intra-muros :
Accueil > actualités > Revue El Djeich : Entretien de Mme Soraya Mouloudji ministre de la culture

Revue El Djeich : Entretien de Mme Soraya Mouloudji ministre de la culture

La ministre de la Culture et des Arts, Mme Soraya Mouloudji, a accordé un entretien à la revue «El Djeich» dans lequel elle est revenue sur les nouveautés intervenues dans son secteur tout comme elle a souligné l’importance du devoir de mémoire dans la préservation de l’identité nationale.

El Djeich : Monsieur le Président de la République a souligné, à maintes occasions, la nécessité de préserver la mémoire nationale. Il est certain, Mme la ministre, que votre secteur joue un rôle essentiel et important dans la glorification de l’Histoire et la préservation de la mémoire nationale à travers le cinéma, le théâtre et l’art. Pourriez vous nous éclairer sur les efforts fournis par le secteur dans ce domaine?

Mme Soraya Mouloudji : En observant attentivement les activités et les manifestations récemment organisées par notre secteur ministériel, il est indéniable qu’elles témoignent d’un fort engagement envers la préservation et la protection de la mémoire nationale. Ainsi, nous nous sommes investis dans l’organisation continue de séminaires, de conférences et de colloques, tant au niveau de la capitale que dans les différentes wilayas. Certains revêtent une dimension nationale et d’autres ont une portée internationale, à l’exemple du “Colloque international sur la résistance culturelle durant la Révolution”, organisé le mois de juin dernier, et qui a rassemblé des conférenciers et des chercheurs algériens et étrangers. Ce qui demeure constant dans nos activités et nos productions culturelles et qui constitue une priorité au sein de la stratégie du secteur de la culture, c’est notre volonté de placer la mémoire nationale et l’Histoire de l’Algérie au premier plan, tout en renforçant et valorisant tous les efforts qui y sont liés. En ce qui concerne le rôle du cinéma, du théâtre et des arts dans l’immortalisation de la mémoire nationale, nous pouvons énumérer une longue liste de films qui ont su préserver l’esprit de la Révolution et de la lutte algériennes, dans le but de transmettre cet héritage aux générations futures. Ces films, largement diffusés et unanimement salués, ont réussi à assumer pleinement leur mission de conservation de la mémoire nationale, en utilisant des techniques esthétiques variées. Ainsi, ils demeurent accessibles, appréciés et suscitent une lecture empreinte de sens. Le contexte de leur production, marqué par un dévouement envers la Nation et une fidélité à la mémoire des Martyrs, ainsi que leur appartenance à un genre cinématographique authentique, porteur de messages, expliquent en grande partie leur succès.

Le cinéma algérien a acquis une place considérable dans le domaine du cinéma engagé, comme en témoignent des films tels que “La Bataille d’Alger” ou “Chroniques des années de braise”, qui sont devenus des références non seulement en Algérie, mais également dans plusieurs pays réputés pour leur cinéma. A l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance, nous avons lancé un programme exceptionnel visant à produire des films cinématographiques et des documentaires sur l’Histoire glorieuse de l’Algérie. Parallèlement, nous avons également organisé une résidence artistique pour favoriser la création, ainsi qu’une exposition collective d’art pictural qui a parcouru plusieurs wilayas du pays. De plus, nous nous préparons à présenter un nombre important de titres d’ouvrages qui seront édités en faveur de la Bibliothèque nationale d’Algérie. Le théâtre continue également de jouer un rôle majeur en proposant de grandes productions théâtrales et
des performances artistiques qui allient divertissement et messages forts. Ces œuvres théâtrales ont adopté de nouvelles techniques pour aborder de manière authentique des sujets liés à la Nation et à son Histoire.

