, représentants de la société civile ou de collectifs, artistes ou analystes culturels), le quotidien Liberté introduisait pareillement le gendre du contesté général Abdelkader Lachkhem (ancien directeur central des transmissions au ministère de la Défense) comme son principal rédacteur. Désigné en septembre 2019 le plus ape à collecter l’ensemble des données, le musicologue s’arrogeait tous les lauriers et se disait « fier d’avoir accompli ce travail (en tant que) point focal de l’Unesco en Algérie pour la Convention 2005», de l’avoir coordonné et élaboré après « 14 mois de labeur». Postée (au nom du ministère de tutelle) le 11 novembre sur la plateforme de l’UNESCO, la synthèse comporte cinq volets généralistes abordant successivement les systèmes de gouvernance de la culture, la mobilité des artistes et les échanges des biens et services culturels, la culture dans le développement durable, l’égalité de genre et la liberté artistique, les initiatives des organisations de la société civile. L’ultime chapitre se concentre par contre sur un événement prétendument “transversal et émergent” : Constantine capitale de la culture arabe 2015.
Apparentée à une opération politico-financière, cette vaste manifestation budgétivore deviendra l’archétype de l’incompétence tant les appels d’offres dévoileront le vide juridique entourant le code des marchés publics. Montées sous couvert de partenariats conjoncturels, certaines entreprises mixtes n’achèveront pas en temps et heure des projets bâclés souvent faute de maîtrises techniques ou de liquidités sonnantes et trébuchantes.
Elles défigureront le vieux bâti du patrimoine historique et laisseront à ciel ouvert des séquelles encore visibles aujourd’hui. En tout, six mosquées (Sidi Lakhdar, Sidi Affane, Tidjania, Sidi El Kettani, celles des rues Abdelhamid Ben badis et Benzeggouta) et deux zaouïa (Taïbia et zaouïa Rahmania) pâtiront d’un manque flagrant de professionnalisme et apparaîtront donc méconnaissables.
Le plan de sauvegarde de la Ville des ponts aura tourné au fiasco malgré les interventions du ministre de la Culture Azzedine Mihoubi assurant de la reprise rapide de chantiers abandonnés par des entrepreneurs véreux et sans scrupules. Anciennes résidences et artères, vieux derbs (quartiers), hammams et fondouks (caravansérails) connaîtront un sort identique aux lieux de cultes, de sorte que les habitants s’interrogent toujours sur les 700 milliards de centimes investis. En grande partie engloutis dans les malfaçons, décapages inappropriés, dégradations ciblées ou commandes d’échafaudages, il se seront envolés vers les caisses noires d’agents de la Direction de l’urbanisme (DUC), d’administrateurs complices des gabegies, dilapidations, malversations et négligences, de collaborateurs sans registre de commerce mais bénéficiant suffisamment de couvertures et de passe-droits pour se voir attribuer les meilleures prestations. Également nullement inquiétés, les responsables de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OGEBC) n’appuieront aucune mise en demeure enregistrée suite aux entorses constatées après coup, notamment au stade des rues Didouche Mourad et 19 Juin 1965 transformées en quelques mois en bourbiers. Ouvert en avril 2015, le Zénith de Constantine (160 millions d’euros) accueille à ce jour des braderies de livres et autres rendez-vous commerciaux du même acabit. Prévue à l’occasion de la célébration du 05 Juillet 62 ou du 1er Novembre 1954, sa régularisation administrative ne serait, à ce jour, pas encore effective, cela à l’instar d’autres bâtiments sans statut précis, défaut contredisant l’assurance du wali Hocine Ouadah qui arguait le mardi 10 mai 2016 que « aucun retard n’a été enregistré dans ce sens, d’autant qu’il a été prévu la réception de ces projets selon un planning qui a été respecté ».
La langue de bois demeurant légion, Salim Dada la prorogera probablement à travers un « aperçu historique sur les politiques culturelles en Algérie entre 2000 et 2020 », en somme un panorama bouteflikien livrant des « indicateurs (qui) trouvent un écho dans le programme électoral du président Tebboune ». Contextualisé aux goûts du premier magistrat du pays, le rapport aborderait « la culture dans une stratégie de renouveau économique basée sur la diversification de la croissance», constituerait à fortiori un « challenge pour l’ “Algérie nouvelle” », provoquerait la libération « des initiatives artistiques », instituerait une efficace « gouvernance de la culture, celle de l’innovation et de la créativité ».
