intra-muros :
Accueil > arts visuels > Zohra Hachid Sellal : l’art de la plénitude et de l’indépendance créative par Tarik Ouamer-Ali

Zohra Hachid Sellal : l’art de la plénitude et de l’indépendance créative par Tarik Ouamer-Ali

Les éclosions perpétuelles de Zohra hachid Sellal s’ouvrent sur une palette aux sonorités façonnées par la réflexion, la recherche de la vérité sans exubérance. Puisant dans une intuition profonde et une prédilection pour les êtres, les ombres, les silhouettes, l’enchantement, les empreintes, son œuvre se séquence avec le temps « par delà l’héritage ».

Dans cette enchantement, Zorha est parvenue à exprimer une vision mystique du monde toute en  médiation entre son groupe social et les sonorités visuels héritées, celle d’interpeller la providence, la nature, les croyances et l’inconnu en exorcisant les angoisses du présent par ceux du passé. Ali Khodja témoigne « Ce sont des œuvres plus proches de l’âme que de l’esprit ».

La quête des origines a ouvert la voie du possible renouement entre l’artiste et le naturalisme bubalin celui d’un mode de vie singulier entre l’homme et le monde animal : « La série se rapportant au sud algérien notamment l’étude en cours sur la fantaisie qu’ont apporté les hommes d’avant notamment dans le traitement des cornes de leurs bêtes sur les parois est un témoignage de mes séjours dans le sud qui m’ont marqué et imprégné. L’œuvre, “La vache qui pleure de Djanet” est une interprétation du regard contemporain sur l’art africain. », affirme l’artiste lors d’un entretien à la galerie el Yasmine durant son exposition en 2019. Ali Ali Khodja, sous le charme de l’instant évoque l’évidente sensibilité et la qualité esthétique de l’univers intemporel de l’artiste, il convient :  « Le choix de ce sujet montre son attachement particulier à ce patrimoine séculaire en le considérant comme l’un des repères de l’essence même de notre identité communautaire ».

 

 

Réminiscences ancestrales

« Dans l’art des origines », Nagète Ain-Séba (Docteur et maître de conférence en préhistoire) traduit l’intemporalité de l’art rupestre précédant l’acte contemporain par ces propos : «  l’artiste a employé diverses techniques et utilisé les moyens qui lui offriraient la nature. Les couleurs chaudes, les jaune, oranges et rouges étaient tirés d’ocres, hydroxydes de fer. L’oxyde de manganèse a fourni les couleurs noires, violacée et bleu foncé. Le charbon de bois également a pu être utilisé, notamment dans la période caballine et cameline, de même que l’indigo, tardivement. Pour éclaircir sa palette, l’artiste disposait du kaolin, argile blanche produite par l’altération des feldspath.  Ces pigments étaient mêlés à certaines substances plus ou moins liquides qui ont servi de liants, comme le lait, le miel, la sève, l’œuf, voir le sang. ».

L’œuvre de Zohra Hachid Sellal « fortement exprimée par une atmosphère riche de ses contrastes colorés », elle s’organise autour d’une perception sensorielle singulière qui rend les choses intemporelles spatialement plus proche les unes des autres, les disproportions géométriques en gestation perpétuelle dominent et « quatre dominante illuminent alors la ronde de la couleur : le noir, le bleu, le rouge, le jaune, épousant la forme en la modelant, comme pour passer du fantasme à son illustration réelle », écrivait Mme Dalila Mahammed-Orfali en 2006.

La préhistorienne Malika Hachid, que Zohra accompagnait souvent lors de ses pérégrinations sahariennes au Tassili des Ajjer et dans l’Atlas Saharien, ensemble nos convives contemplaient silencieuses aux aurores les parois ocres marquées par le sceau de la créativité, affirme : « Dans sa peinture, deux choses m’ont fait signe. D’abord, et curieusement, cette absence d’imprégnation par notre « sombritude » algérienne (…) sa peinture est un feu d’artifice  qui vous éclabousse, brûle et rafraîchit. Une sève qui vous guérit de la grisaille des temps et des angoisses modernes. ».

Zohra Hachid Sellal est  née le 8 décembre 1946 à Alger. Elle est Diplômée de l’école des Beaux-Arts d’Alger de 1963 à 1965 et obtient le diplôme national supérieur d’expression plastique à l’école supérieur d’art décoratifs de Grenoble (France) en 1973. L’école ne sera pas seulement « un lieu d’acquisition des connaissances mais un lieu d’apprentissage d’un métier au contact de la matière ». lit-on sur le catalogue de son exposition “Parcours” en 2006. Elle participa aussi à l’aménagement du musée national des arts populaires d’Alger (1969 et réalisa des costumes pour le théâtre de la Satyre (Grenoble 1972) et conçoit les stands à la foire d’Alger (1974-1977), notamment. Elle créée une école privée d’enseignement artistique à Alger (1990-1999). Une de ses œuvres est offerte au futur musée de l’Imzad (Tamenrasset).

De la génération, post-indépendante, Zohra Hachid Sellal est l’une des femmes artistes peintres algériennes les plus titrées, avec un parcours qui ne souscrit à aucun conformisme et « ne scarifie pas non plus aux conventions qui définissent les liens entre le concert, l’espace, la forme et la pensée », lit-on  sur le catalogue de son exposition « Parcours » au musée des Beaux-Arts en 2006. Ali Ali Khodja, témoigne aussi : « Les peintures et les aquarelles font partie des premiers travaux exécutés par Zohra. Elle y exprime, avec plénitude, une liberté qui ne souffre d’aucun penchant qui pourrait assujettir son art. ».