Comme vous l’avez mentionné précédemment, Monsieur le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a souligné l’importance du devoir de mémoire, ainsi que son intérêt particulier pour le cinéma. Cette conjoncture nous incite à unir ces deux domaines dans un engagement fidèle à ses aspirations. Nous sommes pleinement conscients que le patrimoine culturel revêt une importance primordiale dans la préservation de l’identité nationale, ancrée dans les profondeurs de cette terre glorieuse, arrosée par le sang de nos ancêtres. L’c possède un patrimoine culturel ancestral remontant aux premières réalisations de l’humanité sur cette terre sacrée, tel que l’outil taillé dans la pierre, considéré comme un art en soi, utilisé par les hommes préhistoriques.

De même, l’art a accompagné  l’Algérie depuis la préhistoire, où les autochtones utilisaient la sculpture et les gravures rupestres pour exprimer leurs pensées les plus profondes. Ces œuvres artistiques reflétaient leur quotidien et leurs croyances, conférant ainsi une importance particulière à ces gravures qui constituent une source précieuse dans l’Histoire de l’humanité.
Cet art préhistorique est un indicateur essentiel pour comprendre la vie sociale, culturelle, religieuse et économique à l’époque préhistorique, notamment à l’ère néolithique et au-delà. Il incarne également la créativité artistique de l’homme algérien, tout en reflétant sa perception du monde qui l’entoure à différentes étapes de sa vie. C’est d’ailleurs l’origine même de l’idée de l’écriture en tifinagh, présente dans les régions de l’Ahaggar et du Tassili N’Ajer.

 

El Djeich : L’Etat veille à la promotion et la protection du patrimoine culturel en vue de l’ancrer dans les esprits des générations montantes et, aussi, l’archiver et le protéger de la disparition. Quels sont les principaux axes de la stratégie nationale adoptés par votre secteur dans la protection du patrimoine matériel et immatériel ?

Mme Soraya Mouloudji : La préservation du patrimoine culturel algérien, qu’il soit matériel ou immatériel, est une priorité majeure pour le ministère de la Culture et des Arts. C’est pourquoi un important arsenal juridique a été mis en place, notamment la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel et ses textes d’application. Ces mesures visent à définir, reconnaître, protéger et préserver le patrimoine contre le pillage, le vol, l’extinction et la disparition, en coordination avec les différents établissements placés sous tutelle.

Au niveau national, notre secteur travaille à la protection du patrimoine culturel matériel, en classant les biens immobiliers d’importance patrimoniale sur la liste du patrimoine national. Nous cherchons également à valoriser ce patrimoine en créant des musées nationaux, en entreprenant des opérations de restauration et en élaborant des plans de protection et de mise en valeur des sites archéologiques, ainsi qu’un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés.

En ce qui concerne le patrimoine culturel immatériel, le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques a pour mission de le protéger. Il s’agit notamment des chansons traditionnelles et populaires, de l’art culinaire, des textes historiques, des contes et des jeux traditionnels… etc. Ce centre étudie, restaure et conserve ces expressions et matériaux culturels traditionnels. Il crée des nomenclatures et des banques de données pour le patrimoine immatériel en définissant, en inscrivant, en classant, en collectant et en enregistrant avec tous
les moyens appropriés et supports possibles auprès des détenteurs de ce patrimoine. Il veille à éviter toute falsification lors de la transcription ou de la publication et diffuse cette culture immatérielle traditionnelle et populaire par le biais d’expositions, de manifestations diverses, de publications et de communications sous toutes leurs formes.

Sur le plan international, l’Algérie, un des premiers pays à avoir ratifié la convention de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2003, a inscrit, depuis 2008, dix éléments sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Notre ministère prépare plusieurs autres dossiers pour les présenter à l’UNESCO, en vue de les enregistrer comme patrimoine universel de l’humanité à l’avenir.

