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« RETOUR À JAMAÂ EL FNA, 50 ANS APRÈS » Vente du 29 déc 2018 à Marrakech

J’ai l’honneur de vous inviter à Marrakech au pied de la mythique place Jamaâ el Fna en cette fin d’année 2018, pour
partager un conte, celui de la modernité artistique marocaine, et vous montrer son plus bel aspect, la soif de liberté et d’émancipation durant les années 1960-1970. Ici à Marrakech, d’illustres artistes étrangers sont venus au XIXe
siècle et durant le XXe, pour raconter et décrire la magie apparente de la ville, et celle de notre culture utilisant, tour à tour, les préceptes et connaissances qu’ils avaient embrassé en Europe et en Amérique dans leurs disciplines respectives.

Parmi les plus célèbres Eugène Delacroix, Benjamin Constant, Edwin Lord Weeks, Bernard Boutet de Monvel, Marcelle Ackein, Raoul Dufy, Jacques Majorelle, Irving Penn, Orson Welles, Alfred Hitchcock, et tant d’autres grands artistes renommés qui ont construit une certaine image de notre pays, de ses mythes et ses coutumes, entre 1830 jusqu’à la fin des années 1950. Durant les années 1940, le nationalisme marocain et ses grandes figures, dont le Roi Mohammed V, font émerger peu à peu une société marocaine empreinte de modernité qui aspire à l’indépendance, à la dignité et à de nouvelles formes de représentations culturelles. Façonner ses propres images et raconter ses propres récits devient un impératif politique pour construire une résistance à l’occupation, et ainsi amorcer une nouvelle société. La célèbre vision collective du roi Mohammed V dans le cercle lunaire, est d’ailleurs le moment clef de cette réappropriation. La bravoure et l’élan de la lutte pour l’indépendance vont mener, à partir de ce moment, les premiers artistes plasticiens marocains à épouser comme langage d’expression artistique l’abstraction pour rompre avec les « images » du passé et valoriser leur propre héritage culturel.

Le premier à ouvrir cette route est, sans conteste, Jilali Gharbaoui qui, dès les années 1954-1955, rejette la figuration pour laisser jaillir une abstraction lyrique et gestuelle, affranchie de la notion de récit. Sa peinture est « une école » en rupture avec les autres travaux et recherches figuratives d’artistes marocains vivant entre le Maroc, la France et l’Espagne au même moment. Ses premières gouaches sur papier accompagnent les premières revendications d’un changement politique et culturel radical qu’il initie, et sans doute la naissance même de la modernité artistique marocaine. Dans cette dynamique, créée à partir de 1955, les artistes marocains s’inscriront dans des voies nouvelles avec notamment Mohamed Melehi, Farid Belkahia, Ahmed Cherkaoui et plus tard Mohammed Chebâa, qui multiplieront les voyages à Paris, Rome, Madrid, Prague et Varsovie. Ils aborderont de nombreuses recherches sur l’identité, l’état du monde, les guerres de décolonisation et surtout celle de l’Algérie voisine, où imprégneront parfois des grands mouvements mondiaux occidentaux avec une très élégante sophistication. Les années 1960 sont marquantes, Farid Belkahia investit l’école des beaux-arts de la ville de Casablanca en qualité de directeur en 1963, après son retour de Prague et invite Mohamed Melehi et Mohammed Chebâa à le rejoindre pour prodiguer un nouvel enseignement artistique, où tout est à inventer. Ces trois artistes formeront « Le groupe de Casablanca » et développeront peu à peu une nouvelle pensée plastique marocaine qui sera très apparente durant leur première exposition commune en 1965 au Théâtre National Mohammed V de Rabat. On observe alors, de leur part, un rejet de l’abstraction lyrique (qualifiée aussi de gestuelle) et l’apparition d’un graphisme maîtrisé et rigoureux, correspondant à un discours intellectuel élaboré et rationnel. La proximité avec le mouvement allemand Bauhaus est très perceptible, d’autant plus que ces artistes sont, aussi, proches de l’architecture. Bien que Mohamed Melehi, Farid Belkahia et Mohammed Chebâa ne revendiquent aucune colère envers Jilali Gharbaoui et Ahmed Cherkaoui, ils rompent avec ces derniers et ils fédéreront progressivement d’autres artistes séduits par leurs idées. La seconde étape de l’affirmation d’une modernité marocaine se joue, alors, dans l’exposition manifeste Place Jamaâ El Fna en Mai 1969 où «Le groupe de Casablanca », en plus d’autres artistes, rejettent de participer au Salon d’Automne, considérant que le manque de vision des dirigeants culturels de l’époque ne traduit ni les ambitions, ni la réalité artistique de l’époque. Le courage de cette poignée d’artistes, qui ose défier l’autorité de tutelle, cristallise l’attention et marque le second grand engagement de l’histoire artistique marocaine.

