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“Sobhane Allah yaltif”, Mustapha Toumi (1937-2013)

Sobhane Allah yaltif, (Louange à Dieu, la bonté même), est une merveille du genre musical chaâbi. Les paroles sont de Mustapha Toumi, interprétées brillamment par le maître du genre, Cheikh M’hamed El ANKA. Elles décrivent avec amertume la déchéance d’une société qui a perdu ses repères, dont les valeurs vraies ont été ravagées par l’arrivisme et l’opportunisme, une description qui sied parfaitement à notre époque.

Je me souviens avoir rencontré Mustapha Toumi en 2008 en compagnie de Lazhar Hakkar à l’occasion d’une collaboration artistique entre les deux artistes, en présence de Lahcen M. C’est à cette occasion que Lazhar avait réalisé son incroyable portrait. L’auteur du poème de Soubhane Allah Yaltif était de nature calme et silencieuse, tout le contraire de Hakkar. Leurs rencontres étaient marquées par des échanges des plus singuliers. Lazhar a réussi, certes, à lui faire perdre son sang-froid légendaire. Des moments mémorables. Lazhar et Mustapha sont décédés la même année, en 2013.

Mustapha Toumi est né en 1937. Il était poète, parolier, compositeur, politicien, militant de la cause nationale. Il avait une grande barbe qui enveloppait son cou, semblable à celle de Karl Marx. Pendant la décennie des années 90, il a été laissé pour mort par les terroristes du FIS à Rais Hamidou. Il était membre du Conseil National de Transition. En 1990, il avait créé l’Alliance nationale des démocrates indépendants (ANDI). Il était aussi artiste peintre, et très peu savent qu’après l’incident de l’exposition Aouchem en 1967 à la galerie Mohamed Racim, entre le groupe d’Aouchem et le groupe Présence d’Issiakhem qui exposait à côté de la mairie d’Alger à la même période, s’en est suivi un gel des activités de l’Union des Arts Plastiques. Mustapha Toumi fut chargé de maintenir les affaires courantes de l’union jusqu’au congrès du FLN qui a vu la désignation de Mustapha Adane comme président de l’UNAP. Toumi avait choisi un petit groupe de plasticiens pour mener à bien sa mission.

Dans une interview accordée au quotidien arabophone El Khabar en juin 2008, il affirme : “J’ai rencontré El Hadj Al-Anka une fois au café “TONTONVILLE” sur la place de Port-Saïd, et il m’a demandé d’écrire un poème pour lui en 1963. Cependant, en raison de mes engagements et de mon manque de temps, je ne le lui ai remis que 7 ans plus tard. Quand j’ai préparé des lignes d’écriture pour de jeunes chanteurs, la phrase “Subhan Allah Ya Latif” m’est venue à l’esprit, et j’ai continué à écrire la phrase jusqu’à ce qu’elle soit complète. J’ai réalisé que le contenu ne pourrait être interprété que par Hajj Mohammed Al-Aneqai. De plus, j’ai beaucoup aimé l’idée que l’auteur du poème soit de la Casbah et que le cheikh qui le chante soit également de la Casbah.”

Le poème chaabi Sobhane Allah yaltif est une métaphore subtile et riche en messages qui raconte l’histoire d’un jeune homme sans expérience dans la vie et qui se présente avec arrogance et provocation devant un personnage expérimenté, symbolisant une confrontation entre la jeunesse audacieuse et la sagesse acquise. Le jeune homme, naïf et inexpérimenté, tente de défier l’individu plus âgé. Il est décrit comme étant présomptueux en raison de son plumage neuf, ce qui peut refléter l’orgueil et la confiance démesurée de la jeunesse. L’individu expérimenté répond calmement et intelligemment aux provocations et souligne que la jeunesse ne signifie pas nécessairement la force, et que l’expérience peut être plus précieuse que la vigueur. Il critique également les jeunes qui sont avides de pouvoir, de richesse et de renommée sans avoir réellement acquis la connaissance et la maturité nécessaires. Le refrain récurrent, “Louanges à Dieu, la bonté même ; Toi Seul détiens la connaissance”, rappelle l’idée que la véritable sagesse et le discernement viennent de Dieu, et non de la jeunesse ou de l’arrogance. Le poème aborde également la notion de tromperie et de trahison. Il parle de ceux qui se présentent comme des amis, mais qui trament en réalité des complots et des manipulations en secret. Cette partie du poème met en garde contre les personnes fausses et hypocrites. Il célèbre cependant la sagesse acquise avec le temps, la prudence et la perspicacité face aux provocations de la jeunesse. Le poème met en avant la valeur de l’expérience et de la connaissance, tout en critiquant les attitudes arrogantes et les motivations égoïstes.

Mustapha Toumi explique dans l’interview d’El Khabar qu’il y a eu une absence notable de sa part sur la scène culturelle depuis une longue période. Il indique que cela ne résulte pas d’une négligence extérieure, mais de choix personnels. Il évoque aussi son désaccord avec la direction politique et sociale après l’indépendance. Il parle du déclin des espoirs et des aspirations qu’il avait en tant que combattant pour la libération de son pays. Cette expérience a conduit à la création du poème “Subhan Allah Ya Latif” comme moyen de transmettre ses critiques et ses déceptions. Il explique que le poème a été conçu pour refléter ses sentiments après l’indépendance. Il voulait exprimer la déception face à la réalité politique et sociale qui ne correspondait pas à ses idéaux de libération nationale. Le poème a été intentionnellement écrit de manière à ce que son interprétation soit liée à cette expérience personnelle. Il révèle que certaines parties du poème ont été inspirées par des événements impliquant des personnes éminentes. Il mentionne comment un incident impliquant un ami a influencé une partie du poème.

Tarik Ouamer-Ali