A ce jour, 1092 éléments culturels ont été protégés, répartis entre les biens culturels matériels et les sites naturels, avec environ 14 000 sites patrimoniaux enregistrés sur la carte archéologique. Parmi ceux-ci, on compte 510 biens culturels classés, 28 secteurs sauvegardés, 5 parcs culturels, 485 biens culturels mobiliers inscrits sur la liste d’inventaire supplémentaire, et 64 sites naturels classés.  De nombreuses opérations et études de restauration et de mise en valeur de ces biens culturels ont également été enregistrées et suivies. En ce qui concerne les secteurs sauvegardés, des projets de plans permanents de sauvegarde et de mise en valeur sont en cours ou ont déjà été adoptés pour des villes anciennes, telles que Béjaïa, Mila, Ténès et Dellys, ainsi que pour la Casbah d’Alger.

Pour les découvertes archéologiques, il existe des établissements décentralisés sous tutelle du ministère de la Culture et des Arts, chargés des travaux de recherche et d’investigation archéologique et qui opèrent des fouilles et des puits archéologiques afin de prendre les mesures préventives nécessaires, tels que le Centre national de recherche en archéologie et le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques.

Pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier, 23 musées nationaux publics ont été créés dans différentes spécialités, ainsi qu’un centre d’interprétation à caractère muséal répartis à travers le pays. Ces établissements ont pour mission de conserver l’héritage patrimonial et de le présenter au public, en sensibilisant sur la nécessité de sa préservation.

Notre ministère attache une grande importance au patrimoine culturel immatériel, d’où la création d’une banque de données chargée de recenser l’héritage culturel immatériel sur tout le territoire national. A ce jour, environ 900 biens culturels immatériels ont été recensés et l’inventaire se poursuit.

 

El Djeich : Certains pays tentent de s’approprier le patrimoine culturel algérien matériel et immatériel, ce qui nécessite la prise de mesures pour stopper cette hémorragie culturelle par le recours, entre autres, à l’Unesco pour le classement du patrimoine algérien parmi le patrimoine universel. Pourriez-vous nous fournir davantage de détails ?

Mme Soraya Mouloudji : Le patrimoine algérien est ancré dans l’héritage oral et écrit et les tentatives visant à s’en emparer en utilisant des outils de communication propagandistes ne sont que des pratiques temporaires qui prendront fin avec la disparition des motivations. Cependant, revendiquer le patrimoine d’autrui crée une confusion qui peut avoir un impact négatif sur les générations des pays qui utilisent de telles pratiques. En effet, la recherche scientifique objective révèlera le caractère mensonger de ces revendications. Je tiens à préciser qu’il existe encore chez nous de nombreuses tenues vestimentaires, pratiques sociales, musiques, coutumes et artisanats hérités qui ont disparu chez d’autres mais qui continuent à revendiquer leur appartenance. Bien que nous possédions un grand nombre de biens culturels, ces revendications et le trafic de certains prototypes ne peuvent constituer une menace. Cependant, il est essentiel que nous collaborions tous ensemble pour les préserver et que nous ayons conscience de leur valeur.

Je tiens également à souligner que le ministère de la Culture et des Arts possède un centre d’interprétation à Tlemcen, dont la mission est axée sur les habits traditionnels en Algérie. Le ministère prévoit également la création d’un centre d’interprétation muséal, dédié à la poésie populaire et aux arts liés aux expressions folkloriques et traditionnelles à Béchar, ainsi qu’un centre d’interprétation muséal consacré aux pratiques et traditions populaires de la région d’Ouled Naïl. Il existe également le Musée national populaire de l’Émir Abdelkader, dans la wilaya de c, le Musée national populaire d’archéologie, à Aïn Témouchent, et le Musée national populaire, à Tizi Ouzou.

En ce qui concerne le classement du patrimoine algérien, la liste est si longue qu’elle ne peut être résumée en quelques lignes. Avec une superficie dépassant les 2,4 millions de kilomètres carrés, chaque région possède toute une série de pratiques, de tenues et de sites qui nécessitent d’être classés. Dans une première étape, nous procédons au classement au niveau national et effectuons l’inventaire de notre patrimoine potentiel. Ensuite, nous assurons sa protection et enregistrons régulièrement des opérations de restauration des sites patrimoniaux.