À partir de ce moment-là, « Le groupe de Casablanca » s’élargira pour donner naissance à un mouvement artistique plus large qui conduira à la formation de l’AMAP (Association des plasticiens marocains) en 1972 et à un second manifeste que nous dévoilons au sein de ce catalogue. Les artistes participant à cette association deviennent, très vite, les principaux représentants de l’art marocain et, unis, ils prendront part à des événements nationaux et internationaux, où l’importance de l’art, levier de progrès social et d’émancipation, est un enjeu réel. La biennale de Baghdad en 1974, est surement le tournant de cette aventure, où les artistes de l’AMAP voyageront peu après, en Palestine, en Algérie et en Tunisie, vers 1975 où ils prendront des positions très prononcées en faveur de « la Cause Palestinienne », au sein de l’union des Artistes arabes. Les œuvres de Mohamed Melehi, Mohammed Chebâa et Mohammed Kacimi sont d’ailleurs très engagées et portent les symboles de la lutte indépendantiste palestinienne.

Les années 1974-1975 marquent, alors, un troisième engagement de la scène plastique marocaine, qui s’affirme tout en s’ouvrant sur le monde pour diffuser ses propres idées mais aussi adhérer à celle d’autres acteurs. À ce moment, Farid Belkahia démissionne de l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca pour s’installer à Marrakech. L’AMAP, voulant accentuer ses relations avec les artistes du Machrek, organisera à son tour une seconde édition de la biennale arabe à Rabat entre décembre 1976 et janvier 1977, sans vrai soutien des autorités culturelles et de l’administration publique marocaine, qui voient d’un mauvais œil la proximité des artistes irakiens et palestiniens aux idées du parti Baas de Saddam Hussain. L’initiative sera un un échec, et plongera les artistes de l’AMAP dans une forme de scepticisme et de tension.

En 1978, une résistance artistique spontanée s’organise contre une exposition organisée au Club Méditerranée de Marrakech, qui porte atteinte, aux yeux de l’AMAP, aux symboles de la scène plastique marocaine mais aussi aux préceptes de l’identité. Il est question de refuser une nouvelle fois la folklorisation de nos coutumes et des nouvelles traditions artistiques. La même année est inaugurée la première édition du festival artistique d’Assilah, expérience unique dans le monde arabe et sur le continent africain, où les artistes travaillent à réaliser des fresques dans l’espace public, marquant une volonté accrue de diffusion de leurs arts, et de participer intelligemment au développement du tourisme dans une petite ville de pêcheurs.

Cette étape consacrera sûrement le quatrième engagement clef de la scène artistique marocaine, qui apporte une grande adhésion populaire aux artistes marocains, désormais reconnus comme des acteurs sociaux plus importants. À travers ce descriptif détaillé de la période couvrant de 1969 à 1978, je tenais à insister sur l’importance de l’engagement social et parfois politique des artistes marocains, qui ont su inventer malgré les contraintes une Modernité marocaine. Marrakech s’est souvent imposée dans l’histoire de notre art comme le lieu privilégié pour un renouvellement artistique.

J’espère que l’exposition de cette vente saura révéler la force de notre projet, au service de la valorisation d’une modernité artistique marocaine post-indépendance, et contrer par la même occasion tous ceux qui s’attardent encore sur les images fantasmées du passé, pensant à tort présenter le Maroc. Si le reproche qui a souvent été fait à l’École des Beaux-Arts de Casablanca, a été de ne pas avoir initié une relève artistique, force est de constater que les idées qu’elle a promues à cette époque sont devenues universelles. Le discours sur la dés-occidentalisation de l’enseignement artistique est aujourd’hui très présent dans les débats intellectuels africains.