 

Sonorité africain : L’expression du sublime qui dispute l’étonnement

Tout en déroulant sa vision faite de non-dits en usant de la pensée et des formes, Zohra Sellal creuse ses sillons pour la compréhension de son époque en associant le passé et le présent dans une valse dont elle maîtrise les sonorités et l’harmonie. « On ne découvre pas sans conséquence les témoignages millénaires de l’expression humaine en des lieux où le sublime le dispute à l’étonnement. » (Ameziane Ferhani).

Son œuvre résonne comme les chars de Garamantes, on peut sentir les vibrations par évocation des titres : Le regard de l’autre – Des bleus à l’âme – La coiffe du guerrier – L’Afrique est une ébauche – Portrait de mon père – chants poésie et contes berbère – Si Mohand ou Mohand – La fiancée de la pluie – Le piano aveugle – Mohamed prend ta valise et va chercher tes devis – L’homme avant et celui d’aujourd’hui, migrants – Africa – Khamssa (Ifriquia 5) – Quand l’Afrique s’éveillera (Ifriquia 9) – Tin Tarleften – Des yeux pour entendre – Scarification – Mémoire de roche – Les chars des Garamantes – Architecture de terre – La corde de L’imzad – L’étendard de Fatma N’Soumeur – Le marionnettiste – Partageons l’eau – L’arche – L’exil –  Les colonnes du temple – Le baiser – Masque – La vache qui pleure -Des yeux pour entendre (Tin Tarleften) … etc

Le profil marquant l’exposition de sonorité est une œuvre chargée de symbole, « Ce n’est pas une femme c’est un profil découvert dans le sud Algérien et sur lesquels il y a un Aouchem, un dessin autour de l’œil qui va vers le nez et la bouche. ».

L’image du profil nourrit l’inconscient de l’artiste tout le long de ses pérégrinations, l’œuvre à l’œil a pris forme en 2004, année correspond à la rencontre entre l’infinie des « non-dits » et la genèse des premières manifestations de l’homme. « A l’instar des contes et chants kabyles qui ont bercé son enfance, ses études, ses voyages, l’œuvre de Zohra contient les harmoniques, nostalgiques, du joyeux ou des bleus à l’âme. Revenant dans ses toiles comme un refrain récurrent ses pérégrinations sahariennes sont devenues des icônes. ». (Barbara Schumacher)

 

 

 

L’exposition singulière de Zohra Hachid Sellal à la galerie el Yasmine s’ouvre sur une œuvre affirmative et agressive en opposition à la constante évolutive de la société très loin des douceurs qu’on attribut aux œuvres premières de Zohra. Dans un dialogue avec l’imaginaire, le travail créatif de zohra s’arrête pour marquer le temps où les stations mémoriels se dupliquent en séquences contemporaines entre ombre et scarifications pour marquer l’écriture qui précède l’écriture  humaine : « ça m’a donné envie d’imaginer des tas d’Aouchem » réagit Zohra à la vue du Tin Tarleften.

Elle ajoute : « J’ai découvert ce profil qui m’a approché tout simplement, le dessin de cette œil par exemple qui me faisait penser au hiéroglyphe égyptien tout en imaginant que tout autrefois les gens voyageaient vers le sud traversant l’Algérie, la Libye et l’Egypte, transportant tout sur le dos de chameau  c’est ce brassage et ces échanges qui ont probablement enrichit les signes et qui se sont transposés au fil du temps. Ceci dit, l’époque des Garamantes m’a toujours fasciné. ».

L’œuvre de Zohra Sellal est chargée, elle est énigmatique,  profonde et mystérieuse. Un voyage entre le sacré et le profane ou on y croise le dialogue du quotidien éternisé mais gênant par la sincérité du tracé, l’expression interrogative du réel prend le dessus sur le beau, tout en préservant la poésie habituelle propre aux jeux de couleurs proposés par Zohra qui a su se prolonger en s’ouvrant non pas à une nouvelle sonorité réflective mais à un ancrage millénaire de signe créatif du continent africain et de ses autochtones. Sur le catalogue de l’exposition sonorité africaine, on y lit « Le sceau de vos cornes sur la roche, les empreintes de vos sabots, un monde disparu, pourtant vos forces survivent au cœur de chacun de nous. ».

 

 

L’œuvre intrigante de Zohra proposant des cornes composées est remarquable et elle situe le labyrinthe de sa nouvelle prose picturale, ainsi le défilé de buffle tout en damier séquentiel accroché aux parois en harmonie avec le char des Garamantes et les réminiscences ancestrales,  nous questionne : « L’étude se porte sur l’extrême variété de la gravure du cornage. Chez nos graveurs de la préhistoire, la recherche de l’originalité existait déjà puisqu’ils procédaient à la déformation fantaisiste. ».

Malika Hachid reconnait que « quand Zohra est dans son atelier, elle est comme moi au Sahara. Hors du temps. Nous exécutons nos mandalas dans le silence. ». Le passionnant récit de voyage de Zohra est une atmosphère toujours renouvelée du quotidien ou se déploie dans un mouvement constant de sa mémoire et de ses émotions, un palimpseste à revisiter en permanence.

Tarik Ouamer-Ali
Alger, le 2 août 2020.

 

___________

Source :

– Catalogue exposition « Sonorité africaine », édition Galerie el yasmine, 2019.
– Catalogue exposition « Parcours », musée des beaux-arts, Alger, 2006.
– « Zohra », Casbah Editions, 2013.
– Dictionnaire des artistes algériens: 1917-2006, Mansour Abrous.
– Algérie, deux millions d’années d’histoire : L’art des origines.  Edition du Musée de préhistoire d’Ile de France de Nemours et du Museum d’histoire naturelle de Digon. 2003, Année de l’Algérie en France.

 

 

Visuel des oeuvres Zohra Hachid Sellal.