Disposé à revoir une introduction et conclusion déjà auto-formulée, à reprendre même l’ensemble de l’essai, « de manière à ce qu’il soit présentable et accessible à tout le monde », le promu expert en gestion(s) culturelle(s) tente assurément de peser à nouveau sur des débats internes dont il est évincé depuis le remaniement du gouvernement Djerad survenu le mardi 23 juin 2020. Habitué à brosser dans le sens du poil, le débouté (sans doute à cause de l’arrestation du général Abdelkader Lachkhem, beau-père suspendu dans le cadre du démantèlement d’un réseau soupçonné d’espionnage, d’occultation et falsification de documents classés “confidentiel défense”) réclamait, au temps de son aura ou prestance supposée intouchable, de “réexaminer les critères permettant de désigner les véritables artistes”. İl le faisait alors en tant que président du Conseil national des Arts et Lettres (CNAL), organisme régulateur à la tête duquel se trouve désormais l’écrivain Mohamed Sari. Lui et ses colistiers se sont vus renforcés dans leurs missions grâce à la révision, le 10 octobre 2020, du décret exécutif n° 11-209 du 30 Joumada Ethania1432 (correspondant au 02 juin 2011) portant création, organisation et fonctionnement dudit Conseil. L’ordonnance du 22 Safar 1442 (décret exécutif n° 20-287) a donc modifié et complété certaines dispositions de l’article 2, lequel mentionne dorénavant que l’instance « participe par ses avis, recommandations et propositions à la définition des éléments de la politique de développement des arts et des lettres, à la protection et à la promotion des droits des artistes et auteurs. ».
À ce titre, elle « suit (leur) situation (…), réalise des études visant la promotion de (leurs) expressions artistiques et (…) ayant pour objet l’adoption des critères concernant la reconnaissance de la qualité d’artiste ».
Pour le moins usurpée, cette dernière prérogative sous-entend l’absence totale d’historiens, sociologues, critiques d’art, curateurs ou commissaires en principe habilités à fournir les évaluations cernant la notion “artiste-créateur”, à valider qui peut objectivement prétendre à ce label si convoité. En se substituant anormalement aux docteurs ou universitaires accoucheurs de thèses et pertinentes grilles de lecture, les commissionnés du CNAL, plus précisément ceux en charge du pôle “Arts plastiques” (où campe l’indéboulonnable Mahmoud Hellal Zoubir), ne possèdent pas les compétences adéquates, n’ont pas davantage suffisamment publié et surtout continuent à confondre les deux facettes du statut de l’artiste. Directement liée au protocole juridico-administratif, à l’aspect spécifiquement socio-professionnel, la première relève des orientations inhérentes au registre “A” de l’article 9, soit à la gestion du fichier national, à l’attribution de la carte d’artiste, à la protection sociale et morale des créateurs, à l’élaboration de la nomenclature des filières concernées, à la détermination éthique et déontologique des métiers enregistrés, à l’évaluation « de la contribution des associations et mutuelles culturelles œuvrant en faveur de la promotion des arts et des lettres». Le côté pile de la médaille appartient en propre à des médiateurs investiguant en dehors des officines encartées, possédant l’érudition idoine pour prospecter les futurs « talents créatifs » et leur mettre le pied à l’étrier.
Ce n’est assurément pas au “Chevalier blanc” Salim DADA, ni d’ailleurs à un quelconque pensionnaire du CNAL, que revient le soin de s’interposer dans cette affaire, (rôle nécessitant du reste une connaissance assidue des enjeux). Plutôt que de croire pouvoir répertorier les “Vrais acteurs” ou émergents performatifs de la vie culturelle, la “commission de l’évaluation de la prospective des arts” doit se contenter de délivrer, et sans distinction aucune, le pass approprié (carte) à tous les impétrants qui le demande, cela à partir du moment où ils sont en mesure d’exhiber une suffisante production. Peu importe que celle-ci appartienne au genre décoratif, naïf, post ou néo-orientaliste, qu’une clientèle aisée y trouve de quoi embellir un salon et pallier ainsi le déficit du marché de l’art.
Celui-ci prendra son élan économique et se bonifiera conceptuellement lorsque des collectionneurs éclairés entreront en correspondance avec les transgressions de plasticiens émancipés du redondant paradigme de renouveau dans l’authenticité patrimoniale et de surcroît à même de scénariser des chocs visuels à mettre en monstration(s) à l’échelle internationale. L’accès à cette scène empirique requiert que le champ artistique sorte du récurrent isolationnisme nourri d’extra-nationalisme chauvin, de protectionnisme victimaire et de mythifications martyrologues. İl s’agit ni plus ni moins d’amorcer résolument une césure entre la temporalité sociale et celle du sacré religieux et parallèlement de neutraliser l’autoritarisme dévastateur de généraux affairistes se disputant, via l’interposition de clans dominateurs, les rentes symboliques. S’orienter vers le chemin de la double sécularisation, c’est assurément s’affranchir des carcans coercitifs empêchant les entrepreneurs en quête d’autonomie(s) de dynamiser le capital humain et monétaire, d’apporter une plus-value aux expressions de créateurs qui faute de Révolution mentale n’entrevoient logiquement que le seul horizon de l’exil.
Saâdi-Leray Farid.
Sociologue de l’art et de la culture.
Le 28 novembre 2020.
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Interview de Salim DADA en direct dans l’émission “La République des Arts” sur Radio Alger Chaîne 3.
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