Dans l’ouvrage “Genèse d’une collection” édité par le Musée d’Art Moderne d’Alger (MAMA) en 2014, aucune œuvre du plasticien Ahmed Stambouli, né en 1957 et décédé en 2020, n’est mentionnée dans la collection. Le musée est fermé depuis 2020 pour travaux dit-on.
La galerie tunisienne TGM située à la Marsa, consacra à Ahmed Stambouli, en ce début d’année 2025, une exposition intitulée « Primitif », contrastant avec le désintérêt manifeste des espaces d’exposition en Algérie, notamment des musées, envers les artistes algériens non affiliés au réseau folklorique des arts visuels locaux. Par exemple, Mohamed Aksouh un des doyens encore vivant de la peinture algérien a célébré ses 90 ans à la galerie “Artbribus” à Paris dans la plus grande indifférence des institutions publiques, des efforts de sa part pour exposer en Algérien furent vains, je salue son choix de ne pas adresser une demande à la tutelle : « c’est à eux de prendre contact avec moi » dira-t-il.
Au même moment, Mustapha Boutadjine prend en charge toutes les dépenses liées à son exposition « Les Résistants », montée au Palais de la Culture à Alger, que j’ai suivie depuis le premier courrier. Aucune dépense du ministère de la Culture n’a été constatée. Seul le Palais de la Culture a fourni 200 dépliants et 100 cartes d’invitation. Les grands châssis, la traduction et les catalogues en langue arabe imprimés en Algérie, ainsi que le montage de l’exposition, le tout a été pris en charge par le sponsor, l’entreprise algérienne TSA. En revanche, l’impression des catalogues en langue française, les déplacements vers l’Algérie, l’impression des digigraphies et leur transport, les œuvres originales transmises par le service fourgon taxi depuis la France et sans assurance, l’hébergement, ainsi que d’autres charges, ont été financés sur les fonds personnels de l’artiste.
Pour les expositions sur le territoire à Tizi Ouzou, Sétif et Tlemçen, l’artiste n’a pas pu se déplacer, pour absence de prise en charge des billets d’avion. Les directions de la culture des différentes wilayas se sont contentées de déplacer l’exposition réalisée à Alger, certainement avec des charges moins importantes. Je n’ai pas plus d’information, ma prestation s’arrêta le 13 octobre 2024, le jour du décrochage à Alger.
Exposition “Les résistants” de Mustapha Boutadjine au Palais de la culture d’Alger du 12 oct au 12 Nov 2024.
Ce qui est le plus ironique dans tout cela, le ministère de la Culture tirera tous les profits de cette exposition, « b Kahwa ou Garou » dit-on. Et vu le contexte, elle devient itinérante. À cet effet, elle est intégrée au programme et probablement au budget des dépenses afffecté à l’occasion du 70ᵉ anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne. Ceci n’était absolument pas prévu au tout début, lorsque l’idée d’exposer en Algérie et de trouver un lieu avait été envisagée, plus d’un an et demi auparavant. L’opportunisme de la tutelle est sans pareil.
Les deux oeuvres originales n’accompagneront pas l’exposition itinérante, faute d’assurance probablement, elles intégreront après le 3 octobre 2024, le panorama de la peinture algérienne programmé au Palais de la culture du 30 octobre au 20 Novembre 2024, pas plus.
C’est précisément à cela que sont confrontés nos artistes, en particulier ceux des arts visuels. Les expériences varient, mais elles partagent toutes un constat commun : cette situation ne semble pas prête à s’améliorer. L’individualisme, le manque de solidarité au sein de la corporation et le fait que chacun tire dans son propre sens laissent le champ libre à l’opportunisme, qu’il s’agisse de la tutelle ou des artistes opportunistes salariés de cette dernière. Ces derniers barrent la route à toutes les idées novatrices qui pourraient remettre en question leur mainmise sur le secteur.
Exposition d’Ahmed Stambouli à la galerie TGM à la Marsa, Tunisie, du 11 au 26 Janvier 2025.
Il convient de saluer le professionnalisme de la galerie tunisienne TGM et l’attention qu’elle porte à l’artiste algérien Ahmed Stambouli. Il est également important de rappeler que de nombreux artistes algériens ont passé de longs séjours en Tunisie durant la décennie des années 90, produisant une œuvre prolifique dans le pays d’inspiration de Vassily Kandinsky et Paul Klee. La période de Sidi Bou Saïd, dans le parcours du regretté Hakkar Lazhar, a été particulièrement marquante, lumineuse même, en comparaison avec sa production après son retour définitif à patir de 2006. De même, la période de Sousse pour Allalouche Ammar a laissé une empreinte artistique trés forte. Je dirais que les plus belles oeuvres de certains artistes algériens qui ont serjourné en Tunisie sont restées Tunisie que dire des artistes algériens de part le monde, notamment en Europe.
Les musées et collectionneurs tunisiens ont témoigné d’un réel intérêt pour les artistes algériens, procédant à des acquisitions significatives. En revanche, combien de musées algériens ont acquis des œuvres d’artistes tunisiens au cours des 20 dernières années ? La réponse est simple.
Le terme « primitif » reflète parfaitement l’attitude et la stratégie culturelle que nous attribuons à la tutelle et à tous ses appendices, censés promouvoir les arts visuels algériens, notamment à travers des acquisitions et la réalisation d’expositions d’artistes algériens de grande qualité. Ainsi, le dernier hommage rendu à Lazhar Hakkar, organisé par un musée fermé – sans préavis d’ouverture en vue –, le MAMA, s’est déroulé sans catalogue. Je retiens en mémoire l’affiche de la rencontre à l’École des Beaux-Arts d’Alger, où l’on a juxtaposé un demi-visage de Lazhar à une demi-œuvre. Un choix graphique qui en dit long sur les intentions et le manque de considération à l’artiste. Il est évident que ceux qui ont conçu cela ne connaissaient pas Lazhar Hakkar. Lazhar n’aurait jamais accepté ce genre d’insulte graphique, encore moins une carte d’invitation accompagnée d’un texte sur “le détail d’une œuvre”.
Gardons à l’esprit cette leçon venue de Tunisie, à travers l’exposition consacrée à Ahmed Stambouli, cinq ans après sa disparition. Cela témoigne d’une véritable passion pour un créateur authentique. Une leçon précieuse que nous offrent nos frères tunisiens.
Tarik Ouamer-Ali