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Rezki Zerarti, un peintre touché par la grâce par Ali Silem

Avec un regard pur, baigné de fraîcheur, avec des yeux dénués de toute impureté, avec le bonheur, l’ardeur, l’intuition, une écoute fine, attentive à la féerie des choses qui, sous la surface du monde réel, crée son univers personnel et émancipateur, avec cette lueur que l’artiste insinue entre les interstices de notre perception, tout devient paisible, serein, sensé et nous entrons en résonance, dans une sorte d’évidence flottante.

C’est sous la lumière d’un tel soleil que Zerarti, à l’heure de la sagesse, construit son monde. Sa peinture oscille entre abstraction et figuration. Zerarti travaille sur ce point d’équilibre, il s’applique à briser cette frontière. Rien ne le détourne de l’essentiel : capter cette chose insaisissable qu’est l’émotion pour entrer, véritablement, en empathie avec l’autre. Son style incomparable donne à chaque création nouvelle le sentiment d’une œuvre unique. D’où cette large variété de tableaux de même fraîcheur, de même énergie, de même agencement de couleurs, de mouvements, de formes et d’assemblages qui dégagent un magnétisme et une spiritualité toujours renouvelés. D’où cette peinture dépourvue de préméditation sophistiquée, sans préciosité, sans fard, source de ce plaisir intellectuel, de ce ravissement mental que procure l’impression de découvrir le sens profond d’un tableau.

Sa quête n’est pas dans la ressemblance ou dans la parodie séduisante et factice, elle n’est pas dans le plaisir stylistique formel et superficiel, elle porte sur la beauté simple, sincère et juste, sur l’esthétique de la tendresse et de la douceur qui, jaillissant du bout du pinceau, embellissent la vie, sans discours, sans prétention pédagogique. Ainsi, Zerarti parvient à réduire nos carapaces, à atteindre nos cœurs séduits par l’enthousiasme et la grâce… L’intuition de Zerarti ne relève ni d’un sixième sens inné ni d’un don réservé à quelques élus, c’est une intuition populaire, offerte à tous. La magie de sa peinture se révèle dans le silence, la poésie et la fraîcheur qui président à son enfantement ; elle s’adresse à l’âme créatrice de l’enfant qui subsiste en nous.

Zerarti est, par ailleurs, fondamentalement, méditerranéen. Le fabuleux est, pour lui, solidement enraciné dans la terre, réalité vivante. L’art populaire berbère porté par les maîtres inconnus et anonymes des siècles passés imprime sa marque sur cette œuvre qui rencontre aussi la modernité de Jean-Michel Atlan, Delaunay, Poliakoff…, se souvient du Groupe Aouchem et des poètes complices, Jean Sénac (1926-1973), Jean Cathelin, Ahmed Azzegagh (1942-2003), Abdelhamid Laghouati…(1)

Il arrache son secret à la peinture et, avec détachement, se joue des règles, bouscule les contraintes scolastiques. Il fait feu de tout bois : le plan, forme instinctive et inspirée, se transforme en rapports harmoniques, en arabesques, cercles, spirales, figures automatiques surréalistes qui n’obéissent qu’aux dispositions de l’inconscient, avec la détermination qui assure la pure énergie. Mais le plan façonneur, tuteur et armature solide d’une vitalité pacifiée, tranquille, peut prendre ardeur et souffle dans le frémissement de la matière des couleurs bifides où se côtoient onctueusement camaïeux et dégradés, couleurs vives et couleurs primitives, traits fins, raffinés, et traits noirs, épais, structurants.

Avec le temps et la maturité, le monde de Zerarti révèle l’épanouissement d’un monde poétique, tellurique et fringant, pourrait-on dire. Monde dont se réjouissent les atlantes, les effigies suggérées, les architectures improbables et les jeux d’images fantasmées qui parcourent et peuplent la surface des toiles. Si on compare les peintures(2) de Zerarti des années 60 avec celles d’aujourd’hui, on retrouve les mêmes saillies pugnaces, les mêmes apparitions voilées et les mêmes paysages nocturnes.

En somme, Zerarti reste possédé par les mêmes génies. Tel un laboureur, il ensemence le même sillon, il tisse et retisse la même toile, il vit dans ce même vertige mélodique et rythmique que donnent les chants soufis. Je perçois, cependant, un petit changement : les titres des œuvres sont libérés du poids de la guerre d’indépendance, la dénomination des peintures est plus paisible, plus du tout ironisante, ni provocante. Le combat que mène l’artiste aujourd’hui rasséréné est un combat avec la couleur, la matière, la composition et l’observation des forces et des tentions créatrices. Les variations de Zerarti n’ont pas de fin.

Les regardants qui cultivent le plaisir de regarder découvrent un sens au monde : ce que vivent les végétaux, les animaux, les enfants, les femmes, les hommes, ce que l’homo-technologicus que nous sommes devenus ne savent plus vivre. Les peintures de Zerarti montrent un des sentiers qui conduisent à ce monde. La galerie El Yasmine, en organisant cette exposition, s’acquitte d’une dette de reconnaissance envers un grand maître, dont les peintures, sans nul doute, sont des pierres fondamentales de l’édifice pictural de l’Algérie d’aujourd’hui.

Ali Silem
Artiste peintre

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(1) – Né à Beni Attard (près de Dellys) en 1938, Zerarti vient à l’abstraction dès 1960, année de sa rencontre avec Jean Sénac, suivie de l’aventure éphémère et fabuleuse du groupe Aouchem en 1967. À la suite de la perte de Jean Sénac, la disparition de Jean Cathelin et du groupe Aouchem, le succès du début se ralentit, les galeries et les musées ne jouant pas leur rôle. Le public est oublieux, c’est ainsi que la peinture de Zerarti qui continuait à se produire dans l’intimité des ateliers quitte les cimaises durant de longues années.
(2) – La première exposition en 1964 est montée par la Galerie 54. Créée et animée par ce grand découvreur, le poète Jean Sénac qui le mit en lumière.


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