Rappeler à travers notre manifestation les événements de 1969 à 1978, c’est aussi appeler à une critique objective de la situation des arts plastiques, aujourd’hui, au Maroc et souhaiter améliorer le fonctionnement de la vie culturelle et sociale, par de nouvelles actions et engagements. Depuis cette époque, Marrakech et d’autres villes ont abrité des biennales, des foires d’art et des grandes manifestations qui ont, tour à tour, consacré les arts contemporains de différents territoires sans pouvoir réussir à assurer la pérennité de ces dits événements.

La visibilité de notre art à l’étranger reste limitée, et est le fruit d’actions individuelles d’artistes ou de professionnels de l’art, souvent tributaires de sponsorings, parfois inaccessibles. Parmi les attentes formulées avec insistance par notre scène, la participation du Maroc à la Biennale de Venise, où l’absence du Maroc est vécu encore comme une blessure. 50 ans après le manifeste de la place Jamaâ El Fna et 40 ans après la polémique du Club Med, les conditions sont de nouveau réunies pour la création d’une nouvelle entité de représentation des plasticiens marocains avec les professionnels du secteur, pour défendre la situation des arts visuels au Maroc et entamer de nouveaux dialogues avec les partenaires institutionnels et publiques afin de mieux appréhender les défis auxquels nous faisons face.

HICHAM DAOUDI

 



VENTE AUX ENCHÈRES : « RETOUR À JAMAÂ EL FNA, 50 ANS APRÈS »

EXPOSITIONS PUBLIQUES
DU 22 AU 28 DÉCEMBRE 2018

VENTE AUX ENCHÈRES
SAMEDI 29 DÉCEMBRE 2018 À 15H30

LIEUANCIENNE AGENCE BANK AL-MAGHRIB, PLACE JAMAÂ EL FNA

Catalogue vente aux enchères : LIRE


Jilali Gharbaoui est né en 1930 à Jorf El Melh près de Sidi Kacem. Ayant perdu très tôt ses parents, il est élevé dans un orphelinat. Gharbaoui est depuis son plus jeune âge attiré par la peinture. Parallèlement à la distribution de journaux à Fès, il commence à peindre des tableaux impressionnistes. La peinture, son don précoce, lui vaut une bourse d’études, de 1952 à 1956, à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il poursuit sa formation en
arts plastiques à l’Académie Julian en 1957, avant de séjourner un an à Rome, en qualité de boursier du gouvernement italien.

De retour au Maroc en 1960, Jilali Gharbaoui s’installe à Rabat. Après une courte période d’expressionnisme, il s’achemine vers la peinture informelle. À partir de 1952, il commence à peindre des tableaux non figuratifs, avec une gestualité nerveuse. Jilali Gharbaoui occupe une place fondamentale dans l’histoire des arts plastiques au Maroc. Il est le premier peintre qui a porté l’abstraction jusqu’à ses derniers retranchements. Lyrique dans sa facture, Jilali Gharbaoui n’en peignait pas moins un univers tourmenté. La vie personnelle du peintre est traversée par de fréquentes crises de dépression qui l’obligent à effectuer plusieurs séjours dans des hôpitaux psychiatriques. Sa vie privée est inséparable de son art : la tension qui se dégage de ses œuvres entretient une juste résonance avec son mal de vivre. Il s’est éteint en 1971, sur un banc public au Champ de Mars à Paris.

Les tableaux de Gharbaoui figurent dans diverses collections au Maroc, en France, en Angleterre, en Allemagne et aux EtatsUnis. Son œuvre est très complexe et très atypique. Différent des artistes marocains de l’époque, il possède un don qui lui permet d’être en avance sur son temps. Pour analyser Gharbaoui et sa peinture, il vaut mieux se placer dans un contexte international et voir les productions existant à l’époque ainsi que les artistes qui l’ont inspiré.