 

El Djeich : L’opération de protection du patrimoine nécessite des efforts que différents secteurs doivent consentir, comment concrétiser cela sur le terrain, notamment avec le ministère des Moudjahidine et des Ayants droit ?

Mme Soraya Mouloudji : En ce qui concerne le ministère des Moudjahidine et des Ayants droit, une grande harmonie existe entre nous, d’autant plus que le ministère de la Culture et des Arts partage de nombreuses préoccupations culturelles avec plusieurs départements ministériels. Nous considérons que la culture est présente dans chaque pratique quotidienne, donc tous les secteurs peuvent participer à la préservation, à la protection et à la promotion du riche patrimoine algérien. Cela peut se faire en présentant des produits algériens avec un support culturel et patrimonial, en promouvant le tourisme culturel et la visite des sites historiques et archéologiques ou en consacrant des espaces publics, des moyens de transport et des administrations publiques au patrimoine.

La culture est la mission de tous et la supervision et la charge de cette mission incombent au ministère de la Culture et des Arts. En ce qui concerne le ministère des Moudjahidine et des Ayants droit, il existe une convergence d’intérêts concernant les événements, les personnalités et les sites historiques. De plus, ce ministère est actif dans le domaine culturel par la production de films, l’organisation de manifestations de grande envergure et l’édition de livres. Bien que ce secteur se concentre principalement sur l’aspect historique, cela n’annule en aucun cas son dynamisme dans les domaines artistique et culturel. Le ministère de la Culture et des Arts collabore également avec d’autres départements pour la protection du patrimoine culturel sur le territoire national. Cela se fait par le suivi et l’encadrement de plusieurs dossiers de classement déposés auprès de la Commission nationale des biens culturels.

 

El Djeich : L’Armée nationale populaire joue un rôle important dans la protection de la mémoire nationale, comment s’organise la coordination entre les ministères de la Défense nationale et de la Culture et des Arts dans différents domaines, à l’instar de la production de films cinématographiques et la protection du patrimoine ?

Mme Soraya Mouloudji : Il est essentiel de rendre hommage en premier lieu à l’Armée nationale populaire pour le rôle de grande citoyenneté qu’elle accomplit. Les enfants de l’armée sont les enfants du peuple et la relation entre l’armée et la culture n’est pas fortuite. En effet, le ministère de la Défense nationale a toujours contribué à la production de ce legs particulier, en particulier dans le domaine du cinéma historique et révolutionnaire. Cela a fait du cinéma algérien une référence et lui a conféré une notoriété dans le cinéma engagé.

La présence de l’Armée nationale populaire à travers son accompagnement de plusieurs productions cinématographiques au fil des années et la mise à disposition de moyens techniques et logistiques ont eu un impact sur la qualité et ont contribué à rapprocher le cinéma de la réalité. Ce soutien et cette participation ne se limitent pas au cinéma uniquement, car dans le domaine du livre, l’imprimerie de l’armée a également contribué aux grands programmes d’édition pendant de nombreuses années. De beaux livres ainsi que des ouvrages de littérature et d’art ont été imprimés dans les imprimeries de l’armée, favorisant ainsi le respect des délais de réalisation des projets.

La protection du patrimoine va de pair avec la protection des frontières, et les soldats positionnés aux frontières terrestres et maritimes sont ceux-là mêmes qui protègent les biens culturels algériens. Il est important de rappeler que les parcs culturels s’étendent sur le territoire national, couvrant environ 44% de la superficie du pays. Notre ministère ne peut protéger cette surface à lui seul, c’est pourquoi la présence des éléments et des unités de l’Armée nationale populaire dans tout le pays est essentielle. Grâce à une gouvernance consciencieuse, stable et sage, nous ressentons une quiétude et nous nous efforçons davantage à protéger et à valoriser ce patrimoine qui constitue également un potentiel identitaire, social et économique.

 

Propos recueillis par : Lamia Bendada & Habel Yasmine – Photo Djarir Ramzi
www.mdn.dz – El-Djeich N° 720 Juillet 2023

Source : mdn.dz