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« Je hais cet homme. » Charles Baudelaire au sujet du peintre Horace Vernet.

Pour effacer la honte de l’échec de la première expédition de Constantine, les parlementaires réclament une seconde expédition, dont le siège débute le 10 octobre 1837 et s’achève victorieusement le 13 du même mois, après un sanglant combat de rues et au prix de lourdes pertes humaines. La deuxième expédition de Constantine victorieuse est largement exploitée pour rehausser le prestige de l’armée coloniale française, défaite les années précédentes, et pour dépasser les controverses politiques sur le bien-fondé d’une occupation.

Les toiles d’Horace Vernet font courir Paris et flattent l’esprit cocardier des Français, encouragés à soutenir la campagne par goût du panache et incités à la comparer à la glorieuse épopée napoléonienne. Elles arracheront à Charles Baudelaire, anticolonialiste et journaliste artistique au Salon où sont présentées les œuvres, un commentaire lapidaire : « Je hais cet homme ».

Dans “Charles Beaudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, Paris, Michel Lévy, 1868”, Charles Baudelaire critique Vernet par ces propos : « M. Horace Vernet est un militaire qui fait de la peinture. — Je hais cet art improvisé au roulement du tambour, ces toiles badigeonnées au galop, cette peinture fabriquée à coups de pistolet, comme je hais l’armée, la force armée, et tout ce qui traîne des armes bruyantes dans un lieu pacifique. Cette immense popularité, qui ne durera d’ailleurs pas plus longtemps que la guerre, et qui diminuera à mesure que les peuples se feront d’autres joies, — cette popularité, dis-je, cette vox populi, vox Dei, est pour moi une oppression ».

Valérie Bajou, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, écrit : « Pour beaucoup, Horace Vernet s’est fait la spécialité des scènes de batailles, d’abord napoléoniennes puis de la conquête d’Algérie. Parmi les premières œuvres commandées pour les salles d’Afrique, Vernet exposa les trois toiles sur la prise de Constantine au Salon de 1839. Les conquêtes successives de l’armée française célèbrent la tactique mise en place par les fils de Louis-Philippe, jusqu’à la Prise de la smalah d’Abd-el-Kader exposée au Salon de 1845. Au lieu de chercher une unité d’action, l’artiste a montré le pittoresque des anecdotes ; il a éparpillé l’intérêt du spectateur dans une composition qui tient du panorama ».

Le 14 novembre 2023 s’est ouverte au château de Versailles une exposition consacrant l’une des grandes figures de l’art colonial, le peintre français Horace Vernet (1789-1863). Une rétrospective qui se prolonge jusqu’au 14 mars 2024 mettant à l’honneur 200 œuvres de cet artiste qui s’est servi de son talent pour alimenter la propagande, notamment autour de la conquête coloniale de l’Algérie. Parmi les toiles exposées figure Prise de la smalah d’Abdelkader par le duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843, une toile de 21,39 m sur 4,89 m de haut exaltant le rôle du fils de Louis-Philippe, roi de France, dans l’attaque organisée contre le campement du chef de la résistance algérienne et la reddition de ce dernier.

 

Visite guidée : rétrospective Horace Vernet au château de Versailles

 

VERNET Émile-Jean-Horace, dit Horace, découvre l’Algérie en 1833, un an après le voyage de Delacroix au Maroc. Ses œuvres commandées pour les salles d’Afrique glorifient la conquête coloniale et ignorent la brutalité de cette entreprise militaire. Si le commissariat de l’exposition rétrospective d’Horace Vernet au château de Versailles fait une description très élogieuse de son œuvre, estimant qu’elle déploie un extraordinaire récit orientaliste, une vision toute exotique, dont chaque morceau, même chaotique ou tragique, révèle l’extraordinaire talent de conteur d’Horace Vernet, Olivier Le Cour Grandmaison, politologue et historien spécialiste de la colonisation, affirme que l’organisation d’une telle exposition est en soi choquante car elle ne rappelle pas, selon lui, l’implication officielle d’Horace Vernet dans la mise en scène glorieuse de la conquête coloniale qu’il soutenait. Le peintre conteur est rattrapé par la citation de Montagnac, datée de 1845, après les « enfumades » du colonel Pélissier, parue dans l’ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison, “COLONISER, EXTERMINER. SUR LA GUERRE ET L’ÉTAT COLONIAL” : « …Tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, les envoyer aux îles Marquises, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens… voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes … ».

L’historien et politologue ajoute qu’en l’absence d’éléments précis de contextualisation, l’exposition de toiles comme celles d’Horace Vernet sur la conquête de l’Algérie contribue à la réhabilitation du passé colonial. Pour rappel, un projet de loi reconnaissant le « rôle positif » de la colonisation en Afrique du Nord fut proposé en 2005 sous la présidence de Jacques Chirac, mais le projet de loi fut finalement abandonné face à l’opposition de la gauche et des historiens. En France, l’art colonial a toujours le vent en poupe, indique Didier Epsztajn, historien et co-auteur d’une série de guides sur la colonisation de l’espace public à Middle East Eye, l’un des fondements de la République française est le colonialisme.

« La peinture d’Horace Vernet montre les préjugés racistes et antisémites de son auteur qui, opportuniste, a profité de la conquête coloniale en achetant une ferme. Certains diront que son racisme était celui de son temps largement accepté, normalisé et qu’il suffit de contextualiser son comportement. Pourtant, dès son époque ont été posées des questions sur la brutalité de la conquête militaire de l’Algérie qu’Horace Vernet n’a pas abordées. Sa vision pittoresque est celle d’une société bien pensante, dominatrice et oublieuse des autres. Son inspiration hétéroclite ne facilite pas l’organisation d’une exposition sur cet artiste : Vernet fut à la fois tout et son contraire. L’exposition montrera comment Horace Vernet a transcrit dans ses œuvres ses propos péremptoires, son mépris, ses ruptures et ses hésitations. Sans le censurer, le catalogue questionnera son aveuglement et sa radicalité, tout en s’attachant à déconstruire quelques mythes pour mieux comprendre l’artiste, son rapport au pouvoir et ses stratégies de carrière. » affirme Valérie Bajou dans les Carnets de Versailles n°23.

Rédaction founoune

 

 


Détail de l’oeuvre d’Horace Vernet : Assaut et Siège de Constantine 1937 – dimensions de l’oeuvre source : H : 512 cm – L : 1039 cm

 


Prise de la smalah d’Abdelkader par le duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843 par Horace Vernet, 1844.