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Il y a 15 ans, préparation de l’Année de l’Algérie en France (3e partie et fin) par Mansour Abrous

Le contenu de la manifestation :

Le 10 février 2002, le 1er président du commissariat de l’Année de l’Algérie en France, cite, au titre des projets retenus, les projets labélisés « arts plastiques ». La présence des arts plastiques se fait dans trois volets, la peinture et la sculpture, le design et la photographie. Le département des arts plastiques communique au mois de mai 2002 son programme : une exposition intitulée « Le XXème siècle sur l’art algérien », une autre manifestation « Œuvres sculptées et dessins de sculpteurs », des expositions individuelles et collectives d’artistes incarnant la jeune création. Le département des arts plastiques évoque des difficultés : le programme « photographie » pas finalisé, des projets en cours d’études, des expositions à l’état de projets faute d’espaces pas encore négociés ou en cours de négociation et des artistes sollicités dont on attend l’accord. Au mois d’octobre, l’annonce est faite de la participation du groupe Essebaghine et des rétrospectives en hommage à Racim, Baya, Issiakhem.

Pour la peinture, Hervé Bourges, dans sa conférence de presse, du mois de juin, cite les événements qui feront date : « Renoir en Algérie », « Eugène Fromentin », « Les peintres de l’Ecole d’Alger », « Dessins du Musée des beaux-arts d’Alger ». On comprend mieux de quelle Algérie on parle !

La gestion de la manifestation :

La célébration de l’Année de l’Algérie en France est aussi un sujet de polémique. En octobre, des artistes peintres disent leur sentiment d’être exclus par les organisateurs, le département arts plastiques auprès du commissariat distingue « professionnels qui pratiquent par engagement en essayant de donner une dimension artistique et esthétique à leur travail, d’une part, et d’autres qui se limitent à l’imitation des grands auteurs. Pour cela, le commissariat opte pour les premiers ». À Oran, le mode de désignation du coordinateur régional de l’Année de l’Algérie en France est décrié. La réponse officielle quant au programme de participation des associations locales tarde à venir…d’Alger. Les artistes et hommes de culture de la wilaya d’Oran estiment être « victimes d’une machination ». Le Quotidien d’Oran (18 novembre) fait état de la protestation des artistes du théâtre régional d’Annaba, suite au retrait de leurs œuvres de la sélection finale.


Les contestations, les oppositions :

Les appels au boycott de cette manifestation furent nombreux. L’irruption citoyenne est perceptible.

Le quotidien Le Matin fait sienne la thèse d’un « événement considéré comme inopportun » par les citoyens algériens et français, indignés de tant d’indécence à occulter le terrorisme islamiste et les révoltes populaires. Le quotidien Liberté (30 novembre) informe de l’appel au boycott de l’Année de l’Algérie en France par la famille artistique kabyle ainsi qu’un grand nombre d’associations culturelles. Une cinquantaine d’artistes signent une déclaration qui lance un appel au « boycott massif de la mascarade appelée Année de l’Algérie en France » et condamnent « un pouvoir illégitime, autoritaire, répressif et dictatorial ».

El Watan (7 novembre) fait remarquer que « le problème de la participation de la communauté berbère, notamment kabyle, à cet événement semble entacher sérieusement la crédibilité de cette année ». Pour Le Matin (5 novembre) « des artistes, toutes catégories confondues, se mettent les uns après les autres à décliner les propositions de participation à l’événement » et s’apprêtent à organiser « leur Algérie à eux » afin d’exprimer « un ferme désaccord avec le Pouvoir algérien sur la manière dont est géré le problème kabyle et exprimer sa révolte contre la répression déclenchée ». Liberté (9 novembre) est convaincue d’un « non » sans méchanceté à la manifestation officielle « Il se prépare quelques grands coups. Il sera aidé par quelques grands noms. L’Algérie des uns et des autres s’achemine vers une confrontation d’idées. Une brouille. Pas des embrouilles ».

La presse aux ordres se bat sur une ligne de crête : « A propos de l’Année de l’Algérie en France, pourquoi ne dites-vous pas que les artistes algériens (surtout ceux d’ici) ont l’opportunité, pour une fois, non d’aller en France pour faire l’éloge d’un pouvoir, mais bien pour témoigner de l’immense richesse culturelle de leur pays grâce à leur créativité. Créativité qui ne doit rien à aucun régime politique, passé, en place ou à venir ». Le président du commissariat de l’Année de l’Algérie en France tente d’afficher sa sérénité relative à l’appel au boycott d’artistes et d’hommes de culture, il déclare « Cela n’entravera pas la manifestation », et il autorise notre liberté de citoyen « Chacun dispose de sa conscience ». L’Expression (29 décembre) fait état de la campagne médiatique anti-Année de l’Algérie en France 2003 et rappelle que « cette contestation politique est restée au stade médiatique » et met en garde les trublions « Les éventuels aventuriers risquent d’être inquiétés par la justice française pour troubles de l’ordre public ».


Le bilan de la manifestation :

Pour la partie algérienne, les organisateurs se sont dépêchés de vendre « la restauration d’un état de la culture délabré », « la mobilisation des artistes », « les accords stratégiques avec la France des institutions culturelles et artistiques », « la formation et le développement de compétences et de métiers ». Les objectifs affichés, espérés, ne sont pas au rendez-vous. Que reste-t-il de ces promesses ? Qu’a-t-il été produit de sérieux, de durable, de performant, de visible pour la Culture ?

El Watan (24 octobre) dans un article « Bouclage et fausses notes », est pessimiste : « La plupart des observateurs et autres acteurs de la chose culturelle restent sans réponses, ni pronostics sur le déroulement de la manifestation et les retombées de l’évènement sur l’activité culturelle nationale ». Le Matin (5 novembre) est interrogatif : « De nombreux artistes ne manquent pas de s’interroger sur la finalité d’une telle manifestation qu’il faudrait « éviter de réduire à une simple année folklorique ». Le Quotidien d’Oran (7 novembre) est plus dubitatif : « Pour nous, Algériens, il n’en restera probablement pas grand- chose, si ce n’est la certitude d’avoir perdu l’argent inutilement pour une vitrine dont la valeur marchande (…) reste à prouver ».

Amine Khaled espère un bilan de notre savoir-faire culturel et civilisationnel, reconnaissant la tâche ardue « pour un pays déjà fort installé en pleine « léthargie » culturelle et dont les créateurs sont poussés à l’abdication et à l’isolement ». Le chargé algérien de la communication est plus « croyant » : « C’est un véritable défi. C’est la première fois depuis 1962 qu’une manifestation d’une telle envergure mobilise tant de moyens humains et matériels. Tout le monde s’accorde à dire que l’Algérie a un potentiel culturel très riche ».

Pour la partie française, je reprends les propos de Françoise Allaire, commissaire de l’Année de l’Algérie pour la partie française : « C’est une opportunité de coopérer avec l’Algérie dans la mesure où celle-ci a exprimé le désir d’être aidée à reconstruire son tissu culturel affecté par les événements de ces dernières années », « faire évoluer positivement les relations franco-algériennes en s’appuyant sur les manifestations culturelles de l’Année de l’Algérie, de travailler dans la durée », « En Algérie, il faudrait former dans tous les métiers de la culture. Cela pourrait se faire de différentes façons : stages, échanges », « Les français et algériens sont appelés à se réconcilier autour des artistes ».

Elle espère « inscrire la coopération franco-algérienne dans la durée » : « Je cherche à avoir un portefeuille important de résidences d’artistes dans tous les domaines (…) dans un contexte qui leur permettrait de rencontrer des gens dans leur secteur d’activité et de progresser, d’aider à la formation de métiers de la culture de manière large ». Je vous laisse apprécier le devenir de ces ambitions et de ces promesses.

Dans la présentation officielle de « L’Année de l’Algérie en France », il est spécifié que les programmations, les projets culturels « ont pu voir le jour grâce aux associations et aux institutions (musées, fondations, centres d’art) qui ont maintenu des liens avec les créateurs et les intellectuels algériens, y compris pendant les périodes de crise ». Il est fait référence « à la période de crise » liée au terrorisme intégriste. Il n’est pas certain que cette aide fût foisonnante. Il manquait déjà les visas pour circuler. Cette « Algérie sous embargo » a été très isolée.

Dans son style généreux, Abdelkrim Djilali, le chargé de la communication au commissariat algérien, brosse un tableau tout en nuances de la manifestation. Il estime que le pari est tenu : « L’image de notre pays en France est désormais plus juste, plus humaine ». Il acte un esprit d’héritage « les Algériens ont pu constater dans ce « miroir tendu » l’extrême vitalité de leur vie artistique ». Il met aussi en garde « Beaucoup d’entre eux [les artistes] ont savouré les conditions de travail offertes dans le cadre de l’Année de l’Algérie (…) Ces artistes ont noué des contacts en France. Il n’est pas sûr que, après avoir sué sang et eau pour peindre, photographier, écrire, jouer, chanter, danser, filmer, ils souhaiteront revenir au système D algérien ». Il est optimiste « À terme, le succès de Djazaïr 2003 se mesurera en Algérie même. Ce serait là un fruit tardif, mais fécond, des relations franco-algériennes ».

Il n’existe aucun document officiel, public, mis à la disposition du public, qui rapporte le bilan [financier, évaluation de l’organisation de l’évènement, les retombées et les dividendes pour l’art, la culture, les acteurs culturels, les artistes et les institutions] de cette manifestation.

Je veux pour conclusion, le conseil avisé de Nassira Belloula (Liberté) : « Ainsi, certains diront pourquoi pas une année algérienne en Algérie, en référence à l’année d’Algérie en France (…) vu que le vide culturel a fini par faire de nos artistes, peintres, écrivains et acteurs, des pantins entre les mains d’une politique culturelle qui n’a pas fini de noyer toute action, élan et tentative dans des considérations de seconde nature ».

Je suis un citoyen-artisan, ce texte est mon écot à la compréhension de notre jeune histoire.

Mansour Abrous 
« Hydrater la mémoire, nourrir le futur »
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Notes
(1) Conférence de presse du président du commissariat de l’Année de l’Algérie en France (Alger, 15 avril 2002).
(2) Deux expositions sont prévues pour janvier 2003 : la première rassemble le design algérien de la jeune génération et elle se déroule à VIA (Paris) ; la seconde a lieu au Salon du meuble (Paris) et mobilise une dizaine d’étudiants de l’École des Beaux-Arts d’Alger.
(3) « Cette exposition veut retracer les grandes étapes de la peinture algérienne, de sa naissance à nos jours et ce, à travers tous ceux qui ont marqué l’histoire de la peinture algérienne ».
(4) Elle présente les collections de sculptures que recèlent nos musées nationaux.